vendredi 21 avril 2017

année 2016




Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com




JANVIER  2016

LE  TEMPS  DES  PÉRES  ET  DES  CONCILES
les cinq premiers siècles
L'Église Orthodoxe et l'Église Catholique telles que nous les connaissons, sont issues d'une culture qu'elles ont-elles-mêmes contribué à créer. Les cinq premiers siècles sont ceux des Pères et des conciles.
Les Pères
On donne le nom de Pères à une centaine de penseurs ou de collectifs qui s'étalent sur cette période et qui sont reçus dans les Églises comme une référence pour l'orientation de la pensée chré­tienne. On parle de Pères grecs ou de Pères latin selon la langue qu'ils emploient. Parmi les prin­ci­paux, je citerais, entre les Pères grecs : Irénée (130-202), Origène (185-252/254), Athanase (295-373) et entre les Pères latins : Tertullien (155-222), Cyprien (début  du 3ème siècle-258), Jérôme (347-419/420), Ambroise (340-397)  et Augustin (354-430). Plusieurs de ces Pères ont été canonisés, mais pas tous.
Dans leurs écrits, les Pères combattent surtout les religions rivales (le judaïsme entre dans cette catégorie), les dé­via­tions ou les hérésies. Ils sont ainsi pour nous des sources pour la connaissance de ces dernières : les gnostiques avec Irénée,  l'arianisme avec Athanase, le mani­chéisme  ou le donatisme avec Augustin.
*gnostiques : le salut par la connaissance des mystères; arianisme : Jésus n'est pas Fils de Dieu, mais le plus grand des prophètes ; manichéisme : l'existence du mal s'explique du fait qu'il y a un Dieu souverain qui est Bon et un sous-dieu qui est mauvais ; donatisme : rigoristes qui refusent de réintégrer dans l'Église les évêques qui ont apostasié durant les persécutions.
Origène et Jérôme sont les premiers biblistes. Origène préconise d'interpréter les textes bibliques qui heurtent la raison comme des allégories (il est aussi le père de l'apocatastase, conception classée comme hérétique, selon laquelle à la fin du monde l'humanité entière sera rachetée). Jérôme traduit la Bible entière en latin (la Vulgate), traduction qui fera autorité dans tout le Moyen-Âge chrétien occidental. C'est Athanase (295-373) qui écrit la fameuse phrase : " Dieu s'est fait homme afin que nous devenions dieu" (De l'Incarnation du Verbe, écrit vers 318) et qui donne la liste des livres du Nouveau Testament qui sera cano­nique.
Tertullien qui se présente d'abord comme l'éloquent avocat des chrétiens, finira par adhérer au Montanisme (des Pentecôtistes de l'époque). Cyprien, Ambroise et Augustin sont d'âpres dé­fen­seurs de l'autorité de l'Église (Cyprien : "Hors de l'Église, pas de salut"; Ambroise : l'Église censure l'empereur, Augustin; "Je ne croirais pas à l'Écriture si l'Église ne m'y poussait"). Augustin, après une jeunesse dissipée qui lui a valu d'être le père d'un garçon -Adéodat-, a fixé pour 1500 ans, en Occident, une éthique rigoriste de la vie sexuelle et du ma­riage. C'est lui aussi qui, par ses écrits sur la grâce (non reçus par l''Eglise), en controverse avec le moine Pélage, ouvre une réflexion et des débats qui vont traverser tout le christianisme occidental et restent toujours encore ouverts.
Les Pères lisent le Premier Testament dans la version des Septante. Dans leur ensemble, ils sont antisémites : la dispersion d'Israël est une conséquence de la non-recon­naissance de Jésus comme le Messie.

Les conciles
Il y a sept conciles œcuméniques *, parmi lesquels je retiens particulièrement le concile de Nicée (325), le concile de Constantinople (380 et 381) et le concile de Chalcédoine (451). Ces assises solennelles destinées à définir la foi chrétienne se sont principalement occu­pées de la Trinité (Tri-u-nité)** et du Christ. Trois Personnes (ou Hypostases) en un seul Dieu, deux natures (pleinement divine et pleinement humaine -excepté le péché-) en une unique Personne (l'Union Hypostatique), le "Christ", ce qui entraîne  la procla­ma­tion de Marie "Mère de Dieu" (theotokos), l'expression "peuple déicide" appliqué à Israël et provoque un retour du sacré. Ces défini­tions recourent à des catégories étrangères à la Bible (Divinité, divin, natures, substance ou essence, consub­stantialité, hypostases, Dieu est l'Être ***) et font preuve d'une puissance spéculative qui mérite, aujourd'hui encore, l'intérêt des phi­loso­phes.
* Nicée 1 (325), Constantinople 1 (380-381), Éphèse (431), Chalcédoine (451), Constan­ti­nople 2 (553), Constantinople 3 (680-681), Nicée 2 (747). Après la séparation entre l'Église orthodoxe et l'Église catholique (au 11ème siècle), l'Église romaine continue de qualifier d "œcuméniques" ses conciles généraux particu­liers.
** La " Sainte Trinité" deviendra une expression équivalente pour "Dieu", en quelque sorte son Nom, ce qui nous éloigne définitivement du "Je suis qui Je suis" d'Exode 3, 14.
*** Pour le néopythagorisme et le néoplatonisme Hypostase signifie  Sujet transcendant. Le concile de Nicée emploie hypostase pour substance, essence, le même mot, au concile de Chalcédoine, signifie personne. En ce sens, l'Église elle-même deviendra une hypostase.

