lundi 5 mars 2018

année 2018-2019




JANVIER 2018


LETTRE  A  UN  AMI

1er  mars 2018

Cher Jean-Claude*,

j'ai lu les articles que tu as eu la gentillesse de me photo­co­pier et j'ai réfléchi au problème. Je te donnes ci-dessous le ré­sul­tat (provisoire, sans doute) de ma réflexion.

1 Tout ce qui sera possible, dans l'avenir, à la médecine, la physique, la chimie, l'économie à travers leurs applications techniques sera réalisé en son temps. Rien n'arrêtera cette marche.


2  Les gouvernements prendront po­si­tion,  avec un temps de re­tard, par des Éthiques hu­ma­nistes qu'il leur faudra constam­ment remettre à jour.
 C'est leur devoir, on peut appeler cela une éthique de responsabilité.


3 Nos Églises n'ont pas d'idéologie, elles ont un témoignage.

a) Aucun devenir humain sur la planète Terre n'a la vie en soi. Chacun a un point de vue sur le vérité.
Le fait que mathématiques, physique, médecine apportent périodiquement des ap­pli­ca­tions qui peu­vent améliorer notre existence ne doit pas cacher ces faits : nul n'a la vie en soi, chaque science (exacte, humaine, sociale, morale et religieuse) a un point de vue, son point de vue, sur la vérité.
 Notre témoignage est que la vie, la vérité se reçoivent, qu'elles se reçoivent d'un ailleurs qui a nom l'Évangile.
Médecine, physique, chimie, économie sont vouées à la marche en avant dans ­l'igno­rance du but final vers lequel elles vont ou même s'il y a un but final (comme un automo­bi­liste lancé sur une route dont il ne connaît pas l'aboutissement, dont il ne sait même pas si elle aboutit quelque part), mais médecins, physiciens, chimistes, économistes ne sont pas vou­és à la marche aveugle en avant, à tout moment, ils peuvent recevoir le sens que l'Évan­gile donne à leur existence et à leur travail.
C'est ce que l'on peut appeler une éthique de conviction.

b) Nos Églises n'ont pas d'idéologie, elles ont une théologie.
Les premières réflexions qui méritent le nom de théo-logies sont les questions sur Dieu que posent le Père, le Fils, le Saint Esprit, et la personne à la fois humaine et divine de Jésus. Les solutions spéculatives données dans les premiers siècles de l'Église qui utilisent des notions de substance et de nature ne peuvent plus nous satisfaire aujourd'hui. Ces dogmes n'en sont pas moins porteurs d'intuitions théologiques (la tri-unité du Seigneur, la fonction médiatique de Jésus) qui demandent à être reprises dans les termes d'aujourd'hui.
La Réformation a posé les Écritures bibliques comme base à toute réflexion théolo­gique chrétienne. Elle a ainsi mis désormais à la disposition de la théologie des notions et des concepts non spéculatifs, des concepts en devenir peut-on dire.
Au 18e siècle, en Allemagne, suite au philosophe Immanuel Kant, une distinction s'est établie entre Révélation et Religion. Pour de nombreux protestants, aujourd'hui encore, la théologie est une théologie ou une histoire de religions qui envisage ces dernières de l'extérieur. La révélation, de son côté, a versé dans  un fondamentalisme sectaire.
L'exégèse savante (historico-critique) de la Bible, qui s'est développée, prin­ci­pa­le­ment en Alle­magne, aux 18e, 19e et 20e siècles, a mis à mal l'autorité des Écritures et a déplacé cette autorité théologique et pastorale vers la Bible comme Parole (parole de Dieu, prédication, témoignage).
C'est à partir de cette Parole biblique, de cette prédication, que les chrétiens d'au­jourd'hui sont appelés à répondre aux défis que les sciences et les événements politiques posent à la foi évangélique. À formuler et défendre un témoignage, même s'il en coûte.
Au 19e siècle et début 20e, nos Églises se sont embourgeoisées, elles se sont ap­puyées sur des valeurs, surtout morales et sociales, considérées comme chrétiennes. Ce n'é­tait pas un fondement solide pour répondre aux changements qui se sont annoncés et déjà réalisés en partie. En Mai 68, tout a volé en éclat. Á l'heure qu'il est notre protestantisme français s'est, en une très large mesure, renouvelé avec des apports venus du catholicisme, de la laïcité, de certaines Églises évangéliques, de l'immigration.
Je ne peux pas, ici, entrer plus dans le détail : quel message pouvons-nous apporter sur telle ou telle avancée scientifique, sur telle ou telle actualité politique ?
Un exemple, la PMA : nous réjouir de ce qu'un tel pouvoir nous ait été donné ; avoir un sentiment d'action de grâce ou même formuler une telle prière lors de la naissance de l'enfant ; nous réunir afin que cet enfant ait toutes les chances matérielles et psychologiques pour la vie ; ne pas le couvrir de cadeaux, mais lui donner des occasions de rencontrer l'É­van­gile.

J'espère que ces jalons suffiront, dans un premier temps, à répondre à tes questions. En attendant d'en reparler, je te fais toutes mes amitiés


Jacques Gruber
* médecin cardiologue

                             
à l'un de mes beaux-frères, sur un article de Témoignage chrétien du 20 mai 2019 à propos de la théologie de Spong

24 mai 2019

Cher J-P,
j'ai finalement réussi à ouvrir ton scan et j'ai pu lire le compte-rendu de TC (daté du 20 mai 2019).
Ce n'est pas la première fois que je lis semblables propos. Ils viennent généralement du même endroit : les milieux libéraux  anglicans ou épiscopaliens (même chose sous deux noms différents). Eglises calvinistes strictes.
Je ne parlerais pas ici de christianisme dépoussiéré, mais de christianisme raboté.
La foi chrétienne  ne consiste pas à croire des doctrines (on peut toutes les mettre au placard), mais à mettre sa confiance en une personne Jésus ou dans le témoignage qui lui a été rendu : l'Evangile.
Je ne dirais pas: Aujourd'hiu on ne peut plus croire ceci ou cela (on=personne ne peut plus croire), mais, plus modestement, Jene peux plus croire ceci ou cela.
Des chrétiens, aussi importants soient-ils au regard des responsabilités dans l'Eglise, peuvent avoir perdu (ou jamais connu) l'intuition de la Parole biblique, ou les intuitions de cette Parole. Il s'agit d'intuitions, pas de doctrines, de dogmes. 
Concernant le dernier paragraphe, le Dieu biblique n'est jamais divin (sacré), mais saint (d'une extériorité qui se donne) qui s'est singulièrement donnée en Jésus. Le Dieu tout-puissant est le Dieu apocalyptique dont on a fait le sommet des doctrines. Il y a plusieurs autres expressions bibliques pour parler de Dieu, en particulier Dieu est Amour, source d'un amour agissant aujourd'hui  dans l'histoire (au besoin à contre courant).
Je compte sur toi pour m'envoyer la seconde partie de cet article et je te remercie encore de m'avoir envoyé la première.
Jacques

 suite


26 mai 2019
Cher J-P,
j'ai lu le dernier article de TC (du 23 mai 2019)  que tu m'as envoyé. Il n'en dit pas plus sur les conceptions précises de Spong, il parle plus de l'accueil qu'il a reçu en France, accueil qui a suscité l'intérêt et l'adhésion. 
Etant donné que je n'ai pas lu les livres de Spong, je ne peux pas avoir un avis précis. Mais je connais les thèses déjà soutenues par les libéraux et ultra-libéraux en France et ailleurs. Tout me laisse supposer que Spong est dans ce courant qui adopte la thèse centrale de la modernité : tout l'Homme, tout par l'Homme, tout pour l'Homme. Poser l'être humain,  ses capacités, ses valeurs de compréhension comme critère dernier peut limiter l'intelligence au sens le plus large du terme. Les images, les notions, les conceptions bibliques sont percutantes dans la mesure où elles nous heurtent d'une manière spécifique . Si c'est le cas pour Spong, supprimer l'extériorité du Seigneur (sa sainteté), la gratuité de son action (le fait que nous ne nous en rendons compte qu'après qu'elle a eu lieu, pas sur le moment), la notion biblique de salut (qui ne peut être comprise à partir du sauvetage), c'est peut être donner l'impression d'enlever des obstacles, c'est sans doute, en réalité, vider la prédication chrétienne de son poids spécifique (prophétique en parole et en acte).  
Cet état d'esprit et ce discours viennent essentiellement des milieux anglo-saxons. Les milieux d'où nous sont venus l'empirisme, l'utilitarisme, le pragmatisme qui ont apporté leur vérité et montré leurs limites. Pareil état d'esprit appliqué à la foi chrétienne peut bien susciter un engouement, mais qu'en sera-t-il, à l'usage pour l'annonce d'une Nouvelle qui sera la Bonne Nouvelle pour le monde et pour chaque personne dans l'épreuve ? 
L'accueil reçu ici par Spong me semble à la mesure du désarroi actuel des chrétiens en Occident. . 
Jacques 

à une amie, le 20 mai 2019





Chère M.,
C. insiste pour que je te réponde au sujet de la catéchèse des enfants inadaptés mentalement. Je serais, en effet, bien heureux de pouvoir en parler avec toi, mais le plus simple est que je t'en informe dès à présent.
J'ai fait cette catéchèse pendant vingt ans et j'ai dû, au fur et à mesure, m'adapter à mes auditoires qui comportait des autistes.
Brièvement : j'ai vite compris qu'il était inutile de parler de Jésus, de Moïse, de David etc, ils confondait tout. Je ne parlais plus que de Jésus. Par ailleurs, j'ai renoncé aux images devant lesquelles certains restaient fermés. Ma dernière méthode, pour parler de Jésus a été de mimer les épisodes avec les enfants. Un petit chemin au jardin me permettait, par exemple, de leur faire mimer la parabole du Samaritain. Avec les chaises et les tables, je leur faisais représenter Jérusalem, le Temple, on se mettait autour d'une table pour parler de la cène, chaque fois avec un détail particulièrement significatif et une parole de Jésus. A la prochaine rencontre je leur demandais de me représenter ce que je nous avions fait la fois précédente, pour voir s'ils avaient retenu quelque chose et quoi, je les interrogeais quand il commettait des erreurs dans l'installation du décor ou le déroulé, j'essayais de les faire se corriger et, toujours, je demandais s'ils avaient retenu la parole de Jésus, seule chose finalement importante, mais qui était désormais liée à des éléments et des actions concrets. Les enfants non-protestants de la maison se pressaient en grappe à la porte de notre chambre pour voir et, peut-être, entendre notre leçon, mais les monitrices, sans doute gênées de la tournure que prenaient les choses, venaient les chasser.
Je n'ai pas plus à dire sur le sujet, ma conférence serait brève si j'avais à en faire une. 
Je t'adresse à nouveau mes affections,
Jacques






à l'un de mes beaux-frères, sur un article de Témoignage chrétien du 20 mai 2019 à propos de la théologie de Spong





24 mai 2019



Cher Jean-Paul,



(l'un de nos beaux-frères, catholique social, fidèle lecteur de Témoignage Chrétien -TC-)



j'ai finalement réussi à ouvrir ton scan et j'ai pu lire le compte-rendu de TC (daté du 20 mai 2019).

Ce n'est pas la première fois que je lis semblables propos. Ils viennent généralement du même endroit : les milieux libéraux  anglicans ou épiscopaliens (même chose sous deux noms différents). Eglises calvinistes strictes.

Je ne parlerais pas ici de christianisme dépoussiéré, mais de christianisme raboté.

La foi chrétienne  ne consiste pas à croire des doctrines (on peut toutes les mettre au placard), mais à mettre sa confiance en une personne Jésus ou dans le témoignage qui lui a été rendu : l'Evangile.

Je ne dirais pas: Aujourd'hiu on ne peut plus croire ceci ou cela (on=personne ne peut plus croire), mais, plus modestement, Je ne peux plus croire ceci ou cela.

Des chrétiens, aussi importants soient-ils au regard des responsabilités dans l'Eglise, peuvent avoir perdu (ou jamais connu) l'intuition de la Parole biblique, ou les intuitions de cette Parole. Il s'agit d'intuitions, pas de doctrines, de dogmes. 

Concernant le dernier paragraphe, le Dieu biblique n'est jamais divin (sacré), mais saint (d'une extériorité qui se donne) qui s'est singulièrement donnée en Jésus. Le Dieu tout-puissant est le Dieu apocalyptique dont on a fait le sommet des doctrines. Il y a plusieurs autres expressions bibliques pour parler de Dieu, en particulier Dieu est Amour, source d'un amour agissant aujourd'hui  dans l'histoire (au besoin à contre courant).

Je compte sur toi pour m'envoyer la seconde partie de cet article et je te remercie encore de m'avoir envoyé la première.

Jacques



 suite



au  même  :

26 mai 2019

Cher Jean-Paul,



j'ai lu le dernier article de TC (du 23 mai 2019)  que tu m'as envoyé. Il n'en dit pas plus sur les conceptions précises de Spong, il parle plus de l'accueil qu'il a reçu en France, accueil qui a suscité l'intérêt et l'adhésion. 

Etant donné que je n'ai pas lu les livres de Spong, je ne peux pas avoir un avis précis. Mais je connais les thèses déjà soutenues par les libéraux et ultra-libéraux en France et ailleurs. Tout me laisse supposer que Spong est dans ce courant qui adopte la thèse centrale de la modernité : tout l'Homme, tout par l'Homme, tout pour l'Homme. Poser l'être humain,  ses capacités, ses valeurs de compréhension comme critère dernier peut limiter l'intelligence au sens le plus large du terme. Les images, les notions, les conceptions bibliques sont percutantes dans la mesure où elles nous heurtent d'une manière spécifique . Si c'est le cas pour Spong, supprimer l'extériorité du Seigneur (sa sainteté), la gratuité de son action (le fait que nous ne nous en rendons compte qu'après qu'elle a eu lieu, pas sur le moment), la notion biblique de salut (qui ne peut être comprise à partir du sauvetage), c'est peut être donner l'impression d'enlever des obstacles, c'est sans doute, en réalité, vider la prédication chrétienne de son poids spécifique (prophétique en parole et en acte).  

Cet état d'esprit et ce discours viennent essentiellement des milieux anglo-saxons. Les milieux d'où nous sont venus l'empirisme, l'utilitarisme, le pragmatisme qui ont apporté leur vérité et montré leurs limites. Pareil état d'esprit appliqué à la foi chrétienne peut bien susciter un engouement, mais qu'en sera-t-il, à l'usage pour l'annonce d'une Nouvelle qui sera la Bonne Nouvelle pour le monde et pour chaque personne dans l'épreuve ? 

L'accueil reçu ici par Spong me semble à la mesure du désarroi actuel des chrétiens en Occident. . 



Jacques 



à une amie, le 20 mai 2019







Chère Margherita.,





Cécile  insiste pour que je te réponde au sujet de la catéchèse des enfants inadaptés mentalement. Je serais, en effet, bien heureux de pouvoir en parler avec toi, mais le plus simple est que je t'en informe dès à présent.

J'ai fait cette catéchèse pendant vingt ans et j'ai dû, au fur et à mesure, m'adapter à mes auditoires qui comportait des autistes.

Brièvement : j'ai vite compris qu'il était inutile de parler de Jésus, de Moïse, de David etc, ils confondait tout. Je ne parlais plus que de Jésus. Par ailleurs, j'ai renoncé aux images devant lesquelles certains restaient fermés. Ma dernière méthode, pour parler de Jésus a été de mimer les épisodes avec les enfants. Un petit chemin au jardin me permettait, par exemple, de leur faire mimer la parabole du Samaritain. Avec les chaises et les tables, je leur faisais représenter Jérusalem, le Temple, on se mettait autour d'une table pour parler de la cène, chaque fois avec un détail particulièrement significatif et une parole de Jésus. A la prochaine rencontre je leur demandais de me représenter ce que je nous avions fait la fois précédente, pour voir s'ils avaient retenu quelque chose et quoi, je les interrogeais quand il commettait des erreurs dans l'installation du décor ou le déroulé, j'essayais de les faire se corriger et, toujours, je demandais s'ils avaient retenu la parole de Jésus, seule chose finalement importante, mais qui était désormais liée à des éléments et des actions concrets. Les enfants non-protestants de la maison se pressaient en grappe à la porte de notre chambre pour voir et, peut-être, entendre notre leçon, mais les monitrices, sans doute gênées de la tournure que prenaient les choses, venaient les chasser.

Je n'ai pas plus à dire sur le sujet, ma conférence serait brève si j'avais à en faire une. 

Je t'adresse à nouveau mes affections,

Jacques




le 25 janvier 2001



Cher Robert

Chenavier Robert: L’Evolution de la pensée de Simone Weil sur le rôle du travail dans la vie de l’individu et dans celle de la société, thèse pour le doctorat de philosophie, Université Pierre Mendès-France, Grenoble II, juillet 1997, 936 pages, exemplaire dactylographié.



COMPTE-RENDU  DE L'OUVRAGE



Un travail de grande ampleur, maîtrisant une information étendue et témoignant d’une réflexion approfondie des questions philosophiques, un exposé quasi exhaustif sur le sujet à la date de juillet 1997. La présentation est impeccable, je n’ai relevé que deux fautes de frappe : ‘‘alinien’’ pour ‘‘alainien’’ (je suppose),  p.714 et p. 766 : « …tous les rapports de quantité son[t] composés… ».

J’y ai trouvé un double intérêt : une étude détaillée de l’évolu­tion de la pen­sée de Simone Weil au moyen d’une coupe transversale opérée avec la thématique (centrale chez elle) du travail et, avec SW, une réflexion sur le travail industriel dans l’ère capitaliste.

A titre d’information : Fritz Medicus (1876-1956), l’un des maîtres de Paul Tillich, néokantien, éditeur des œuvres de Fichte, valorise, chez Kant, tout comme Fichte, la troisième Critique (Critique de la faculté de jugement) qui ne tient pas compte de la raison seulement, mais de l’ensemble de la vie spirituelle. Medicus s’est particu­liè­re­ment intéressé à l’esthétique, dont il développe les implications éthiques et sociales, l’art étant considéré comme expression de la vie libre. « De là découle pour Medicus l’obligation de rompre avec le système qui dissocie travail de l’esprit et travail manuel, et qui menace de faire de l’ouvrier une machine apathique. Ainsi donc, l’esthétique et l’éducation esthétique peuvent se combiner avec un programme d’éthique sociale glo­bale » (Erdmann Sturm, ‘‘Forme et substance constitutive’’ in  XIIe Colloque interna­tio­nal Paul Tillich : La méthode de Paul Tillich, Luxembourg, 30 mai-1er juin 1997, p. 20, édition de l’Association Paul Tillich d’expression française, c/o Mme Massini, les Floralies, 6, chemin des Molières, 42700 Firminy).

Le premier objectif de Robert Chenavier est d’établir l’unité de la pensée de SW. D’une psychologie de la perception, qui marque ses premiers travaux, à l’éthique de l’attention, placée au centre de sa dernière période, SW franchit un seuil (elle s’ouvre à un plus grand hori­zon), mais elle ne change ni de centre d’intérêt (le travail, comme unique processus de socialisation), ni de cap (l’enracinement dans la plénitude du réel, qui est le vrai matérialisme) ni d’inspiration (le platonisme associé à la recher­che d’une spiritualité du travail). Le seuil qu’elle franchit, elle le franchit à la fois au prix d’une expérience (dont une année de travail en usine constitue le point fort) et à la suite d’une critique philosophique portant, en particulier, sur les ‘‘aventures’’ de Descartes et de Marx qui ont ‘‘mal tourné’’ (les signes pris pour la réalité, une solution uniquement politique pour le travail industriel capitaliste).

Ce qui peut laisser croire à des discontinuités, c’est la richesse de la personnalité de Simone Weil qui allie une vive sensibilité à une vaste culture servie par une intel­li­gence de premier ordre, le tout s’accompagnant de la plus grande générosité. L’unité de l’œuvre est indissociable de la globalité de la personne.

Au centre : un mystère et un miracle. Mystère de l’intelligibilité, miracle d’un uni­vers vivant. Double constatation que l’on peut exprimer dans le langage religieux parce que c’est jusque dans ce registre que SW en suit le retentisse­ment. L’intelligi­bilité, le ‘‘pacte originel de l’esprit avec le monde’’, est menacé par notre civilisation et déjà ruiné pour ceux qu’elle contraint au travail servile. Le miracle de la vie universelle (la beauté du monde, le monde comme œuvre d’art, p. 842) est oblitéré et déjà gâché pour les protagonistes du travail dans l’ère industrielle capitaliste.

C’est de la transformation en profondeur de ce travail moderne (et nullement d’une fin du travail ou d’un retour à ses formes antérieures) que l’on est en mesure d’obtenir un renouveau et un épanouissement plénier de la civilisation parce que le consentement à la nécessité, dans le travail, conduit à l’ordre qui conduit à Dieu comme Personne.

Il faut analyser le mal, définir ses causes et envisager les remèdes. Le mal n’est pas l’aliénation, mais l’oppression à laquelle donne lieu ce travail et la déshumanisation qu’il produit. La cause n’est pas la lutte des classes, mais la lutte pour la puissance ou la suprématie (les entrepreneurs capi­ta­listes rencontrant, eux aussi, la nécessité). Pour le remède, il faut s’attaquer aux ‘‘conditions’’ du travail (et de la vie). Les moyens de restituer au travail sa fonction de médiation (de ‘‘pont’’) entre Dieu et nous consiste en une transformat­ion de la technique: des machines souples, opérant le travail en série, laissant à l’ouvrier les ‘‘suites’’ (l’adaptation de la machine à ses tâches, sa surveil­lance, sa maintenance etc…) et à une symbolique des métiers (retrouvant les modalités de l’attention propres à chaque activité laborieuse pour les orienter vers les réalités surnaturelles qui, elles aussi, sont vraies). Commencer par la voie de l’analogie (qui ne nous fait pas changer de plan) pour opérer ensuite un changement de plan de telle sorte que le travail devienne une ‘‘métaphore réelle’’ (vécue) (pp. 748-749).

La conception weilienne du travail parfaitement bien fait qui touche à la sainteté fait penser à Thérèse de Lisieux (pp. 747, 754, 832, 836) alors que l’ensemble de sa démarche évoque une mise à jour (laïcisée, par la même occasion) de l’ascèse-dans-le-monde calviniste (Robert Chena­vier fait état de rapprochements avec les puritains du XVIIe siècle, IIIe Partie, notes 504 et 647).

La vision de SW est celle d’une Cité humaine de la réconciliation. Idéal qui ne sera peut-être jamais atteint, mais qui doit faire l’objet de notre approche asymp­to­tique (p. 862). Il faut avoir une vision pour avancer, SW a le mérite d’en proposer une qui peut rallier beaucoup de gens. Une Grande Métamorphose de la Création qui en restera peut-être à la chrysalide. Il y a deux moments : celui, préliminaire, de la pleine réali­sa­tion de l’indi­vi­du et de l’achèvement de la création puis celui de la ‘‘décréation’’ (dispa­ri­tion du ‘‘je’’ et véritable socialisation).

Dès à présent, la rédemption du travail industriel capitaliste exige un ‘‘milieu’’ favorable, une société orientée vers le surnaturel (p. 749), mais SW a toujours refusé toute affiliation à une Eglise ou à un Parti. Dans cette volonté du hors cadre n’y a-t-il pas un oubli de la nécessité sociale ?  Aux structures sociales aussi, il nous faut savoir donner notre consentement pour les modifier méthodiquement.

J’ai l’impression de me trouver devant un humanisme éthico-mé­ta­physique, reli­gieux et chris­tianisant. SW rejoint le pan­en­théisme (pp. 729-732, par exemple), religion des intellec­tuels occiden­taux de tem­péra­ment mystique, comme dans le libéra­lisme pro­tes­tant (de Friedrich Schleier­macher à Paul Til­lich). Avec l’intelli­gi­bi­li­té et les domai­nes (ou niveaux) de l’être et de la connaissance, nous sommes dans le platonisme. La thèse le dit bien. Mais l’apport de l’Ethique (les modes, les genres de connaissance découlant du ‘‘tout en Dieu’’) n’est-il pas plus important que les diverses in­di­ca­tions sur Spi­no­za ne le laissent entendre ?

SW ne semble pas faire de distinction entre ‘‘réalités surnaturelles’’ et ‘‘réalités spirituelles’’, pourtant ce n’est pas la même chose. Le surnaturel relève, me semble-t-il, de l’irrationnel (le règne de Protée, dans le langage d’Alain et de SW), on ne peut en dire autant du spirituel qui, s’il n’est pas totalement assimilable au rationnel, comporte l’exigence d’une cohérence entre le discours et le réel. Ce que SW appelle réalités sur­na­­tu­relles ou spirituelles, est l’englobant divin universel qui fait l’unité de toutes les divi­sions et contra­dic­tions, ce n’est pas le ‘‘ToB’’ (« Dieu vit que c’était bon ») pro­non­cé par Dieu sur sa création selon Genèse 1.

Les raisons qui permettent de penser que derrière l’ordre il y a Dieu comme Personne (ce qui, pour le coup, n’a rien de spinozien) ne me convainquent pas. Je pense que cela vient d’ailleurs : de la culture judéo-chrétienne : « Il ne dépend pas de nous de croire en Dieu, mais seulement de ne pas accorder notre amour à de faux dieux » (Pensées sans ordre, p. 13, cité p. 862). L’intelligibilité, l’équilibre en expansion de l’univers, un mys­tère et un miracle sur lesquels nous ne nous émer­veille­rons jamais assez, poussent à une gratitude qui, elle, peut conduire à Dieu comme Personne.

SW tire de Genèse 3 l’idée que le travail est originellement non seulement pénible, mais pénal. Dans Genèse 2, il est question d’un travail non pénible, non maudit, avant la chute : Adam est appelé à cultiver le Jardin et le garder. Elle parlera ensuite de la Croix comme malédiction sans qu’il y ait eu chute, mais relevant de la nécessité à laquelle Dieu lui-même s’est soumis en créant un univers à côté de lui. La théologie chrétienne maintient deux ruptures : celle de la chute et celle de l’eschatologie dont on doit savoir accepter de ne parler que mytho­lo­gi­quement, mais qui, à titre de sens des limites [limites saisies à partir de leur en-deçà], sont réelles et nous permettent de mettre tout être, toute chose, chaque événement à sa place.

La pensée pa­ra­théologique de SW tient beaucoup de ce que j’appelle la ‘‘théo­graphie’’, par exemple : les trois folies de Dieu : la Création, l’Incarnation, la Passion (pp. 678-sq, autre exemple, p. 769) ; l’universalisme eucha­ris­tique où l’homme con­som­me Dieu et est consommé par Dieu ; la spéculation sur le mouvement circulaire (tri­ni­taire) et le mouvement rectiligne (l’Incarnation) en rapport avec une solution du travail industriel fondé sur la transformation du mouvement rotatif en mouvement alternatif.

Je comprends les raisons pour lesquelles SW privilégie les intermédiaires (le travail qui est servile par absence d’intermédiaires, jeter des ‘‘ponts’’ par dessus les fossés, être attentif à tout ce qui est médian, moyenne proportionnelle, ‘‘métaxu’’), mais elle n’a semble-t-il pas tenu compte de la perversion possible des intermédiaires : lors­qu’ils se substantifient, s’institutionalisent, développent une vie propre, font prolifé­rer les démulti­pli­ca­tions. Pour ma part, je préfère parler de ‘‘médiations immanentes’’.