Nombre de chrétiens aujourd'hui pensent que l'on devrait se débar­rasser de ces dogmes qu'ils ne comprennent plus. Nous devons sans doute leur refuser l'autorité extérieure impérative de "décrets", mais il ne faut pas jeter le bébé avec le bain. Un texte tel que : " Personne ne peut dire : Jésus est le Seigneur, si ce n'est par le Saint Esprit" (1 Co. 12, 3 ou encore 2 Co 13, 13) contient bien la substance de la Trinité (on parlera de la "trinité économique", c'est à dire : dans le vécu de la foi) et d'une christologie, mais nous sommes ici dans un cadre biblique et dans l'analogie de la foi (comme le définira Karl Barth, dans sa Dog­ma­tique de l'Église, 1945-1968*). Pareil texte, écrit vingt-cinq ans après la Pentecôte initiale possède une bien plus forte empreinte apostolique que les déci­sions de conciles qui se sont tenus trois ou quatre cents ans plus tard.
* K.Barth oppose l'analogie (le discours) de la foi à l'analogie (le discours) de l'être.
Les définitions dogmatiques, la lutte contre les hérésies et l'expansion de la vie érémitique cachent la vie cou­rante des chrétiens de cette époque. Un écrivain comme Celse (philosophe grec du 2ème siècle), pourtant opposé aux chrétiens, reconnaissait, dit on, leur activité caritative et leur puis­sance compassionnelle.
LA CATHOLICITÉ  ROMAINE
            On traduit ordinairement "catholique" par universel. Universel étant entendu comme ou­vert à tout peuple, toute nation, toute langue. Mais le mot renvoie à une seconde interprétation : l'É­glise est kat' holon, "selon le tout", elle concerne l'être humain tout entier, rien de ce qui est humain ne lui est étranger, elle englobe l'universalité, elle est totalisante. 
Cette conception totalisante se renforce par une dévolution de pouvoir absolu ap­puyée sur les versets de Matthieu 16, 18-19* : le pouvoir des clés qui lie l'action de l'au­to­ri­té de l'Église à l'éternité.
* Il est difficile d'entrer ici dans l'exégèse de ces versets à visée politique. Je me contente de renvoyer aux paroles de Pierre lui-même, dans 1 Pierre 2, 4-6, où la pierre angulaire qui fait tenir ensemble toute l'Église est le Christ  Jésus, chacun de nous étant l'une des pierres vivantes de l'édifice. Pour Paul, le seul fondement de l''Eglise est Jésus (1 Co, 3, 11et encore dans Éphésiens 2, 20).
Elle s'accompagne d'une idée de sacrement agissant par lui-même découlant de la notion de succession apostolique. (les papes sont les successeurs historiques et sacramentels de Pierre, les évêques sont les successeurs légitimes des Apôtres).