Dans sa Conclusion, Robert Chenavier fait allusion à l’apport que pourrait cons­tituer une « transposition hermé­neutique des textes bibliques » (p. 860) pour contribuer à la mise en œuvre des idées de SW au coeur des transformations actuelles que subit le travail et, par là, notre civilisation et le destin de l’humanité. Je miserais plutôt sur la tension que peut produire la différence de potentiel pro­duite par une herméneutique dynamique fondée sur le heurt culturel entre notre culture et la culture biblique et sur l’élan que cette tension peut imprimer. Il n’y a pas de trans­po­sitions herméneutiques de la Bible, il n’y a que des extra­po­lations.

A propos d’Alain, le maître de SW, Robert Chenavier écrit  ‘‘alainien’’, le latin étant ‘‘Alanus’’, ne faudrait-il pas dire : ‘‘alanien’’ ? Il emploie les termes de ‘‘crité­rium’’ pour ‘‘critère’’ (voir, Cahiers II, p. 203, cité p. 686), ‘‘ersatz’’ pour ‘‘succé­da­né’’, mais c’est à la suite de SW semble-t-il.

texte remis à Françoise Durand-Echard (notre cousine, professeur de philosophie) et à Robert Chenavier le 5 septembre 1998

Prolongements bibliques et théologiques : la parabole du serviteur de Luc 17/7-10.

Cette parabole termine un petite série de paroles de Jésus adressées aux disciple : enseignement sur le pardon, les offenses, la foi.  Il s’agit donc spécifiquement d’une paraboles pour les disciples. Dans notre actualisation, elle s’adresse spécifiquement aux chrétiens. Le maître, ici, est celui de qui l’on a tout reçu sans pour autant avoir le sentiment de lui être redevable de rien. Pour un tel maître, on n’agit ni par besoin, ni par contrainte ou par obligation d’un gagne pain, ni par devoir moral, mais par reconnaissance. D’autre part, c’est une parabole. La parabole se distingue de l’allégorie en ce qu’elle est une comparaison destinée à mettre en évidence une relation (entre le croyant et Dieu à travers Christ et pour le monde), non une comparaison dont chacun des termes correspond, point par point, à une réalité (exemple : l’image du corps humain prise par Paul pour parler de l’Eglise, Rm 12/4, I Co 12/12-sq, Ep 1/23, Col 1/18, Ep 4/16, Col 2/19, Ep 5/23). La traduction de ‘‘achreioï’’ par ‘‘quelconques’’ dans la TOB, tue le nerf du texte qui réside dans le contraste entre ce serviteur si utile (il travaille la terre, garde les bêtes, puis rentre pour préparer le repas de son maître et le servir à table) qui est dit ‘‘inutile’’ (inutile, impropre, bon à rien). Utile, mais sans mérite, puisqu’il n’a fait que remplir son contrat. C’est la ligne de l’interprétation de la Bible comme message de la grâce (Hab 2/4, repris avec le sens grec d’ ‘‘EMouNaH’’ dans Rm 1/17) retrouvé par la Luther et l’en­semble de la Réformation au XVIe siècle.

D’après ce qui vient d’être noté, la parabole ne peut être considérée comme contenant une théologie biblique du travail. Prise comme cela, elle est caduque (puisque le travail domestique, artisanal des civilisations agraires a disparu ou est destiné à disparaître dans l’ère industrielle capitaliste) elle est nuisible parce qu’elle offre l’exemple de l’exploitation du serviteur par son maître. Mai si elle vise la relation particulière du croyant à un Dieu de la grâce, de la sur­abondance de qui  nous avons toujours déjà tout reçu, elle concerne la foi dans laquelle nous agissons par reconnais­sance, sans compter.

Cependant, cette parabole a des implications indirectes (médiées) dans le travail. Servir Dieu à travers le service de Jésus Christ, c’est concrètement servir le prochain. Nous servons Dieu à travers Jésus Christ, dans le prochain. Les conséquences sont alors celles-ci : savoir considérer notre travail profes­sion­nel  au travers du service qu’il rend à la société, lutter contre le chômage, l’esclavage, les oppressions et toutes les formes déshuma­ni­santes du travail, donner de son temps libre pour un service gratuit.

Dans la mesure où un pareil programme peut être mis en œuvre (et il ne peut l’être de façon uniquement individuelle, mais dans et avec la communauté des autres chrétiens), nous sommes nous-mêmes travaillés de l’intérieur par le Saint-Esprit, c’est à dire objets d’un travail de transformation dans la perspective de la nouvelle créature qui est ici et maintenant en Christ et préfigure la Nouvelle Création eschatologique.

A lire la recension des Cahiers de SW dans le Dictionnire des Œuvres (tome II, p. 6 en annexe) je me rends compte  qu’elle se débat, sans pouvoir s’en sortir, dans tous les faux-problèmes de la spiritualité catholique.









à Robert Chenavier



(Robert Chenavier, agrégé et docteur en philosophie, auteur d'un livre sur la philosophie du travail chez Simone Weil, Président de l'Association Simone Weil)



j’ai terminé la lecture de ton cahier Découvrir Simone Weil.  Je l’ai lu avec le plaisir que procure la rencontre avec quelqu'un qui domine parfaitement son sujet et j’ai apprécié que tu laisses le plus souvent Simone Weil s’exprimer elle-même. Les derniers mots : « Sa vocation était de rencontrer le réel, dans sa vérité, et pour cela elle a pensé et vécu en s’exposant » sont un coup de projecteur qui éclaire toute la scène.

Si tu le permets à quelque un qui n’a lu, il y a déjà longtemps, que La Pesanteur et la Grâce, La Condition ouvrière, L’Enracinement et, plus récemment, Les Écrits de Londres, qui ne connaît finalement Simone Weil que de seconde main, à travers ta thèse, le Cahier de Meylan que tu lui as consacré et les quelques numéros de la Revue Simone Weil dont tu lui as fait cadeau, je te donnerai mes impressions sur ‘‘Simone Weil et la Bible’’.

Les grandes inspirations religieuses qui  guident sa pensée : la création conçue com­me un retrait de Dieu et le surnaturel, la création continuée et l’achèvement de la création remis à l’être humain  sont-elles bibliques ?

Le retrait de Dieu pour permettre la création est la doctrine du qabbaliste Isaac Luria (1534-1572) (le Cimçoum) ; le surnaturel vient de Thomas d'Aquin (1225-1274) (Somme théologique Ia, IIae, question CIX, §§ 6 et 7, par exemple). La grâce produit quelque chose de surnaturel émanant de Dieu, de l’ordre d’un habitus, mais le concept est débattu parmi les thomistes : s’agit-il de la nature humaine retrouvant sont intégrité, seuls les moyens de parvenir à la béatitude sont-ils surnaturels, s’agit-il d’un don de Dieu suite à la conversion –Florent Gaboriau, qui tire Thomas d'Aquin dans le sens d’un théologien évangélique-). Ce sont des bases de métaphysique religieuse, non des notions bibliques ou des vérités scripturaires.

Sans donner dans le biblisme ou le biblicisme, au plan scripturaire biblique, la création est présentée comme œuvre de la Parole (dans Genèse 1). Ce qui aurait son retentissement du côté de la génétique conçue comme un message écrit avec quatre lettres et du côté de l’in­tui­tion lacanienne d’un inconscient structuré comme un langage. J’ai fait la catéchèse des enfants inadaptés mentaux pendant vingt ans. J’ai connu ces enfants chez qui le langage était complètement formé, intérieurement, qui étaient, de ce fait, aptes à comprendre tous les discours, mais ne pouvaient l’extérioriser. Bien qu’ils ne fussent en aucune manière muets, ils restaient privés de la parole. Je les faisais s’exprimer par des actions, à travers des enchaînements de situations.

Dans le Nouveau Tes­ta­ment (chez Paul, chez Jean), sont dits ‘‘spirituels’’, en un sens précis : ceux qui sont « nés de l’Es­prit » (Jn 3/6), ceux qui sont toujours, et toujours de nouveau, transformés sous l’action du Saint Esprit. Le paulinisme affirme avec force que l’être humain, une fois en Christ, n’en demeure pas moins toujours, en même temps, pécheur (Rm 7/19). Le surnaturel est-il équivalent de l’œuvre créatrice et recréatrice de l’Esprit ? Recourir à un équivalent est-il nécessaire ? L’é­qui­valent possède-t-il la plénitude de ce à quoi il se substitue ? L’anthro­po­lo­gie biblique est existentielle, non substantialiste.

Simone Weil a vécu l’action du Saint Esprit, mais ne l’a pas n’a pas identifiée, elle l’a transposée dans le surnaturel. Pourtant l’activité de l’Esprit (la Rou­ach) est attestée dans la Premier Testament et l’iden­ti­fi­ca­tion en est entièrement explicitée dans le Nouveau Testament (dans le IVème Évangile en particulier, Jn 14/15-18, 16/7-15 ). Je suis surpris que les religieux avec qui elle était en relation ne l’aient pas éclairée sur ce point.

Les notions de décréation et d’un achèvement de la création, que professent nombre de Juifs et de théologiens catholiques, ne cadrent pas avec ce qui ressort de la pensée scripturaire biblique. La perspective est celle d’une création qui n’est plus telle qu’elle a été voulue (on peut retrouver ici le mauvais usage de la liberté dont Simone Weil se fait l’écho), mais se situe dans la perspective sotériologique d’une reprise dernière de la nature (dynamisme de la cosmogenèse, de la biogenèse, de l’anthropo­ge­nè­se), de l’histoire et de l’humanité (avec toute et tous les acquis de la créativité et du travail humain) qui vient, comme la création d’ailleurs, de la seule initiative (eschatologique) de Dieu.

En revanche, le Christ de Simone Weil est conforme au kérygme néotestamentaire, c’est le Christ en agonie jusqu’à la fin du monde de Blaise Pascal (et de la théologienne protestante Dorothée Sölle, qui ne connaît apparemment pas Simone Weil[1]). L’apôtre Paul, lui-même, dit avoir eu, à Corinthe, une prédication christologique centrée sur la Croix  (I Co 1/22-25 et 2/1-5). La résurrection, sans doute, mais qui reste une démonstration de puissance dans la faiblesse. Cette christologie, qui fonde la vérité de la résurrection sur la pleine réalité de la mort et de la mort ignominieuse du Christ, se montre réservée sur le triomphalisme de la gloire à bon marché, mais peut aussi (est-ce le cas pour Simone Weil ?) ne pas donner toute sa place à ce qui précède (et, pour une part, explique) la Passion : la prédication en paroles et en actes du royaume de  Dieu.

La retenue de Simone Weil vis-à-vis de l’Église découle de cette christologie : elle eût sans doute demandé le baptême dans une Égli­se moins militante, au sens conquérant du terme, moins assurée d’être dans la vérité et  vivant plus sous le Croix.

La volonté de partager, peut-être même de porter la souffrance du monde, correspond-elle, chez Simone Weil, à l’idée, volontariste, d’une Incarnation (d’une inculturation) continuée ou à la passivité active du témoin qui, alors même qu’il ne le cherche pas, peut être appelé à donner son consentement au martyre ? Deux directions divergentes qui correspondent à deux interprétations bien différentes du message biblique.

La Bible n’est pas première chez elle ni pour elle. Il me semble qu’elle se meut au sein d’une culture judéo-platonico-catholique d’où les inspirations bibliques et évangéliques ne sont pas absentes, mais se trouvent aussi réinterprétées (et aliénées) dans l’esprit d’une métaphysique religieuse humaniste et mystique. [d’une philosophie religieuse qui doit plus au religieux universel et à des rationalisations de convenance qu’à la spécificité atypique biblique]

Simone Weil pouvait-elle disposer d’autres éléments ? Elle n’a, semble-t-il,  pas eu la curiosité de chercher ailleurs. Elle a admis d’emblée l’identité christianisme = catholicisme.

En te remerciant encore pour ton envoi et remettant à l’été prochain de plus amples explications, si tu le désires. Cécile se joint à moi pour vous assurer de notre amitié,



le 29 novembre 1999

   

  à Pierre Mialet



Cher Pierre,

(Pierre Mialet, ancien élève de l'École de l'Air, pilote professionnel a consacré ses années de retraite à chercher la ratio -la clé- des nombres premiers, correspondant avec l'Institut de France auquel il a adressé les nombreux théorèmes découlant de sa recherche)

comme tu me l’as demandé, je mets ici par écrit la réflexion que je t’ai présentée vendredi dernier après avoir pris connaissance de ton texte ‘‘Réalité psychique et/ou réalité matérielle’’.

Tu mets en évidence l’existence, dans notre inconscient, d’une structure logico-mathématique. Tu établis que cette structure est sur le modèle d’un monoïde libre parental, ou, mieux, ancestral. Tu montres que cette structure est non seulement généalogique, mais aussi hiérarchique, non seulement ordinale, mais aussi psychique.

La réflexion dont je pars est celle-ci : l’expérience nous montre que la psychê peut être ins­tru­mentalisée (de façon intuitive ou organisée) ou réagir (positivement ou négativement) devant un élément extérieur. Elle est instrumentalisée, par exemple, lorsqu’un chef cha­rismatique s’impatronise et  impose son ordre. Elle réagit positivement, par exemple, lorsqu’elle intériorise la 5ème des Dix Paroles bibliques : « Tu honoreras ton père et ta mère ».

Dans ce dernier cas, nous accédons à la maturité, portant sur nos parents un regard qui respecte leur liberté (y compris celle de nous avoir donné le jour) de sorte que s’établit entre nous une relation qui ne relève ni du rejet, ni du culte, mais de la fraternité, noyau de la vie démocratique.

Lorsqu’on discerne que l’intelligence mathématique peut pénétrer tout le réel, on est tenté de ramener l’humain tout entier au mathématisable. Si tout (y compris les relations intra- et interpersonnelles) est, en principe, mathématisable, notre psychisme ne serait-il pas instrumentalisé (ne perdrait-il pas sa capacité de réaction libre) s’il était effectivement ma­thématisé ?

Le psychisme humain, qui prend la forme du monoïde ancestral, sert-il de fondement à la structure logico-mathématique ou en est-il le produit ? Si notre psychisme était déjà informé par cette structure, nous aurions alors à en rechercher le fondement plus en amont. La structure logico-mathématique n’est-elle pas portée par un flux qu’elle ne produit pas, qui l’englobe, et qui n’est pas mathématisable ?

La structure logico-mathématique est performante en ce qui concerne ce qui est matériel, mais peut-elle s’appliquer à la résolution de nos relations avec nos parents, avec nos enfants, avec les autres humains ?

L’instance éthique n’est pas formellement comprise dans la structure logico-mathématique, celle-ci vient d’ailleurs, va ailleurs, et, à mon sens, réserve la possibilité d’une révélation (« Honore ton père et ta mère » ou telle autre parole inspirée).

Il y a moins un paradoxe qu’une relation d’incertitude que le titre de ton texte (‘‘psychique et/ou matériel’’) contient tout à fait et qui ne me paraît pas surmontable.

En attendant de nous revoir et en toute amitié,

Jacques











  le 27 février 2002

à Pierre Mialet

                                   Cher Pierre,

                                                                       merci pour la communication du texte de ta première conférence, comme tu le souhaites, je te fais part, ici, de mes réactions à cette lecture. Réactions d’un profane, mais qui, de ce fait même, je le comprends, ne sont pas  sans intérêt.

La lecture est aisée, l’intérêt évident et soutenu pour toute personne cultivée.

Sur le fond, mon impression est la suivante : depuis Cantor (1870), il est devenu possible de dériver toutes les mathématiques de la Théorie des Ensembles, et, après Gödel (théorème d’incomplétude, 1931), la question du fondement des mathématiques (conçues comme l’expression la plus prégnante de la connaissance) s’est posée avec plus d’acuité qu’auparavant.

La solution a été cherchée du côté d’une métamathématique, de l’ordre d’une logique mathématique, une axiomatique mathématique (Bourbaki, par exemple). Mais, progressivement, on a pris conscience que le critère de la vérité et de l’erreur ne pouvait, en dernière analyse, ressortir aux mathématiques elles-mêmes.

Pour que la proposition du crétois Épiménide : « Tous les crétois sont menteurs » sorte de l’ambivalence, il faut qu’elle soit énoncée par un non-crétois. Ainsi, il faudrait un Grand Autre (pour parler comme Lacan) qui se prononce sur les mathématiques pour que toute connaissance trouve son fondement.

Mais sur quoi ce Grand Autre devrait-il se prononcer ? Sur le critère de la vérité et de l’erreur ou sur le mystère de l’intelligibilité ? Car, à la base de tout, me semble-t-il, il y a ce mystère : d’où vient qu’entre ce seul être qu’est l’être humain, qui est peu de chose, et l’ensemble du réel, qui est un abîme (transfini), l’intelligibilité soit possible ? Platon avait commencé par là, par définir la dialectique de l’in­tel­li­gible.

Est-ce que le retour à Aristote est la bonne voie ? Est-ce qu’une hégémonie des mathématiques, ramenées à des formalisations infaillibles, suffirait à les fonder elles-mêmes, d’abord, puis à fonder la connaissance et la connaissance de l’être humain par lui-même (le « Connais-toi, toi-même »), pour finir ?  Ou bien, est-ce que les mathématiques  ne sont qu’une région de l’intelligibilité correspondant plus aux choses qu’aux êtres (l’exis­ten­ce) et aux événements (l’histoire) ? Suffit-il qu’elles soient fondées dans l’ être (ou l’ Être) ? Est-ce qu’elles ne seront pas toujours confrontées à une instance extérieure (au sens d’une transcendance), irréductible pour elles, et les limitant à un domaine de la réalité ?

Bien entendu, j’anticipe sur la suite de tes conférences, dont je sais qu’elles s’o­rien­tent vers quelque chose du genre de ce que j’entrevois ici, mais je m’exprime librement avec toi.

Cécile se joint à moi pour vous adresser nos plus affectueux messages,

                                              

Jacques

à Pierre Mialet

Limeil-Brévannes, le 23 novembre 2002



Cher Pierre,



j’ai lu et relu attentivement les pages que tu as eu l’amitié de me communiquer et je te fais part, très librement, de mes réflexions.

Ai-je bien compris ?

Après avoir rappelé la remise en question des mathématiques, suite au théorème d’incomplétude de Gödel, tu utilises le mo­noïde libre comme mo­yen terme pour passer des automates (type, machines de Turing) à une problématique de la viviparité qui en constituerait le fondement. Fondement avant-dernier, si, com­me tu l’as développé dans ‘‘Cliniques et communication’’, ta recherche débouche, en définitive, sur une prise de conscience de la Paternité universelle, antérieure à toute autre paternité et fondement de toute paternité.

Tu passes du monoïde à deux générateurs de type lexical à un monoïde axiologique (Vrai/Faux), puis à un monoïde binaire booléen, pour parvenir au monoïde ancestral de Frege. Ce dernier conserve les acquis des précédents (en particulier l’associativité et la non-commutativité), mais est porteur d’une charge sémantique qui renvoie à la viviparité.

Dès lors, tu es en mesure de développer le souvenir d’une expérience personnelle remontant à l’enfance. Expérience qui, de par son enracinement dans le subliminal, peut prétendre à une portée universelle.

Remarques personnelles :

Tu es passé du formalisme pur à l’existentiel, montrant par là que le formalisme ne peut se fonder que dans l’exis­ten­tiel. Les mathématiques en particulier ont une obligation de résultat effectif au plan de l’existence dans toutes ses dimensions.

Au terme du cheminement, l’en­sem­ble vide (l’Égo) [suite à un coup de téléphone du 27novembre 2002, Pierre Mialet me précise qu’un ensemble vide n’est pas un néant, mais est structuré sur le modèle binaire, 1/0, c'est à dire selon la non-identité à soi], qui est au départ de la construction monoïdale, est-il encore vide ? N’a-t-il pas l’arborescence parentale pour enracinement, n’en tire-t-il pas son sens et son identité ? S’il ne peut, à son tour, fonder le monoïde ancestral, ne lui apporte-t-il pas une survie provisoire ? Au moment où l’Égo se découvre et se situe dans l’arbores­­cen­ce ancestrale, n’est-il pas déjà lui-même, au moins putativement, pris dans un réseau de concaténations qui le dépassent dans l’avenir ?

L’Égo ne peut être au départ du monoïde ancestral qu’à titre d’ensemble vide, mais cela ne reflète pas sa vraie situation. L’Égo ne peut rester vide. L’expé­rience enfantine que tu relates tend à montrer qu’il n’a jamais été vide [vide, mais pas néant, voir plus haut].

À ce propos, je me demande si le stade de la viviparité suffit. Ne faut-il pas faire remonter plus haut la ‘‘catastrophe’’ : à la divergence entre l’être humain et l’animalité pure ? (C’est une des propositions que je fais dans mon livre à paraître pour expliquer le sentiment originaire de transgression que traduit la notion de péché originel). Nombreux sont les animaux vivipares et mammifères qui, une fois adultes, ne reconnaissent ni leurs parents ni leurs frères et sœurs, s’accouplent indistinctement et sont prolifiques. Le monoïde ancestral traduit la culture humaine caractérisée, entre autres, par le tabou de l’inceste.

Les mathématiques ne peuvent se fonder elles-mêmes parce que les mathématiciens ne sont pas eux-mêmes auto-fondés (en langage biblique : ce sont des créatures). L’incomplétude des mathématiques ne reflète-t-elle pas l’incom­­plé­­tude de l’être qui tire sa singularité du fait qu’il peut prendre conscience de lui-même, de sa situation, interpréter ce qui l’entoure et  même acquérir un certain savoir sur ces sujets et, du coup, être toujours en même temps soi et à distance de soi, dans une irrémédiable insatisfaction ? 

En revanche, les mathématiques tirent une pleine justification de leur efficacité à pénétrer et mettre en œuvre le réel. Leur fondement pourrait être pragmatique. Si, d’une part, elles ont un support génétique (spécialement neuronal et cérébral) et un substrat qui plonge ses racines dans l’incons­cient archétypal (qui, au-delà du traumatisme natal, porte la trace de la séparation d’avec le monde de l’anima­li­té pure), d’autre part, elles sont surtout tournées vers les tâches présentes et d’a­venir. Les mathématiques ainsi vues se définiraient moins par la recherche d’une origine incontestable (en Dieu ?) que comme tendues vers un à-venir quasi-eschato­lo­gi­que.

Une petite faute de frappe, p. 7 (avant-dernier alinéa) : « Il est clair que l’on peut ne peut parler d’un système formel ».

À mon tour de te demander ce que tu penses de mes capacités de compréhension et de mon hétérodoxie.

Cécile se joint à moi pour t’assurer ainsi  qu’à Annie de toute notre amitié,



Jacques Gruber







Limeil-Brévannes, le 14 janvier 1999

à Joëlle Poidlouë



Chère Joëlle,

(agrégée de lettres classique, docteur ès-lettres, à l'époque où elle préparait son doctorat en théologie, thèse soutenue devant la Faculté de théologie protestante de Bruxelles)

j’ai achevé la lecture de votre thèse hier soir, je la poste par colis séparé et vous livre ici mes impressions, réactions et critiques.

Votre texte, d’une lecture vivante, agréable, en bon français, d’une grande richesse psycholo­gi­que, bourré d’indications concrètes est constam­­­­ment à la même hauteur intellec­tuelle, les volumes sont bien répartis entre les sections et les chapitres et la progression maintient constamment l’intérêt du lecteur.

J’ai corrigé, chemin faisant, au crayon, quelques fautes de frappe qui vous ont échappé. Pour les nombres ordinaux, on écrit d’habitude 2e, IIIe etc et non 2°, III° (qui signifient secundo, tertio). ‘‘Cléricaliste’’ (p. 21) est-il français ? (le mot n’est pas dans le grand Robert). Horeb et Sinaï, sont une seule et même montagne (p. 92). La pécheresse du repas chez Simon, dans Luc 7/36-50 est-elle bien Marie de Magdala (p.152) ? Je ne sais si, par rapport au contexte, votre traduction de Ep 4/26  « Mettez-vous en colère » est préférable à l’évocation d’une éventualité : « Êtes-vous en colère ? ».

La critique essentielle que je ferais est l’absence d’une théologie explicite du Saint Esprit.

Trois textes que vous citez y introduisent : le texte de Calvin cité et commenté pp.22-24, celui de Adams, pp. 180-181 et celui de Thurneysen cité pp. 307-308. Dieu est présent dans l’entretien pastoral, mais pouvons-nous penser qu’il l’est de manière en quelque sorte spontanée sinon naturelle (p. 376)? Les théologies post-théistes (qui ignorent le Saint Esprit) sont peut-être une dérive, mais peut-on faire com­plètement l’impasse sur elles ?

Dieu est présent par sa Parole qui est l’Ecriture ac­compagnée du Saint Esprit (vous le dites fort bien pp. 168-169). C’est le déploiement d’une vocation (chez le pasteur), le résultat d’une spiritualité biblique chez l’interlo­cu­teur qui lit sa Bible, va au culte, ou l’effet d’une impulsion due au Saint Esprit, qui ne peut encore être reconnu pour ce qu’il est, chez un interlocuteur étranger à la parole de Dieu.

Le pasteur assume-t-il les mêmes fonctions que le Christ (média­teur, réconciliateur, intercesseur) ou est-il un témoin de cette œuvre du Christ ? Effectue-t-il une jonction ou est-il le témoin de la médiation du Christ ? (fin du chapitre 9). L’  « élément sacré », p. 239 ne serait-il pas mieux dit « élément pneumatique » (ou pneumatologique) ?

Ce que j’ai appris, c’est d’abord que l’entretien pastoral est une spécificité du ministère pastoral tel que le protestantisme historique le conçoit. Le sacerdoce du prêtre, la cure psychanalytique, les séances charismatiques sont tournés vers la thérapeutique et non animés par l’amour du Berger à la re­cher­che (dans le vaste monde et pas seulement dans l’Eglise) de la moindre de ses brebis (fonder, rétablir, fortifier la foi).

Ensuite, vous m’avez clairement fait voir les enjeux a/ une écoute, une empathie, sans une parole, serait-elle la plus humaine, n’est pas un entretien ; b/ les pièges de la non-directivité ; c/ les tensions de divers ordres, qui sous-tendent ces entretiens, et en sont, par le fait, la dynamique ; d/ un entretien qui serait un bien suffisant en lui-même ou se bornerait à un acte de simple diaconie ; e/ la manière dont les libertés de Dieu, de l’interlocuteur, du pasteur s’organisent ou non, la foi dans le fait que ces libertés sont faites pour s’harmoniser.

Peut-on dire que, dans l’entretien pastoral, le pasteur s’appuyant uniquement sur la confiance mise dans l’action du Saint Esprit, joue un rôle de catalyseur (attitude d’Ochsenbein que vous citez pp 309-311) ?

Je suis entièrement d’accord avec vous sur le fait qu’il ne peut y avoir de principes, de méthodes, de recettes en ce qui concerne l’entretien pastoral et, plus généralement, la cure d’âme (p. 313). L’entretien pastoral est, en effet,  d’un ordre autre, « un ordre gouverné par l’action de Dieu » (p.376) [mais cette action de Dieu ne s’appelle-t-elle pas Saint Esprit ?].