Ainsi naît une Institution sacerdotale hiérarchique qui est l'intermédiaire obligé du salut en vertu de pouvoirs étendus sur la foi (l'orthodoxie) et les mœurs (l'orthopraxie), sur la politique intérieure à l'Église (Saint Siège) et extérieure de l'Église (Vatican), sur les Écritures. L'Église se considère comme ayant autorité sur les Écritures parce que c'est elle qui a fixé le canon. Forte de cet argument, elle peut décider si les chrétiens peuvent lire ou non la Bible et du sens à donner aux textes, elle peut même modifier au besoin jusqu'aux paroles de Jésus. Le canon occidental de l'Eucharistie dit : "Cette coupe est le sang de l'alliance nouvelle et éternelle" : cet petit ajout n'est pas  anodin, il a une grande portée, il signifie qu'il ne pourra désormais plus y avoir d'autre al­liance nouvelle (ou d'autre renouvellement de l'Alliance).
Les aléas de l'histoire, que l'on ne peut narrer ici, ont eu des effets providentiels. Le siège de l'Église décrite plus haut s'est établi à Rome. Au moment où Constantin à quitté cette ville pour installer la capitale de l'empire à Byzance (il conservera une antenne avec l'exarchat de Ravenne) le rapprochement entre le pouvoir du pape et le pou­voir politique s'est produit. La double autorité du pape chef d'État (le Vatican) et chef d'Église (le Saint Siège) subsiste aujour­d'hui où elle peut faire figure d'anomalie. En tout cas, le pape Paul 6 (1963-1978) abandonnera la tiare, double couronne royale et impériale que portaient les Pontifes romains, pour une mitre d'apparat.
Lorsque Théodose le Grand (général d'origine espagnole) accédera à l'empire (à Cons­tan­tinople), il aban­don­nera l'un des titres portés traditionnellement par l'empereur, celui de Sou­verain Pontife, au motif que c'était un titre païen (l'empereur était le Chef du collège des pontifes : prêtres aux rites desquels était confiée la solidité des ponts construits dans l'empire), le pape se l'ap­pro­priera. Un faux datant de la seconde moitié du 8ème siècle, dit Donation de Constantin, déclarera même que l'empereur, quittant Rome pour Byzance,  avait remis le pouvoir spirituel et temporel sur l'Occident au pape romain. Cette fraude sera démontrée sans conteste au 16ème siècle par l'érudit Laurent Valla (1407-1457).
La romanisation de l'Occident aura des effets culturels notables sur l'Église et sur la société : le Droit écrit (opposé au Droit coutumier), l'importance donnée à la personne découlant de ce Droit, le goût des constructions monumentales, entre autre.
Ces diverses lignes aboutiront à la définition devenue classique en Occident de "La Sainte Église, catholique, apostolique et romaine". Plus on a besoin de mots pour parler de quelque chose plus on circonscrit et diminue celle-ci.
C'est de cette époque que datent les notions d'orthodoxie, d'hérésie, de schisme, de secte.
Jacques Gruber


FÉVRIER 2016

Pour bien comprendre qui nous sommes, pour quoi nous sommes, il faut connaître les grandes lignes de l'histoire de l'Église. Après l'Église de la Pentecôte, la Première Église, l'Église constantinienne, nous abordons l'Église du Moyen-Âge.

LE MOYEN-AGE : LA chrétienté

Le premier Moyen-Âge : 476-867

            476 : la fin de l'Antiquité est marquée par la prise de Rome par Odoacre (roi des Hérules) qui dépose le dernier empereur, Romulus-Augustule. Débute alors le Moyen-Âge que l'on divise en trois périodes: Premier Moyen-Âge (476-867); Apogée du Moyen-Âge ou Haut Moyen-Âge (867-début du 14ème siècle), Déclin du Moyen-Âge (fin du 14ème siècle)
            Ce sont des temps où il n'y pas de médecine (mais des maladies, la peste en parti­cu­lier), pas d'électricité, des problèmes d'eau et d'assainis­se­ment, pas de moyens de transport dignes de ce nom, pas de livres ni de journaux, très peu de "lisants", mais des bâtisseurs et des artistes.
            Les esprits sont crédules, la mentalité superstitieuse (univers de miracles, de légendes) et l'Église va en rajouter (bénédictions, guérisons, assomptions, stigmates).

* Rajouts : dogme trinitaire, dogme christologique, dogmes marials (im­ma­culée con­cep­tion de Marie, sa virginité perpétuelle, son assomp­tion -dormition chez les orthodoxes- ) ; l'au-delà : Ciel ou Paradis, Séjour des Bienheureux (ex Champs Ely­séens romains, lieux des béatifiés) purga­toire, limbes ; l'anthropologie religieuse : l'âme immortelle qui entre dans un corps (à quel stade ? : embryon ? fœtus ?), qui se détache du corps à la mort et attend la résur­rect­ion des corps pour le rejoindre; le péché originel héréditaire, l'infaillibilité pontificale, etc..
           
            En Occident, l'Église latine, va prendre la forme d'une théocratie fondée sur une hiérarchie de prêtres**

** Les cardi­naux  : sont les aides du pape, sur le modèle des dignitaires de la cour de Théodose le Grand. Il existe des cardinaux prêtres, diacres même laïcs (Mazarin), mais la règle est de les créer à partir d'évêques. Leur nombre fixé à 70 par le pape Nicolas 2 en 1059, est aujourd'hui de 90; depuis le pape Sixte Quint en 1586, il sont supérieurs au reste du clergé, ce sont le "princes de l'Église".
           