J’ai été particulièrement sensible à la force de vos pages 260-264 sur la certitude, pour le chrétien, de la communication toujours actuelle du Dieu pourtant transcendant. Je note, pour ma gouverne, votre remarque sur la démarche de Paul dans ses épîtres : partir du rappel de l’œuvre de Dieu pour en venir aux questions concrètes posées par la vie des églises (p. 303) alors que les évangiles vont des situations concrètes au message.

Merci d’avoir fait état d’une dette à mon égard au début du chapitre 11.

Avec mes meilleures amitiés en ce début d’une année que nous remettons à la grâce du Seigneur,

Jacques Gruber

                                                                        7











 le  1er   juillet 2003                                       







à Jean-Christophe Muller







Cher Jean-Christophe,



(fils du pasteur Benjamin Muller, qui a soutenu ce mémoire de fin d'études devant la Faculté de théologie protestante de Montpellier)



                          merci de nous avoir offert un exemplaire de ton travail de maîtrise.

Je l’ai lu avec attention et grand intérêt.

Tu m’as donné d’accéder à la pensée engagée de Cornélius Castoriadis, dont tu exposes l’essentiel avec beaucoup de compétence (un humanisme social qui n’a d’autre support que la fuite du temps ?) et tu me permets de te retrouver, de voir où tu es parvenu à la date de ce travail dans ton évolution  intellectuelle et spirituelle qui se poursuit sur le même chemin de crête entre foi (chrétienne, évangélique) et politique (socialiste, révolutionnaire).

La question que je me pose au terme de ma lecture [de JCM] se formule ainsi : la pensée et l’action chrétiennes, n’ont-elles pas prouvé dans l’histoire ancienne, ou récente, qu’elles étaient toujours aussi (ou même, d’abord ?) capables de se remettre d’elles-mêmes en question (de se penser critiquement) ? Donc, non pas sous l’action d’une mise en cause émanant du socialisme agnostique ou athée (mais aussi du judaïsme, des autres religions, de l’indif­fé­rence), non en conséquence d’un devant l’Homme, devant la société ou devant l’Histoire, mais par l’effet d’un ‘‘devant Dieu’’, toujours de nouveau provoqué par le message biblique ? À titre d’exemple contemporain : René Girard.

Cheminer sur la crête entre foi et politique (plus largement : entre foi chrétienne évangélique et ses multiples mises en cause), représente une forme particulière d’enga­ge­ment qui ne cherche pas à se fonder parce qu’il se sait né de circonstances contingentes, qui ne se justifie, ne se légitime, de se prouve d’aucune façon, mais s’atteste en marchant, c'est à dire en trébuchant et se rattrapant à chaque pas.

Une forme même très particulière (unique au monde ?) puisqu’il s’agit de s’engager corps et âme sans jamais prendre parti, se laisser happer par un parti-pris, dans des combats dont on sait que si généreux soient-ils, ce sont toujours (serait-ce à leur corps défendant) des combats douteux.

N’est-ce pas une voie d’accès à l’autonomie personnelle que de se donner (sans ignorer l’am­bi­valence de ce don) pour ce qu’il y a de meilleur parmi les causes de l’heure (elles-mêmes ambigües), se sachant suspendu par la foi à un parachèvement eschatologique que rien ne garantit ?

À côté du contre-témoignage historique du christianisme, complaisamment et facilement évoqué, n’y a-t-il aucun témoignage à produire d’une Ecclésia pérégrinante où l’on s’écoute mutuellement à l’écoute d’une Parole que ne cautionne que l’autorité que chacun lui reconnaît à sa manière, société autonome-témoin qui accepte de prendre corps dans le monde tel qu’il est et se veut semper reformanda, signe de cette société autonome d’êtres humains autonomes qu’est le royaume de Dieu  ?

Ces points d’interrogation ne sont pas de convenance, je les vis comme tels au plan  historique et prospectif.

Cécile et moi serions très heureux de te revoir, sache que si tu étais de passage à Paris et si la banlieue (bien desservie) ne t’effraie pas, nous t’hébergerions volontiers. Nous sommes sur place jusqu’au 21 août (avec peut-être une petite absence de trois jours non encore programmée).

Reçois nos meilleures affections,





18 octobre 2004



à Roger Parmentier





Cher Roger,



(pasteur à la retraite, poursuivant des réflexions théologiques de premier plan qu'il il m'a fait l'honneur et l'amitié de partager)



j’ai été trop occupé ces dernières semaines pour te répondre sur mon livre.

Je le fais néanmoins aujourd'hui.

Je me dis « classique » parce que les orthodoxes me classent comme libéral et les libéraux comme orthodoxe. C’est une manière de refuser ces étiquettes, mais cela se justifie aussi du fait que je ne veux pas faire table rase de la tradition chrétienne séculaire. Si la déconstruction derridienne consiste à décaper la tradition philosophique occidentale pour revenir aux intuitions premières mises en boîte dans des concepts, je pourrais me situer dans une ligne comparable.

L’Évangile, c’est la Bonne Nouvelle du Royaume. Une bonne nouvelle que nous recevons dans notre condition et notre contexte et dont nous témoignons ensuite en fonction de cette réception. Nous intériorisons cette nouvelle dans son langage et nous l’extériorisons ensuite dans le nôtre. La Bible canonique vaut ce qu’elle vaut, mais elle a fait ses preuves au cours des millénaires comme parole de Dieu, pouvons-nous dire aujourd'hui qu’elle n’est plus source d’ins­piration ? Le fait que nous éprouvions le besoin de rendre cette Parole accessible à nos contemporains me semble aller dans le sens de l’affirmative.

Je considère la formulation du témoignage intérieur du Saint Esprit, par Calvin, comme un acquis essentiel de la pensée chrétienne, mais cela ne me rend pas prisonnier de son époque. Mon livre, me semble-t-il, montre combien on peut en parler en faisant appel à des expériences de l’homme d’aujourd'hui.

Tu me cites la dent d’or de Fontenelle, je te citerai la poule aux œufs d’or de La Fontaine : la poule (la Bible) pond des œufs d’or (la parole de Dieu), on va la dépecer pour accéder à la mine d’or qu’elle a dans son ventre et on n’a plus rien.

Je distingue la Bible, comme document historique, de l’Écriture comme tâche à accomplir dans l’ordre d’une pensée scripturaire et de la parole de Dieu comme source d’inspiration dans les aléas de la vie. De l’une à l’autre de ces saisies, il y a le même saut qualitatif fini, le même dépaysement, que lorsqu’on passe de la macrophysique à la microphysique.

On ne peut aller, par un cheminement continu, de l’exégèse analytique à une théologie scripturaire synthétisante ni de l’une ou l’autre de ce deux dernières à la parole de Dieu qui est dispensation de sens existentiel.

Il faut aussi savoir, le moment venu, déposer son bagage exégétique et théologique pour recevoir les « paroles » bibliques dans leur force de renouvellement qui se joue des conceptions culturelles révolues dans lesquelles elles ont pu être exprimées primitivement. Quitte à revenir, une fois spirituellement enrichi, à l’inter­pré­ta­tion textuelle. Les exégètes et théologiens chrétiens ont, à mon avis, été d’abord touchés par la parole de Dieu (Écritures + Saint Esprit), mais leur spécialisation d’intellectuels occidentaux (ce que je ne méprise en rien) les en a, ensuite, éloignés, parfois irrémédiablement.

Je définis le Saint Esprit comme un obstacle créé par la rencontre d’une intelligibilité entièrement autre (celle de la grâce, redécouverte scripturaire de la Réformation qu’il serait consternant d’oublier). Un obstacle qui peut être opaque pour certains (je n’entre pas ici dans les explications avancées à ce sujet, mais je récuse, en tout cas, la conception calvinienne de la prédestination, je le dis dans mon livre). Mais pas pour tous, l’expérience de gens qui rebondissent contre cet obstacle de manière créative le prouve toujours de nouveau. Ton attitude rénovatrice pourrait en être un exemple.

Merci encore d’avoir lu mon livre* et de m’en avoir parlé, je vais en faire autant pour les textes que tu m’as envoyés avant de te répondre sur ce sujet.

* Entendre la Parole, éditions du Cerf

Je souhaite que tu puisses réaliser, pour toi et pour  nous autres, le travail que tu envisages sur le kérygme des hellénistes.  C’est une composante du judaïsme jérusalémite du 1er siècle qui n’est pas reconnue à sa juste valeur. L’é­vangile selon Matthieu, pourtant si hébraïque, cite souvent le Premier Testament dans le texte de la Septante.

En toute amitié,







20 janvier 2005



à Roger Parmentier

Cher Roger,

           

excuse moi si je réponds si tard à l’envoi de tes textes.

                        La paraphrase d’Amos, avec une traduction en face, est excellente. Dans ta paraphrase de la Source Q, je trouve lourdes les expressions qui rendent « royaume de Dieu ». Parlent-elles vraiment mieux au lecteur éloigné du patois de Canaan que « règne » de Dieu où « œuvre de Dieu » (qui est en cours, en nous et dans le monde) par exemple ? En tout cas, il est difficile ici d’éviter le mot de « Dieu ».

Dans l’ensemble, j’ai une réticence devant l’autocritique, voire l’au­to-flagellation, quand cela devient un parti-pris.  N’y a-t-il pas d’autres textes à paraphraser, dans les deux parties de la Bible, qui annoncent la délivrance imméritée, le pardon, l’amour de Dieu malgré tout, le relèvement du pécheur, l’espérance ?

La paraphrase de la Source Q fait ressortir ce qui nous apparaît aujourd'hui comme antisémite, mais cela l’était-il, au moment où ces traditions ont été mise par écrit, où il s’a­gis­sait de « déballages » entre Juifs ? En transposant ces querelles internes dans nos églises, rendons-nous service à l’annonce de ce qui se veut, dans son fond, une Bonne Nouvelle pour les Juifs d’abord et pour les non-juifs ensuite ?  Tu mets, en tout cas, le doigt sur un réel problème de bonne conscience chrétienne dont nos églises et même nos facultés de théologie ne se préoccupent guère. Il existe cependant une commission catholico-protestante de révision des textes liturgiques dans le but de revoir les expressions bibliques qui, dans la bouche de non-juifs  -c’est ça le problème-, sonnnent de manière antisémite.

À rendre le nom de Jésus par un nom plus proche de ses racines, Yéchouah serait mieux que Issa. La traduction serait « Sauveur ».

Les allusions que tu fais au kérygme des hellénistes donne envie d’en savoir plus. Je sais que tu y travaille.

La révision des paroles de nos chants d’assemblée a déjà été menée plusieurs fois par des personnes ou des équipes habilitées par nos autorités. Tu es plus radical et souvent heureux dans tes trouvailles. On éprouve un sentiment de soulagement à la lecture de plusieurs de tes textes. La christologie de l’ « Ami » a sa place ici, mais je souhaiterais quand même qu’elle ne règne pas seule.

Je ne peux pas m’étendre plus dans le cadre de cette lettre, mais je veux que tu saches que je t’ai lu (et relu), que je te relirai, sérieusement et avec sympathie. Comme tu le sais, je me situe sur une autre planète, mais je ne prétends pas qu’elle soit la seule viable. Je doute beaucoup de moi et suis loin de croire avoir dégagé si peu que ce soit l’avenir  de notre foi protestante (ne parlons pas de l’avenir de notre planète et de son humanité).

En toute amitié et avec des vœux sincères pour toi, ton épouse, tous les tiens et notre monde en ce début de 2005,



Jacques Gruber









Limeil-Brévannes, le 19 janvier 2015



 à Gilles van Eck



Cher Gilles,



(un de mes filleuls, haut fonctionnaire attaché à sa foi qui, au cours de nombreuses années, a accompli une tâche de bibliste dans plusieurs paroisses pari­siennes)



je reviens sur le texte de vos études bibliques sur Job dont je n'ai pas fini d'étudier les multiples aspects. Ton texte dénote que les participants de ces études bibliques (dont toi) avaient, une bonne connaissance générale de la Bible. 



Je te livre ici ce que cette lecture m'a apporté.



Ce n'est pas un texte qui utilise le tétragramme YHWH, Adonaï, Seigneur, mais emploie le nom d' Élohim (ou Éloah), c'est à dire le mot général pour "Dieu". Ce "Dieu" est proche de Job qui l'interpelle jusqu'à la fin où il se soumet (islam). En réalité, cette proximité respecte la distance infinie du Tout-Autre (K.Barth), mais Job, comme Abraham, n'a pas de médiateur.

                          

Ce n'est ni un livre de révélation ni un livre de Sagesse, mais de piété (comparable l'Imitation de Jésus Christ, à une tout autre époque). Il s'adresse aux "croyants", de façon générale, pas spécifiquement aux  membres de l'Alliance. Ce n'est pas pour le déprécier, mais pour le situer et souligner l'intelli­gence de l'avoir inséré dans le canon.



Le texte paraît faire du sur-place, il est redondant. Est-ce dû à la poétique hébraïque : le parallélisme, la répétition de la même chose non seulement en des termes différents, mais nouveaux qui font avancer la pensée ou est-ce le propre de l'auteur qui se laisse emporter par son imagination débordante ? La surabondance donne parfois l'impression d'être gratuite, de ne servir à rien. Le discours d'Élihou pourrait bien être un rajout. La forêt peut empêcher de voir l'arbre: le "juste" mis à l'épreuve jusqu'à ce qu'il ait compris que tout juste qu'il soit il a besoin de la rédemp­tion, nous ne sommes pas sauvés par nos mérites (c'est paulinien).



Le Goël est un vengeur et un rédempteur, mais à venir, remis au dernier Jour. Les chrétiens y voient une figure messianique que Jésus réalise, mais les Juifs ne seront pas d'accord. Dimanche dernier, à l'Amitié judéochrétienne, un professeur d'u­ni­versité Juif nous a expliqué que, pour un Juif, il s'agit d'une conscience mess­ia­nique et de messianisme réalisé sur le plan social, plutôt que de la personne d'un Messie (les Juifs ont connu plusieurs préten­­dants à ce titre en dehors de Jésus de Nazareth, tu le sais).



La présence du Satan est un indice d'une époque post-exilique (vous l'avez bien noté). Peut-être d'une rédaction hors d'Israël par quelqu'un qui aurait eu des contacts avec des Juifs ? Marque-t-il une influence iranienne ? Explique-t-il ou complique-t-il le problème du mal ?



Le Béhémoth et le Léviathan sont des Bêtes à la manière de l'apocalyptique, mais le sens du Béhémoth n'est pas proprement apocalyptique, tu montres bien la différence: il provoque l'admiration pour la Création. Le Léviathan, lui, est digne de l'Apocalypse, dans une apocalyptique sans pitié, il fait figure de "fléau de Dieu", mais agissant de façon arbitraire, pour montrer sa force semble-t-il.



Je ne suis pas exégète et je n'ai pas pratiqué la sémiotique, mais je connais les principes de cette méthode. L'application que tu en fais donne des résultats en ce qui concerne le "sens" : le sens du texte  et le sens de notre existence. Ce n'est pas rien. Le carré de Greimas me fait penser aux équations où la solution se trouve dans les données du moment qu'elles sont bien choisies et bien disposées de telle sorte que le résultat égale zéro. J'ajoute ce que je t'ai dit au téléphone : le carré de Greimas est dynamique, on le comprend mieux quand il est tracé sous nos yeux que quand on le trouve inscrit sur une page.



En tout cas, je suis très sensible pour ce cadeau que tu m'as fait qui me rappelle des souvenirs toujours bien présents à ma pensée et pour lesquels je rends grâce.



Avec toute mon amitié qui englobe également Marion,









Jacques







Limeil-Brévannes, le 24 septembre 2006





à M. le rabbin Michel Serfaty,

aux bons soins de la Revue Sens,



Monsieur le rabbin,



                        à la dernière page de votre allocution  de l’Assemblée générale de l’AJCF du 22 mai 2005 sur Judaïsme et islam (publiée dans Sens, 2006/5, p. 288), vous interpellez les protestants.

 Il n’y a pas de « mouvement protestant », les protestants sont des Églises de diverses tendances, réparties à travers la planète, mais appartenant toutes à l’entité de l’Église chrétienne. Parler de « mouvement protestant » produit chez nous le même effet que pour des Juifs entendant, par exemple, parler de « géographie de la Palestine » quand il s’agit de « géographie d’Israël ». 

Je partage votre réserve concernant ce que les propos tenus dans cette même occasion (p. 266-267 de la revue citée) par ma collègue Florence Taubmann peuvent avoir eu d’excessif. Ils illustrent cependant un aspect du protestantisme : l’aptitude au regard critique sur soi-même, au décentrement de soi (le principe protestant selon le théologien Paul Tillich), qui mérite le respect et peut-être même de la gratitude pour l’a priori d’ouverture et l’aptitude à l’em­pa­thie, ainsi que la liberté de parole, qu’il apporte dans les relations avec les autres religions. 

« Le mouvement protestant n’a pas encore trouvé la bonne réponse pour accepter qu’Israël redevienne une réalité politique ». C’est exact. Cela ne tient pas à ce que nous nous réfugions dans la spiritualité, mais à la constatation toujours à nouveau faite que l’a­jus­te­ment entre la politique et le spirituel, auquel nous sommes nous-mêmes confronté, est toujours foncièrement insatisfaisant, voire contreproductif. Comment exiger de nous la réponse « bonne » à votre avis alors que nous refusons, pour nous-mêmes, les réponses qui ne relèvent pas avant tout de l’éthique (de l’éthique politique ou du politique). « L’éthique d’abord, la politique ensuite », telle est la position d’Em­ma­nuel Levinas, « la politique d’abord » (slogan maurrassien au départ) est celle de M. Chmuel Trigano.

Je vous prie, Monsieur le rabbin, de trouver ici l’expression de toute ma considération,



Jacques Gruber



pasteur à la retraite, membre de l’Amitié judéo-chrétienne du Val-de-Marne



[Le protestant qui n’adopte pas le sionisme chrétien des fondamentalistes, comprend qu’Is­raël soit à la fois peuple élu et nation géopolitique, mais il se heurte à une opacité intellectuelle et spirituelle persistante chaque fois qu’il constate que la mise en œuvre des stratégies et tactiques politiques de l’État d’Israël entraîne une suspension totale de l’éthique et de l’inspiration prophétique dont témoigne la Parole qu’il pense partager avec Israël.]





Limeil-Brévannes, le 17 juin  2007



à

M. Vittorio Varca,



Cher Monsieur,



Mme. Philibert, rédactrice de la revue LibreSens du CPED m’a communiqué votre Mémoire.

Je l’ai lu avec sympathie et intérêt. Votre travail de Maîtrise est du niveau du D.E.A. et je rends hommage à votre connaissance de notre langue (le « dessein » de Dieu, son « projet » pour l’humanité et pour le monde est l’ancien mot pour « dessin », cela vient de l’italien designo).

Vous avez vu que Luther, rompant avec la scolastique universitaire et ecclésiale de son temps, pense la Messe d’une façon que nous pourrions, grosso modo, qualifier d’exis­tentielle. Cela implique un changement d’an­thropologie. À ce sujet, avez-vous lu le De Homine de Luther  ? Je vous le recommande.

Le rapprochement que vous effectuez avec la réforme liturgique du pape Paul vi (actuellement remise en cause par certains) souffre de ce que le concile de Vatican ii, de l’avis même des spécialistes, reste ambigu. En plusieurs endroits, on comprend qu’il cherche à parler aux « forts » en évitant de troubler les « faibles » (pour parler comme l’apôtre Paul dans Romains 14). 

Ainsi, bien que vous qualifiez Luther de « révolutionnaire » (je parlerais plutôt de « réformateur », par opposition à « réformiste »), lui attribuez-vous, à l’égard de la tradition catholique, un « Non, mais » et lui accordez-vous, pour votre part, un « Oui, mais ».

La question cruciale est de savoir si l’on pense Substance ou Esprit, Grâce ou Pouvoir ? La vérité et la foi, « toujours en chemin » (le verbe « devient » prend la place du verbe « est » ou « subsiste », comme vous le soulignez), veulent que l’on reconnaisse là des termes exclusifs de toute coincidentia oppositorum, aucun acquis définitif. La conjonction de l’être humain et de Dieu en Christ s’étend-elle aux réalités ecclésiales comme par contiguïté substantialiste ou nous est-elle toujours de nouveau rendue actuelle par l’Esprit, à titre de spiritualité évangélique christique d’ordre pneumatique et charismatique ? Ensuite, entre Parole et Église, Écriture et Doctrine, qui est principe et qui est conséquence ? L’un découle de l’autre, nous ne pouvons les traiter ni comme des termes complémentaires ni comme des polarités.

Notre pratique protestante du culte et de la cène souffre aujourd'hui d’une contre productivité qui, pour être différente de celle dont la messe catholique est affligée, même après Vatican ii, font que Luther nous interpelle toujours encore.

L’idée de celui-ci, vous le dites bien, est que la Messe est Évangile. Cela veut dire « Parole mise en acte », « action pro-phétique », qui confère réellement ce qu’elle annonce. Elle est libératrice et, par là, source de gratitude (véritablement « eucharistie »). À ce propos, est-ce que Jésus « bénit » le calice (p. 145) ou prononce-t-il la prière d’action de grâce du père de famille Juif pour les bienfaits de Dieu, au cours du repas ?

Je vous suis tout à fait lorsque vous dites que cela conduit au témoignage, le  témoignage d’un vécu trinitaire,  mais, là où je vous suis moins bien, c’est lorsque vous posez, comme une évidence, que la liberté du chrétien se moule spontanément dans les formules doctrinales préétablies. La liberté évangélique est inchoative, ouverte, inventive, créative. Plus encore, elle est eschatologique au sens d’un suspens entre le déjà-là (la Tradition qui sert de point d’appui et de régulateur, mais non d’uniforme que l’on endosse) et le pas-encore : la disponibilité à toute éventualité prémonitrice du Royaume qui vient à nous, ce à quoi pourrait correspondre ce que vous dites du sacrement source d’interprétations.

En vous remerciant pour la bouffée d’air oecuménique que vous nous offrez, espérant ne pas avoir été injuste à votre égard et que vous ne vous laisserez pas décourager par les rebuffades dans le chemin où vous vous êtes engagé, je vous prie d’agréer mes bien fraternelles salutations,



                                                                Jacques Gruber





                           Limeil-Brévannes,  16­ mars 2013

           



Service Relations Téléspectateurs de France Télévisions
86982 Futuroscope Cedex

à l’attention de M. Yves Calvi

(à l'époque créateur et animateur de l'émission C'est dans l'air, sur la Cinq)



Cher Monsieur

nous avons suivi le C dans l’air du 15 mars dernier sur les religions.

Les protestants dont je suis (et qui sont plusieurs centaines de millions de par le monde et en progression –attendons de découvrir combien ils sont en Chine-) ont été rapide­ment expédiés. Ce sont eux qui ont apporté à l’Europe, l’Amérique et le monde la liberté de conscience qui vous permet de produire vos émissions aujourd'hui. C’est leur pression plusieurs fois centenaire qui a fini par amener les chrétiens catholiques à se recentrer sur la Bible, depuis Vatican ii, au milieu des années 1960.

Nous vivons cette liberté de conscience, de pensée et de parole sur le plan ecclésial c'est à dire que nous mettons nos principes en pratique. Nous avons tourné la page des institutions religieuses qui ont des hiérarchies de personnes, mais nous avons des hiérarchies d’assemblées élues ou des conventions populaires. A nos yeux, le fait qu’un chef d’Église soit en même temps un chef d’État contredit fondamentalement le message de Jésus. Les débats internes entre protestants ne diffèrent guère de ceux qui déchirent le catholicisme.

Si l’on veut donner aux chiffres une valeur absolue, l’Église catholiques a des millards de membres, mais cette masse connaît une déperdition constante qui n’est pas chiffrée. Le protestantisme, qui conçoit la foi comme se réalisant dans le travail sur soi, la travail professionnel, le travail dans l’Histoire, influe sur la société et la marche de l’His­toire par les penseurs non confessionnels qu’il leur donne : Locke, Rous­seau, Kant, Hegel, Marx, [Kierkegaard], Nietzsche, William James, les penseurs anglo-saxons de l’économie (Jean-Paul Sartre a reçu le baptême catholique, mais sa philosophie est une théologie protestante de la foi retournée).

Le Catholiques se plaignent que les Évangéliques leurs prennent du monde en Amérique latine : ils ont oublié de quelle manière brutale, aux xvi ème - xvii ème siècles ils ont catholicisé les populations locales.

Les protestants qui seraient, en général, en mal de Pape et de prêtres est un fantasme que je vois revenir de façon régulière dans ce genre de discussion depuis des décennies.

Le protestantisme a voulu être et est une religion sans prêtres [laïque en ce sens, mais confessionnelle au privé, pour la vie personnelle et communautaire ecclésiale] (comme le judaïsme et  l’islam, mais de manière plus clairement démocratique : il n’y a pas que des pasteurs élus à la tête de nos instances), cela nous permet d’être ouverts aux femmes et aux hommes comme Jésus l’était, ce que l’on constate en lisant les Évangiles. Je me demande ce que révèle la réaction de rejet à l’idée que des femmes puissent être des témoins ministériels du Christ.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués,





Jacques Gruber,

pasteur retraité, docteur en théologie,  auteur de Entendre la Parole. Le témoignage intérieur du Saint Esprit, et de « Vous serez mes témoins » Pour un temps de confusion et de mutation, aux Éditions du Cerf





à  notre conseillère presbytérale et à sa jeune fille (âgée de 12 ans)

Question de la fillette (vraisemblablement suggérée par un adulte)  à l'issue d'un culte : ‟J'ai lu la Genèse, mais je ne vois pas où placer l'Homme de Cro-Magnon ? ” :

Dimanche dernier, après avoir fait le culte, j'ai eu de la peine à comprendre immédiatement vos préoccupations et à y répondre. J'y reviens ici, mais ce sont de questions que l'on ne peut pas régler en quelques  mots.

L'esprit scientifique qui est celui de l'école explique la nature et la vie humaine. La Bible, elle, donne un sens à notre existence et à l'histoire. L'école et l'église jouent deux rôles différents dans nos vies, tous deux utiles et enrichissants, car nous vivons dans une civilisation scienti­fiquement avancée, mais qui a toujours de nouveau besoin de s'éduquer sur le plan humain­.

La Bible a été écrite il y a 3000 ans dans une civilisation ancienne non scientifique (exemple: nous ne connaissons l'Homme de Cro-Magnon [dont tu me parles] que depuis 100 ans donc la Bible ne peut pas en parler). L'esprit scientifique nous dit qu'il faut replacer les textes dans leur époque, ne pas leur poser des questions hors de leur esprit.

En ce qui concerne le premier chapitre de la Bible, ce qui importe c'est 1- de constater que l'ordre de la création (lumière et astres, terre et océan, plantes, animaux, être humain) n'est pas contraire à celui que décrit l'évolution; 2- que la Création a lieu par la Parole, par quoi elle signifie que tout est logique et donc exploitable par l'esprit logique.