            Les Patriarcats : En ce début de Moyen-Âge, il existe cinq patriarcats : Constan­ti­nople, Rome, Jérusalem, Antioche, Alexandrie et, en Orient, des Églises nationales assez  libres (ou avec des traditions  hérétiques) dirigées par leurs métropolites. Ultérieurement (autour du 10ème siècle), un sixième patriarcat va se fonder en Russie, celui de Moscou. Constantinople est le Premier Pa­triarcat, mais Rome jouit d'une "primauté d'honneur" parce que la tombe de Pierre se trouve à Rome. Les patriarches et évêques se réunissent en conciles œcu­mé­niques pour les décisions qui engagent toutes les Églises.
            Il ne reste que peu de chose aujourd'hui des Patriarcats de Constantinople, Jérusalem, Alexandrie et Antioche : ils ont été réduits à presque rien par la conquête arabe (voir ci-dessous : la que­relle des images).
           
            La Papauté : En revanche, on observe la montée en puissance de la papauté en Occident sur le vide laissé par départ de l'empereur pour Byzance (et, plus tard, celui de Charlemagne pour Aix-la-Chapelle), elle a intérêt à se rapprocher du roi des Francs et à catholiciser l'Europe. La limite qu'elle va rencontrer, à l'Est de l'Europe, à partir du 10ème siècle, c'est le Patriarcat orthodoxe de Moscou qui a toujours craint la mainmise de Rome (aucun pape n'a été reçu en visite à Moscou, jamais, jusqu'à présent, le patriarche de Moscou n'est allé à Rome).
            À partir du moment où les Églises d'Orient et d'Occident seront séparées (au terme d'un long processus qui va de  867 à 1054), il n'y aura plus de conciles œcumé­niques, ce qui n'empêche pas Rome de qualifier  d' " ses conciles parti­cu­­liers.
            La Papauté romaine va se constituer sur le modèle d'un pouvoir absolu international centralisé qui unit un pouvoir spirituel (voir, ci-dessous : le système pénitenitel) et un pouvoir terrestre (avec des terres et une armée, en Italie) ce qui va conduire à des frictions avec les souverains nationaux dont il y aura lieu de reparler. Le latin est la langue de ce nouveau Pouvoir.

            La catholicisation de l'Europe : Traditionnellement, on parle d'évangélisation de l'Europe, mais cette façon de parler est-elle convenable quand on sait qu'il s'agit de popula­tions entières qui ne savent pas lire, qu'il n'existe pas d'édition de livres et que la langue biblique est le latin, non celle des peuples autochtones ? Ce n'est pas le Nouveau Testament qui est distribué et lu, ce sont les doctrines principales de l'Église qui sont inculquées (avec parfois un accompagnement de miracles) ainsi que les rites qui doivent sacraliser les moments de l'existence, rythmer les saisons. Certaines divinités locales et leur culte sont christianisés.

            La doctrine de l'unicité de Dieu posait un problème quant à l'origine du mal -ne rermonte-t-elle pas à Dieu ?-, c'est de là que découle l'appellation du "Bon" Dieu, d'où : les "bons Pères", les "bonnes" sœurs.

            Le système pénitentiel : dans la même période, se met en place le système pénitentiel fondé sur le pouvoir des clés selon Matthieu 16,19*.
            Ce système comporte a) la confession auriculaire, suivie de l'accomplissement d'une peine dont dépend l'absolu­tion finale**; b) la distinction entre péché originel et actuels, véniels et mortels; c) les sacrements (des rites agissant par eux-mêmes) ; d) le début de la théologie des mérites personnels. 
            Par là, se met en place un contrôle social étroit si l'on songe qu'il s'adresse à des populations toujours largement anal­pha­bètes*** et que l'ensemble des droits civils et religieux dépend de l'absolution.

* Je n'entre pas dans l'exégèse de ce texte qui fait manifestement partie des ajouts politiques de la première Église. Il suffit de renvoyer à ce que Pierre écrit lui-même dans son Épître : la pierre angulaire de l'Église est Jésus Seigneur et Sauveur, nous sommes les pierres de l'édifice (1 Pierre 2, 4-10).
** En Israël : conversion (techouvah) suivie du tikkoun (réparation du tort que l'on a créé).
*** Les rares manuscrits sont dans les couvents (ci-dessous : La Règle bénédictine); les sculptures des églises servent à un catéchisme rudimentaire qui  insiste sur le Jugement dernier -avant les vitraux des cathédrales-), et mêlent les récits bibliques à des légendes, des superstitions, que l'Église "christianise" (traditions locales actuelles).

496 à Noël, à Reims, l'archevêque Remy, baptise Clovis, roi des Francs (481-511)*

* Lors de son premier voyage en France, le pape Jean-Paul 2 a eu cette parole inaugurale : "France, qu'as-tu fait de ton baptême ?". Dans le monde de l'absolutisme royal, on a la religion du souverain (jusqu'au 18ème s., il est difficile d'accepter un statut pluraliste du genre de celui qu'a voulu établir l'Édit de Nantes).

vers 520, Denys Le Petit calcule le début de l'ère chrétienne (avec une erreur de six ans : Jésus   naît en moins 6).

529 La Règle bénédictine (Benoît de Nursie au Mont Cassin) exige la stabilité locale (les moines sont tenus de se rattacher à une communauté, fin de leur divagation); elle impose des vœux perpétuels de chasteté et d'obé­is­sance; elle partage le temps conventuel entre travail et prière. Ainsi vont-ils défricher la forêt d'Europe pour dégager des terre cul­ti­vables, base de la prochaine richesse de l'Europe, et recopier les manuscrits bibliques* et autres, en­traî­nant l'apparition de l'esprit d'entreprise -produits agricoles, herboristerie médi­ci­nale, liqueurs-, de rentabilité et d'étude, qui va ca­rac­tériser l'homme occidental). Les cou­­vents s'enri­chissent en terres et en fortunes puisque chaque moine faisait don de son héri­tage au couvent. Au 16ème siècle, la moitié de l'Allemagne appartient à l'Église

 * Ainsi ont été préservés les textes bibliques du Nouveau Testament (sous la forme de Codex, de livres parfois enluminés) alors qu'à la même époque les rabbins Massorètes fixent le texte du Premier Testament (sous la forme de rouleaux) en introduisent les points-voyelles (excepté sur YHWH).  Au 16ème siècle, Théodore de Bèze trouvera dans un couvent de Clermont-en-Beauvoisis, un manuscrit daté du 6ème siècle (le Claromontanus actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris) compor­tant :  les Épîtres de Paul, en grec             et en  la­­tin.

590-604 Grégoire 1er (préfet de Rome, moine, chargé d'affaire du pape à Constantinople, élu pape en 590); par ses Règles, il met de l'ordre dans le clergé séculier, à l'image de ce que Benoît de Nursie avait fait pour  le clergé régulier.  C 'est lui qui trouve la formule du cléricalisme absolu : ‟Le pape est le Serviteur des serviteurs de Dieu”. Il crée le "chant grégorien" qui limite l'invention mélodique (psalmodie). La politique de l'Église se confond alors avec la politique italienne, Grégoire 1er comprend que les peuples germaniques (Francs, Lombards, Wisigoths d'Espagne) sont l'avenir du christianisme en Occident. Vis- à-vis de Constan­ti­nople, il réitère les exigences romaine de primauté sur tous les patriarcats, ce quicrée des ten­sions. Après Grégoire 1er, on observe une rechute de la papauté

622, Mahomet, Hégire (exode) à Médine.

723, début de la querelle des images, et de la conquête arabe*.

*La conquête arabe sera arrêtée à Poitiers à l'époque de Charles Martel (732), lors de la reconquista d'Isabelle la catholique, en Espagne (milieu du 8ème siècle, progresse fin du 11ème, s'intensifie au 13ème -victoire de Las Navas de Tolisa en 1212- et s'achève en 1492 par la prise de Grenade -PLI-), arrêtée à Vienne en 1529, puis 1683.

750 : seconde moitié du 8ème siècle : La Donation de Constantin : c'est un texte fabriqué de toutes pièces par lequel Constantin, à son départ pour Byzance, aurait confié le pouvoir ecclé­sias­tique et le pouvoir politique au pape pour tout l'Occident. Ce document aura une grande influence pendant tout le Moyen-Âge jusqu'à ce qu'un humaniste et érudit de la Renaissance, Laurent Valla (1407-1457), démontre de manière irréfutable, qu'il s'agit d'un faux.
            Dans la foulée de la Donation de Constantin , 750 : Création de l'État Pontifical.

800 Le sacre et le couronnement de Charlemagne (768-814) à Aix-la-Chapelle après avoir été sacré par le pape à Rome. Il se pose en protecteur de l'Église en Occident et crée un nouvel empire romain qui sera "germanique". Il y a échange de bons procédés : le pape bénit l'empereur, l'empereur protège le pape et son Église. Le système féodal n'existe pas encore, l'empereur et l'administration ne sont pas à Rome, mais à Aix-la-Chapelle, le pape est maître à Rome, l'empereur envoie dans les provinces de l;'empire des missi dominici qui veillent à l'application des décisions centrales. En créant l'école, Charlemagne prend une décision capitale pour l'Europe, car, dès lors, le nombre des "lisants" va augmenter.

843 fin de La querelle des images* en Orient : elle commence à Constantinople en 723 avec l'interdiction par l'empereur de toutes les images religieuses et elle durera 120 ans. Tantôt interdites, tantôt autorisées, les images vont jeter la chrétienté d'Orient dans des guerres internes alors que les musulmans prenaient possession de tout le Proche-Orient*.