"Dieu est une invention humaine" : il y a toujours eu beaucoup de "dieux" que les humains se sont donnés parce qu'ils en éprouvaient le besoin. À ce sujet, la Bible nous dit que nous avons tendance à vouloir être, chacun, comme un dieu (Genèse 3, 4-5) et cela se retrouve aujourd'hui encore en chacun de nous. Il faut nous comprendre nous-mêmes sur ce plan. Ce qui importe, ce n'est pas que les dieux soient des inventions humaines ou pas, mais ce que la Bible dit, le fait que ses paroles trouvent un écho dans le cœur des humains aujourd'hui encore et par­tout sur terre.

Jacques Gruber



28 juillet 2018





Éditions Labor et Fides , rue Beauregard 1, CH-1204 Genève





Chère Madame, cher Monsieur,



je vous prie de trouver sous ce pli un manuscrit intitulé Loyaux avec la Foi et envers nous-mêmes (couleur verte) que je confie à votre comité de lecture.



Si vous avez déjà reçu de moi un manuscrit sous le même titre (couleur rouge), veuillez le considérer comme nul et non avenu (ce qui semble être déjà fait à  la date d'au­jour­d'hui). La différence entre les deux manuscrits porte essentiellement sur le dernier chapitre (intitulé L'acquisition par la foi au lieu de L'Accomplissement).



Je suis un pasteur de l'Église protestante unie de France, docteur en théologie (Mont­pellier 1995), aujourd'hui à la retraite. Les Édition du Cerf ont publié deux livres de moi : Entendre la Parole (2003), Vous serez mes témoins (2009). Je souhaite être aussi édité par un éditeur protestant.



Le présent manuscrit est un texte court (cent pages avec une taille des caractères de 14) que je pense accessible à toute personne d'un ni­veau d'instruction courant, cultivée, un peu curieuse ou en recherche de sens. Texte court, mais substantiel.



C'est un témoignage évangélique qui se situe à distance du sec­ta­risme et une réfle­xion théologique qui se situe à distance du n'im­porte quoi. Sectarisme ou n'importe quoi, les deux maux dont souffre notre protestantisme. Texte confessionnel qui ne cherche à récu­pé­rer personne, il se termine sur une proposition qui peut répondre à la recherche qui s'ex­prime aujourd'hui à travers toutes sortes de pratiques (yoga, méditation). 



C'est un témoignage chrétien sur la foi ouverte à un monde moderne, multi­culturel :



a) un témoignage sur le moment charismatique de la Parole ;

b) une réflexion théologique guidée par l'analogie de la Parole (ou de la foi), à ne pas confondre avec le recours à des "doctrines bibliques" ;

c) des thèmes de l'histoire biblique traités (si faire se peut) par la concentration chris­to­logique qui est une mise en œuvre de l'accomplissement des promesses bibliques, sans appropriation de celles-ci ;

d) certaines des principales croyances d'Israël traduites par des sentiments.

[e) l'essentiel dans le miracle biblique n'est pas le miraculeux que l'on retrouve dans toutes les cultures, mais l'ouverture et l'appel aux autres venus de la transcendance personna­lisée -le Seigneur, le Père- qui est à  l'origine et à la fin de ce moment.]



Les trois premières indications sont classiques, [la quatrième et la cinquième sont nouvelles]. D'autres con­­­­ceptions sont originales, créatrices, non académiques  : notion d'entièreté, p. 88 et sui­vantes ; rappel des con­cep­tions "écono­miques" de la christologie, p. 18 et de la trinité, p. 69 ; péché originel et indépendance, p. 48 ; le sens de l'immanence plutôt que l'origine du mal, p. 50-53 ; con­vic­tions et senti­ments, p. 31 ; sentiment de l'éternité, p. 87, 92, 95, 100, notions d'environne­ment, p. 60 et d'e­ntourage, p. 99.





La théologie de la Parole pour laquelle la personne est dans et par une Parole (voir chapitre 2), non dans une substance, dont le sujet est dans notre réponse à la Parole et non en vertu d'un subjectum, permet de prendre ses distances avec les notions de "divin", de "sa­cré", avec l'héritage métaphysique occidental ancien (présocratiques, Platon, Aristote, Stoï­ciens, univers gréco-romain) ou moderne (Alfred North Whitehead, par exemple*) ou avec le monde religieux universel (l'univers païen en termes bibliques). La Gloire du Seigneur, n'est pas avant tout de l'ordre de la l'éclat, mais de celui du poids : peser son entier poids de Parole intelligible.

* Alfred North Whitehead (1861-1947), l'un des premiers mathématiciens du 20ème siècle, co-auteur avec Bertrand Russell (1872-1970), des Principia mathematica, sera au départ de la théologie du Process.



J'ai choisi de ne pas mettre de notes, mais des excursus  notés par des étoiles qui suivent immédiatement chaque paragraphe du texte concerné.



Il serait juste de donner leur chance aux ouvertures indiquées ici, qui ne sont d'ail­leurs pas des innovations à proprement parler.



Ci-joint, une copie de la table des matières qui indique les thèmes abordés et la démarche de la pensée.



Dans l'attente d'une réponse de votre part, veuillez trouver ici l'expression de mes sentiments les meilleurs,



Jacques Gruber



Table des matières de Loyaux avec la foi et envers nous-mêmes





1  La Foi, p. 5 : Une entière confiance, la trans­cen­dance, p. 5 ; Jésus ressuscité, p. 7  ; Loyaux envers soi et avec la foi, p. 9.

           

            2  L'Évangile, p.11 : Une intuition portée par un texte, p. 11 ; L'Évangile transbiblique, un guide, herméneutique, p. 12 ; Qui est Jésus pour nous aujourd'hui ?, christologie, p. 12.



3  La Parole, p. 15 : Je ne crois pas en "Dieu", je crois en la Parole de Vie, p. 15 ; Le témoignage intérieur secret du Saint Esprit, la trans­cen­dance, p. 17 ; La prédication, p. 18 ; Parole et Liberté, p. 19 ; Parole et Culture, p. 20 ; Convic­tions et sentiments, p. 21 ; Le passé et l'inaccompli, p. 22.



4  Le Rêve visionnaire de Jésus, p. 25 : Rêve et vision, p. 25 ; Le Royaume des cieux, la basiléïa, p. 25 ; Les Églises et le Règne, p. 27 ; La Vision du Règne , état des lieux, p. 28 ; La Vision du Règne, quelques aspects, p. 29 ; La Vision de Jésus à l'épreuve de la Croix, p. 31 ; Le péché, p. 32 ; Le mal, p. 33 ; Le Salut, p. 35.



5  Entrer dans la vision de Jésus - Être accueillis dans le règne de Christ , p. 37 : Le Christ, p. 37 ; Le moment paulinien, p. 37 ; Aujourd'hui, l'envi­ron­­ne­­ment,  p. 37 ; Comment entendre "être" dans l'expression "être en Christ" ?, p. 39 ; Discerner les temps, p. 42 (la concentration christologique) ; L'Esprit, la Trinité,  p. 43.



6  Les Témoins, p. 45 ; Ni élus ni saints, mais témoins, p. 45 ; Témoigner, p. 46 ; Annoncer à tous l'Évangile de la Récon­ci­lia­tion, p. 47 ; Attester en Église de la grâce, p. 48 ; Témoigner personnellement du don de la justice, p. 49.



7  L'Acquisition par la foi p. 51 ; L'acquisition du salut par le foi, textes bibliques p. 51 : Un environnement nouveau, p. 55 ;  La Nouvelle Alliance, p. 55 ; Un sens donné à nos vies, p. 56 ; Un sentiment d'espérance, p. 57 ; Une éthique, p. 57 ; Le sentiment de l'éternité ou de la Vie, p. 58 ; Tout au long de la vie, p. 60.

Texte complet sur loyaux.blogspot.com



année 2018



É Z É C H I E L

l'Évangile avant la lettre



Sur une terre d'exil, alors que ce qui lui était le plus cher au monde : le Temple de Jérusalem, avec l'Arche d'Alliance qu'il recelait, a été détruit et la ville rasée, sans que le Sei­gneur ne dise ni ne fasse rien pour l'empêcher, le prophète trouve des accents qui an­noncent l'Évangile pour soutenir l'espérance du petit reste d'Israël :

‟Celui qui pèche, c'est celui qui mourra. Le fils ne supportera pas les conséquences de la faute commise par son père et le père ne supportera pas les conséquences de la faute commise par son fils. Le juste sera préservé à cause de sa justice et le méchant sera con­damné à cause  de sa méchanceté.”(18, 20) ; (Ce n'est pas à cause d'une faute des parents ni d'une faute personnelle que cet homme est né aveugle, c'est afin que la gloire de Dieu soit manifestée, Jn 9, 3) ;

‟Dis-leur : Aussi vrai que je suis vivant, déclare le Seigneur, l'Éternel, je ne prends pas plaisir à voir le méchant mourir, mais à le voir changer de conduite et vivre.” 33, 11 (Convertissez-vous et vous vivrez, Ac 3, 19) ;

‟Voici ce que dit le Seigneur, l'Éternel : Je m'occuperai moi-même de mes brebis, je veillerai sur elles.” 34, 11 (‟Je suis le bon berger, le bon berger donne sa vie pour ses brebis”, Jn 10, 11) ;

‟Ce n'est pas à cause de vous que j'interviens, communauté d'Israël, mais c'est pour mon saint nom que vous avez déshonoré.” 36, 22 et 32  (‟Le juste vivra par la foi”, Rm 1, 17) ;

‟Je vais faire entrer en vous un esprit et vous vivrez”, 37, 5 et 6 (‟L'Esprit qui a ressuscité Jésus […] rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous” Rm 8, 11).

C'est ce message qui est au programme de nos prochaines études bibliques.











J. et C. Gruber                                   le 18 décembre 2018





Chère Françoise,

merci pour ta lettre si vivante. Elle nous apporte de fortes nouvelles, celles de Bruno et de Mathilde d'abord, mais aussi de ton rêve d'établissement et de relations qui prend forme à Bourg-même et pour lequel nous voulons contribuer par la pensée et la prière.

Côté ministère et paroisse, la Chouette nous tient au courant et nous permet de t'ac­com­pagner dans tes multiples engagements. Je suis particu­lière­ment heureux à la pensée que tes livres puissent trouver leur public.

Le protestantisme français n'est pas une Église uniformément répandue sur le territoire, elle est globalement un semis de paroisses issues de la persécu­tion [*] (particu­lièrement sévère dans l'Ain). - Nous n'avons l'autorisation de tenir des synodes que depuis 1871 -. Ce sont  des vestiges que l'on organise comme on peut. Aujourd'hui, les grandes villes sont privilégiées, mais les grandes Églises ne se mesurent-elles pas à l'aune de la fidélité à la Parole, plutôt qu'à celle de la densité ?

Que cette période, où nous fêtons à nouveau la Nativité, soit pour nous tous un renouvellement : ‟Paix sur la terre et bonne volonté envers les êtres humains, ils sont l'objet de la prédilection du Père” (Luc 2, 14 tel que je le reçois). Nous pensons particulièrement à toi et à Céline Sick [pasteure] qui découvre Boissy.

De notre côté, Cécile a de la peine à remonter la pente […] . Elle vit dans une patra­querie récurrente qui est mo­ra­le­ment et physiquement pénible à supporter.

En ce qui me concerne, j'ai publié récemment un texte sur internet (loyaux-avec-la-foi.blogspot.com). Je souhaite que tu puisses le lire si tu as un moment de tranquillité.

Lorsque tu passeras par ici, fais un crochet jusque chez nous, tu sais que tu y sera toujours la bienvenue et bien plus encore.

Cécile se joint à moi pour te redire notre affection et pour t'embrasser,



Jacques et Cécile



[* La principauté d'Orange, dont le prince était protestant a été un refuge pour les huguenots français jusqu'à ce que Louvois y envoie ses dragons et que Louis 14 l'annexe. Les princes d'Orange, avaient déjà cherché fortune ailleurs (Guillaume le Taciturne) et fondront la  maison royale (protestante) des Pays-Bas. Aujourd'hui ce sont deux paroisses  -Orange et Carpentras- qui ont Mar­seille pour centre régional, ce qui n'a plus aucun sens géographique ni historique.]





pour le culte du 3 février 2019 à Boissy-Saint-Léger





Chers amis du culte,

Il y a 29 ans, nous participions pour la première fois au culte qui se tenait alors dans une salle de classe du Lycée Bernard Palissy.

J'ai très tôt été sollicité pour présider des cultes dans cette salle.

Plus tard j'ai baptisé et marié à plusieurs reprises, à l'instigation de Françoise Mési, devenue une collègue, j'ai fait un cycle de causeries sur le sens de l'existence, ensuite un autre cycle sur l'histoire de l'Église, pour finir par des études bibliques sur Ézékiel.

Toujours accompagné et soutenu par Cécile, mon épouse à qui je veux rendre hommage aujourd'hui.

Puis la paroisse a grandi, elle s'est profondément renouvelée au cours des années, elle a reçu en cadeau le beau temple où vous êtes à cette heure, elle a connu son premier, puis son second pasteur, sous l'autorité bienveillante du conseil presbytéral qui, lui aussi s'est renouvelé, a reçu un sang nouveau dont nous avons-nous-mêmes été fortifiés.

Aujourd'hui, c'est à nous de vous dire au-revoir, mais cela ne rompra pas notre communion,

nous vous embrassons

Jacques et Cécile









HOMMAGE  A  CHARLES  HAUTER  (1888-1981)



En réponse à une demande de l'une de mes sœurs, Mme Jeanne Ledoux : ‟Peux-tu me dire quelle était la théologie d'oncle Charles ?”