* À l'instar de Constantin et de Théodose, les empereurs se sont mêlés de la ques­tion, ce qui a envenimé les choses. En 726, l'empereur Léon 3 décide la suppression des images, il s'ensuit des ré­voltes populaires réprimées dans le sang. Un concile convoqué à Héria par son successeur, Constantin 6, en 754, confirme cette interdiction quand l'impératrice Irène, son épouse, décide, de son propre chef , de rétablir un "culte des images" souhaité par les populations (on croit retrouver l'épisode biblique du Veau d'or). Un concile, convoqué à Nicée en 787, l'approuve. L'empereur Théophile revient sur cette autorisation, d'où de nouvelles persécutions. Il meurt ainsi que son épouse Théodora en 842, ce qui ramène le calme. L'empereur Michel 3 arrive à un compromis et, en mars 853, le patriarche de Cons­tan­ti­nople Méthode instaure une fête en l'honneur  des images (icônes).
      
            Finalement et tardivement, on trouvera un compromis : seront autorisées les images placées assez haut pour que l'on ne puisse pas s'agenouiller devant elles -les mosaïques des coupoles des églises- et les "icônes" (parfois miraculeuses) qui sont des symboles mystiques de la foi*.

            * Le culte des images taillées (statues) est interdit par le deuxième des dix commandements (De 5, 8).  Juifs, Orthodoxes et Protestants observent ce commandement, mais les catholiques fusionnent les deux premiers commandements et dédoublent le dixième, d'où : les images taillées du Dieu unique sont interdites, mais ne le sont pas les autres statues religieuses (Vierge, Saintes ou Saints), ainsi que le culte qui leur est associé (un culte dit "de dulie"  -dévotion- distingué -du moins en théorie- du culte "de latrie" -adoration- réservé au seul Seigneur). Aujourd'hui, les illustrations servant à l'édification des enfants et des non-lisants sont pratiquées par tous pour l'éveil, l'instruction et l'affermissement  de la foi.
            En Orient les images autorisées sont toujours sur un fond or (en Occident aussi, dans le premier Moyen-Âge, voir les enluminures  de certaines  miniatures), cet or évoque la Gloire (il y a une spiritualité orthodoxe de la Gloire)  alors que dans  l'Occident du Haut Moyen-Âge régnera le bleu d'une spiritualité mariale (la Vierge est représentée avec un manteau bleu).         

867 début de la rupture entre Rome et Constantinople, elle s'achèvera en 1054 sur des    excom­­munications réciproques et la querelle du filioque*

* Nous reviendrons prochainement sur cette querelle. Quant aux excommunications, elles ont été levées de part et d'autre à l'époque du pape Jean 23 (1958-1963), mais il n'y a pas de réconciliation effective entre les deux branches (les deux "poumons", comme l'on dira) de la chrétienté traditionnelle.

            L'Église d'Occident et la papauté romaine du neuvième siècle n'ont pas laissé une trace édifiante. Le changement viendra au 10ème siècle de la Renaissance carolingienne (règne de Hugues Capet, 987-996).
            En Orient, au contraire, ce siècle est celui de L'évangélisation des peuples slaves. Les deux frères Cyrille et Méthode (respectivement 827-869 et 825-885), natifs de Thessalo­nique, après avoir inventé l'alphabet convenable (le cyrillique), répandent la Bible, qu'ils ont traduite dans leurs propres langues, parmi les peuples slaves. C'est l'origine du Patriarcat orthodoxe de Moscou.

suite : Le Haut Moyen-Âge
Jacques Gruber

MARS 2016
de 867 au 15ème siècle : Le Haut Moyen-Âge









Les 9ème et 10ème siècles sont dominés par la crainte superstitieuse d'une fin du monde apocalyptique en l'An Mille.

C'est une époque peu heureuse où, en 867, s'engage le processus de séparation entre Église d'Orient et Église d'Occident qui aboutira, en 1054, à une division qui subsiste toujours encore aujourd'hui. De 904 à 963 règne à Rome ce que les historiens qualifient de Pornocratie papale. Comme tout haut lieu de prestige, de fortune et de pouvoir, la papauté est devenue objet d'ambitions et lieu de désordres, ils sont tels que les empereurs germaniques (Otton 2, 973-983; Otton 3, 996-1002) sont obligés à plusieurs reprises de passer les Alpes pour inter­venir. Otton 3 y mettra fin en faisant élire pape Gerbert d'Aurillac (pape de 999 à 1003) sous le nom de Sylvestre 2.
             
Avec l'avènement des capétiens (Hugues Capet 987) la chrétienté occidentale entre dans l'époque de la féodalité. Celle-ci est fondée sur le lien d'allégeance que le seigneur subal­terne doit à sont suzerain. Depuis Clovis (baptisé vers l'an 498) et Charlemagne (sacré er couronné en l'an 800), la royauté est conçue sur le modèle de la royauté davidique de droit divin. Le roi est oint du Seigneur et le pape est le "Samuel" qui procède à cette onction. Dans la chrétienté, il n'y a pas de séparation entre vie religieuse, vie sociale, vie culturelle, la papauté devient un État parmi les États, mais, féodalement parlant, supérieure aux États. C'est l'origine de la querelle des investitures.
AN MILLE
Passé la date fatidique du 31 décembre 999, le christianisme occidental connaît un nouvel essor dans tous les domaines et un renouveau religieux, c'est la période dite du Haut Moyen-Âge qui va jusqu'au début du 14ème siècle.

Pour la commodité de l'exposé, je divise cette époque en deux parties parallèles : le côté noir et le côté bleu. À savoir :

Papauté et clergé
Religion de la peur
Séparation entre Église d'Orient et Église d'Occident
Croisades
Papauté d'Avignon
Schisme d'Occident

Reconquista espagnole
Grands Ordres religieux
Universités
Mystiqques
Cathédrales

Pour aujourd'hui, nous nous contenterons du côté noir, gardant le côté bleu  pour  le mois prochain.

La querelle des investitures (1075-1122) : Les rois  reçoivent deux investitures : l'une est un sacre, l'autre un couronnement. Pour les empereurs romains germaniques, le sacre est donné par le pape et peut donc être soumis à conditions par ce dernier. On connaît le cas du futur empereur Henri 4 (régnant de 1084 à 1106) qui sera obligé de venir à Canossa en janvier 1077 pour recevoir l'absolution par le pape Grégoire 7 (régnant de 1073 à 1085). Cette querelle aboutira à un concordat entre pape et empereur, signé à Worms, en 1122 où les rôles du pape et du roi seront définitivement fixés. Cela n'empêche­ra pas que les dissensions  reviennent  avec le roi de France Philippe le Bel (1268-1314). Celui-ci fera élire pape Clé­ment 5, en 1305, et le transférera en Avignon où lui et ses successeurs immédiats auront, de 1309 à 1376, une suite de papes français  à leur convenance (la papauté d'Avi­gnon).

La Papauté : Deux papes sont à signaler particulièrement : Grégoire 7, Hildebrand de son nom de naissance (régnant de 1073 à 1085) :  il s'affirme comme chef suprême de l'Église, Seigneur des Seigneurs du monde, il obtient l'amende honorable de l'empereur Henri 4 à Ca­nos­sa (1077). C'est lui qui trouve la formule du cléricalisme absolu : ‟Le pape est le Serviteur des serviteurs de Dieu”. Moyennant quoi, il exige le célibat des prêtres ; combat contre la simonie (l'obtention d'un acte ou d'un ministère ecclésial contre de l'argent). C'est lui qui fait adopter le calendrier dit grégorien en Occident.
            Innocent 3, 1198-1216, avec lui, la papauté atteint son sommet ; le pape est le Chef incontestable de l'Église, Roi des Rois, c'est lui qui met en œuvre l' Inquisition n 1199 - elle sera confiée, par la suite, aux dominicains -. C'est sous son règne qu'a lieu la 4ème Croisade qui n'ira pas plus loin que Constantinople et s'en retournera près avoir mis la ville à sac (1204).
             De 1309 à 1417 (presque un siècle), la papauté traverse la pire crise de son histoire. 
La papauté d'Avignon, 1309-1376 : en 1309, Philippe le Bel installe le pape Clément 7 à Avignon où sept papes français se succéderont jusqu'en  1376.
De 1378 à 1417, ce sera le grand schisme d'Occident, il y aura deux papes : Avignon et Rome,  puis trois avec les papes de Pise (Alexandre 5, Jean 23*) en 1409-1410 et même quatre si l'on tient compte de Pedro de Luna cardinal autoproclamé pape à Majorque.

* Ce pape a été rayé de la liste des papes en raison de son inconduite. Le cardinal Guiseppe Roncalli, proclamé pape en 1958, relèvera ce nom en le reprenant à son compte : il est le pape Jean 23 que nous connais­sons.