Reconnaissance de dette : Le 2 octobre 1948, étant en séjour à Strasbourg, mon oncle Charles Hauter, alors doyen de la faculté de théologie protestante de cette ville, rescapé de Buchenwald, dont un des fils, André, était décédé au camp d’extermination de Dora, auteur d’un Essai sur l’objet reli­gieux, du Pro­blème sociologique du pro­tes­tan­tisme, de L’Esprit du culte pro­tes­tant et de rares études dans la Revue d’histoire et de philosophie religieuses de Strasbourg, m’avait invité à pren­dre un pot à l’Aubette. C’était surtout lui qui parlait. Mesurant l’im­por­tance de ce qu’il m’a­vait dit, j’ai rédigé, le soir même, ce que j’avais retenu de son pro­pos. Je reproduis ici ces notes d’il y a soixante ans, sans aucun changement. J’étais alors âgé de vingt-trois ans.



« Le fondement de la dogmatique chrétienne est le plus souvent inconsistant et la dogmatique, de ce fait, peu solide (magistère de l’Église dans le catholicisme, conception obscure de la révélation dans le protestantisme). Il faut donc fonder la dogmatique chrétienne et remettre, par cette opération, les divers articles de cette dernière dans leur véritable perspective. Une religion se caractérise par un absolu (Dieu). Á ce titre, le bouddhisme, qui n’impose aucun absolu et place toute sa confiance dans l’homme comme une philosophie humaine que Schopenhauer pourrait assez bien représenter chez nous (Schopenhauer qui situe sa confiance dans la volonté) n’est pas, à proprement parler, une religion alors que le marxisme en est une.

Or, qu’un absolu soit caractéristique d’une religion, implique que cet absolu puisse se manifester. Un absolu ne peut être le fruit d’une conquête rationnelle. La conquête ra- tionnelle n’est jamais que l’apanage du relatif auquel on peut remonter de la périphérie vers le centre grâce au raisonnement. L’absolu est isolé, comme une île, sans relations de continuité ni de contiguïté, avec le continent. Il ne peut être que le fruit d’une révélation. La révélation sera en cela le critère de la religion.

Assurer le fondement de la dogmatique chrétienne consistera à analyser la notion biblique de révélation. Non pas expliquer ni démontrer, ni seulement constater cette révéla­tion, mais l’analyser. Ceci afin de faire ressortir le caractère spécifique de la révélation biblique.

_________



Cette analyse devra se faire dans la direction suivante : le réel représente l’en­semble de ce qui est révélé à l’homme, or, le réel se révèle essentiellement en tant qu’obstacle. L’ensemble des faits qui vont dans le sens de l’homme est constituent, si l’on peut dire, sa pente naturelle, ne l’affecte pas et nous n’en avons nulle connaissance. Mais les faits qui nous font obstacle, nous arrêtent, éveillent notre conscience qui n’a de repos que lorsqu’elle par­vient à la connaissance. La connaissance réside dans un recul de l’ob­stacle par rapport au sujet, recul qui fonde le réel. La connaissance, ainsi mise en branle, tend à devenir science et le devient lorsque l’obstacle se sera suffisamment éloigné du sujet pour devenir un objet parfaitement objectif, c'est à dire, lorsqu’il n’y aura plus rien de l’objet dans le sujet, ni du sujet dans l’objet.

Dès les premières pages de la Bible, nous voyons l’homme rencontrer un obstacle, avoir une révélation. Adam et Ève, voulant se faire semblables à des dieux, se heurtent à l’interdiction divine de devenir des dieux. Ainsi, Dieu devient obstacle, révélation, objet d’une science qui est, justement, la théologie et, particulièrement, la dogmatique. L’objet de la dogmatique est unique et simple : Dieu.

La révélation biblique résidera dans le heurt de l’homme contre Dieu, heurt qui revèle Dieu à la conscience et provoque le recul entre l’homme et le réel, ce recul dont nous parlions précédemment et qui, en l’occurrence, s’appelle : Sainteté de Dieu. Cette sainteté est toujours la réalité par laquelle nous saisissons Dieu, dans laquelle Dieu se révèle (exemples : la voca­tion de Moïse, la vocation d’Ésaïe). L’obstacle auquel nous nous achoppons c’est que nous voulons être de saints, nous voulons être des dieux.

Une telle conception de la dogmatique était implicitement contenue dans la liturgie strasbourgeoise adoptée par Calvin suivant laquelle nous disons [dans le texte de la confession du péché] : « Nous confessons devant te Sainte Majesté (…) [que nous sommes] incapables par nous-mêmes d’aucun bien ». Il est regrettable qu’aujourd'hui la liturgie ne rappelle pas plus fortement cette Sainteté, ne nous achoppe pas plus et ne nous secoue pas plus, car nous venons écouter le sermon sans que Dieu soit vraiment présent. »



Texte publié par moi sur Internet : theologie-deconstruction.blogspot. com



ciens co[1] Dans une lettre de 2001 , André Devaux signale à Robert Chenavier  un article de Dorothée Sölle, ‘‘Aktualität Simone Weil’’ paru dans le Merkur de mars 1979, pp. 287-290. La bibliographie de son Simone Weil, une philosophie du travail, Le Cerf, Paris, 2001, p. 665, mentionne : Dorothée Sölle, Mystik und Widerstand, Hambourg, Hoffmann und Campe Verlag, 1997.




Témoin chrétien  ?

La situation varie selon les lieux et les temps, parlons de nous, ici, aujourd'hui.

Une chrétienté de plein vent comme la nôtre est, par excel­lence, le temps des témoins.

Nous ne sommes pas témoins, nous le devenons, cela nous est donné et c’est un devenir permanent.

Est-ce à la suite d’une décision unilatérale ou de la rencontre entre une situation personnelle et un appel qui retentit de diverses manières dans le Nou­veau Testament : « Allez, prêchez et dites : Le royaume des cieux est proche », Mt 10, 7 ; « Vous serez mes témoins » (Ac 1,8) ?

La bonne volonté suffit-elle ou ne représente-t-elle pas plutôt un handicap ? Soyons lucides :  nos concitoyens peuvent bien ranger l’expression publique de notre foi avec les discours, les publicités, les spectacles, les imaginaires, les témoi­gnages, la dérision, qui le sollicitent de toutes parts. En quoi s’en distinguerait-elle ? Pourquoi bé­né­ficierait-elle d’un traitement à part ?

Il est aussi nécessaire que nous soyons au clair sur notre propre cheminement : la part des lieux, des personnes, des circonstances (et quelles ont été préci­sé­ment celles-ci), et la part revenant à la parole de Dieu ?

Le témoignage est-il notre projet ? Se commande-t-il ? Se planifie-t-il ?  N’est-il pas im­promp­tu ? Dans le meilleur des cas, nous nous trouvons brusquement devant une demande le plus souvent non formulée, mal formulée ou indirecte, il faut être capable de deviner, par un amour véritable de notre prochain, ce qui est en cause et d’accepter le dérangement que cela provoque dans notre planning.

Le témoignage chrétien est en acte et en parole. Ce sont souvent nos compor­te­ments (individuels ou relevant de l’Église) qui, à notre insu, attirent l’atten­tion et nos comportements (individuels ou ecclésiaux) qui, au vu et au su de tous, in­fir­ment notre parole.

Le témoignage peut être d’un moment et il peut s’insérer dans la durée. Les échanges que nous pouvons avoir, suite à un premier contact, ont-ils pour but de dé­livrer une doctrine de salut, ou bien d’amener, avec l’aide de l’Esprit, notre interlocu­teur à dire de lui-même et non sur notre parole : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu » (Mc 15, 39), « Il est réellement ressuscité » (Lc 24, 34).

Le témoin a besoin d’être clair sur son projet : son témoignage doit-il conduire à l’Église ou a-t-il pour effet de permettre à une personne de donner une libre réponse au Dieu de Jésus Christ, réponse propre, pour des engagements personnellement con­sentis ? Sommes-nous mus par une éducation religieuse ou par notre contempo­ra­néi­té avec Jésus, le Messie (Christ), Sauveur et Seigneur, que sa parole, scellée en notre plus intime par le Saint Esprit, rend actuel ? La foi que nous nous sentons appelés à présenter est-elle transmission de traditions ou confiance en une Personne ? Les con­te­nus et les comportements de foi que nous proposons éventuellement doivent-ils être au-dessus de tout doute ou relève-t-ils de la vérité vivante du « malgré tout », du « en dépit de tout » ?

Sommes-nous les témoins d’une histoire sainte continuée ou sommes-nous les témoins d’un message (l’Évangile) ? Annonçons-nous des prodiges ou annonçons-nous la Bonne Nouvelle ? Par le fait, une seule et même Parole, déclinée de multiples façons : « Lève-toi, relève-toi, rele­vons-nous ! ».

Concernant ce que peut être notre témoignage (individuel, communautaire) ici et aujourd'hui, la protestation de Kierkegaard, relayant 1 Co 1, 17-31, me paraît plus que jamais de mise : le christianisme est scandale et folie. Scandale pour les gens de reli­gion, de piété, de tradition ; folie pour les sages, les intelligents, les esprits forts, alors que pour celui qui vit de la parole de Dieu interprétée par l’Évangile, il est « sagesse, justice, sanctification et rédemp­tion » (verset 31).

Cette vieille nouvelle est formidable. C’est pourquoi nous devons aussi nous attendre à des effets en retour, des contrecoups : le témoignage n’est pas payant, au con­traire, il y va de notre tranquillité, de notre liberté, parfois même de notre vie. De toute manière, le témoin qu’il peut nous avoir été donné d’être une fois est appelé à s’effacer : « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jn 3,30).

Jacques Gruber, 10 mai 2014, rédigé à la demande du journal La Croix

HOMMAGE À PAUL  RICOEUR
 François-Xavier Amherdt, L’herméneutique philosophique de Paul Ricœur et son importance pour l’exégèse biblique. En débat avec la New Yale Theology School, Éditions du Cerf, 2004, 871 p.
F-X.A., prêtre et théologien catholique suisse, réunit ici  deux thèses (philosophie et théologie) consacrées à l’her­mé­neu­tique de Paul Ricœur (P.R.). Le sujet est traité en trois parties : 1) l’her­mé­­­neu­tique philosophique de P.R. ; 2) son herméneutique biblique ; 3) l’hermé­neu­ti­que de P.R. en débat avec l’École théologique de Yale et sa reconnaissance par la Commission biblique pontificale (« L’in­ter­prétation de la Bible en Église »). Une importante bibliographie (191 p.) et des index complètent le volume.
Nous possédons là une étude très complète, sans être définitive, qui poursuit quatre buts : 1) proposer une synthèse de l’herméneutique biblique de P.R. qui n’a encore jamais été réalisée ; 2) présenter l’apport des cinq textes américains de P.R. sur l’herméneutique traduits pour la première fois, avec l’accord de P.R, par F-X.A (Éd. du Cerf, 2001) ; 3) montrer, contre les théologiens de Yale, que P.R. a raison de ne pas séparer herméneutique philosophique et biblique en présentant leurs continuités et leurs discontinuités ; 4) com­me­nter l’accueil fait à l’herméneutique biblique de P.R. par la  Commission biblique pontificale. 
P.R. a toujours maintenu son rapport croyant à la Bi ble ; il atteste que la foi biblique a été pour lui une motivation à la philosophie, la philosophie, en retour, menant aux sources de la théologie ; il a témoigné de « sa foi dans le pouvoir irrésistiblement novateur de la parole de Dieu à chaque époque et pour chaque situation de nos vies » (F-X.A.) en mettant en évidence ce qu’il appelle « l’arc herméneutique » qui consiste dans a) notre précompréhension des textes (la naïveté précritique, mimèsis i), b) faire droit à toute critique et à tout soupçon (mimèsis ii), c) la compréhension (une naïveté seconde, postcritique, qui s’accompagne du passage de l’identité à l’ipséité et permet une appropriation, mimèsis iii) ; affirmant ainsi la possibilité d’une sortie du désert critique pour une nouvelle écoute du kérygme biblique et les transformations qui en découlent.
La Nouvelle École théologique de Yale (G Lindbeck, P Holmer, H Frei, R Thiemann, D. Kelsey) reproche à P.R. des présupposés philosophiques et récuse l’arti­cu­lation entre les herméneutiques philosophique et biblique. F-X.A, tout en reconnaissant qu’il reste des objections auxquelles il n’a pas encore pu être répondu,  se range du côté de P.R. pour qui ces deux herméneutiques s’entrecroisent. Le texte biblique canonique est un phénomène linguistique et littéraire comme les autres même s’il reste un cas particulier et unique de poïèsis (effet générateur) et de polyphonie textuelle (P.R., philosophie oblige, se disant plus sensible aux textes sapientiaux qu’aux autres). P.R. rend mieux compte des effets propres du texte biblique que les théoriciens de Yale. Se situant au confluent de la phénoménologie, de l’hermé­neu­ti­que et de la narratologie, il occupe une place de médiateur.
Le document pontifical, pour sa part, reconnaît l’importance et l’utilité du travail de PR. pour la foi chrétienne. Accéder aux demandes de F-X.A. (que P.R. se prononce sur l’his­­­to­ricité de la résurrection du Christ, l’œuvre de Dieu, l’ac­tion du Saint Esprit), consisterait à demander à P.R. de ne plus être philosophe ou d’être un philosophe chrétien au lieu d’un chrétien philosophe.
Saluons un livre dense, érudit et clair qui rend un hommage justifié à Paul Ricœur sur cette partie importante de son œuvre qui concerne l’herméneutique : « L’un des penseurs grâce à qui, au cœur de la modernité corrosive, l’homme est appelé de nouveau par le pouvoir transformateur des textes de la Révélation, suscitant en lui un acte créatif d’interprétation et un témoignage nouveau ». 
                             Jacques Gruber
(publié dans Libre-Sens






 Lisez la suite sur :  Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com