La religion de la peur : Le système pénitentiel se développe avec la doctrine des péchés qui se déclinent en péché originel ou péchés actuels, péchés mortels ou véniels; avec l'importance donnée aux croyances au Diable, en l'Enfer et dans le Paradis (auxquels vont s'ajouter le Séjour des Bienheureux pour les personnes béatifiées et les Limbes pour les enfants morts en bas âge avant d'avoir pu être baptisés). Qu'il s'agisse de l'art roman ou du gothique, c'est le thème du Jugement dernier présidé par un Christ en gloire (plutôt que celui du Bon Pasteur) qui accueille le plus souvent le chrétien qui se rend à l'église. La conception du Purgatoire, lieu intermédiaire avant le Paradis où l'on est épuré, prend naissance au sein des milieux intellectuels, à Paris, dans les années 1170-1180*. L'incertitude sur la durée du temps de Purgatoire réservée à chacun est anxiogène et va développer l'usage des Indul­gences à la discrétion du seul pape. Cet usage qui remonte au 3ème siècle, est instauré au 13ème siècle : une Indulgence peut supprimer un certain temps de Purgatoire, l'Indulgence plénière supprime tout le temps de Purgatoire. Les Indulgences (le salut) proposées contre de l'argent pour l'achèvement de Saint Pierre de Rome, seront l'étincelle qui fera éclater la Réfor­ma­tion au 16ème siècle.  Dernier élément de cette religion de la peur : l'Inquisition (créée par Innocent 3 en 1199, elle sera remise aux Dominicains -domini canes, les chiens du Seigneur - au 13éme siècle) : tribunal de la foi qui usera couramment de la torture et prononcera à plusieurs reprises des condamnations au bûcher.
Le recours des chrétiens sera l'intercession de Marie (éternellement vierge) qui va donner son départ au culte marial et aux cultes des saints**. Ces cultes sont dits de vénération, non d'adoration, mais, dans la pratique, la différence n'est pas perçue.

*Jacques LeGoff, L'Invention du Purgatoire.
** Il faut distinguer le culte de latrie et le culte de dulie, l'adoration et la vénération.
Le Schisme Orient-Occident consommé en 1054 : il prend prétexte de la   querelle du filioque : pour les orientaux, "le Saint Esprit descend du Père" ; pour les occidentaux, il descend "du Père et du Fils -filioque- ". De cette différence qui nous semble minime, de nombreuses conséquences théologiques étaient tirées.

Les croisades : Motif : le motif invoqué est d'aller délivrer le tombeau du Christ qui est aux mains des musulmans (pourquoi délivrer un tombeau vide alors que l'essentiel est Jésus ressuscité ?). On pense qu'il y avait d'autres motifs, de politique intérieure de l' Église, tels que détourner l'ardeur guerrière des chevaliers qui s'entretuaient, obtenir l'indulgence plénière du pape. On connaît une Lettre de Bernard de Clairvaux, prédicateur de la deuxième croisade  (1147-1149), qui assure les croisés de l'Indulgence plénière même s'ils volent, tuent ou violent. Les croisades passées, il y aura les tournois, puis les duels qui décimaient la noblesse et que Richelieu interdira.

Comme dit plus haut, le quatrième croisade n'ira pas plus loin que Constantinople qui sera mise à sac en 1204. Les septième et huitième croisades partiront d'Aigues-Mortes qui, à l'époque, était encore un port méditerranéen. Louis 9 (futur Saint  Louis) participera à la huitième croisade et mourra de maladie durant le siège de Tunis (1270). Tunis ne sera pas prise, le croisade s'arrêtera là et ce sera la dernière.

Le bilan des croisades est le profit fait par la République de Venise qui louait les bateaux pour la traversée et la rupture durable de l'équilibre séculaire entre chrétiens et musulmans au Proche Orient. Pour la chrétienté, le résultat est nul. Les possessions franques en Syrie-Palestine péri­cli­te­ront rapidement non sans que les chrétiens installés là ne découvrent et n'apprécient la culture islamique.

La croisade contre les "albigeois"  (1208-1244) : Il s'agit d'une descente des sei­gneurs du Nord (Simon de Montfort, 1150-1218) pour combattre les cathares et la culture occitane. La reli­gion cathare teintée de christianisme et la culture occitane toute de finesse,  pour lesquelles les seigneurs locaux ont pris parti, se trouvent être histo­ri­quement liées, mais ne doivent pas être confon­dues pour autant*.

*Le catharisme est une résurgence, encore aujourd'hui difficilement explicable, du manichéisme dans le Midi de la France. Le manichéisme, religion d'origine perse, était encore vivant dans l'Antiquité chrétienne jusqu'en Oc­ci­dent, au 4ème siècle. Augustin d'Hippone avait été tenté par elle dans sa jeunesse, mais elle semblait disparue à l'époque qui nous occupe. Les cathares qui posent le principe de deux dieux, ne peuvent pas être considérés comme des précurseurs de la Réformation.
Le message était plus simple que celui de l'Église : le mal remonte au dieu mauvais, le bien découle du Dieu bon, mais ce dernier étant supérieur au premier, c'est le Bien qui finira par l'emporter, déjà même les humains peuvent être purifiés (catharos, en grec, veut dire "pur"), devenir des "Parfaits". Par ailleurs, la conduite des responsables cathares (les "bonshommes") était plus irréprochable et plus proche des gens que celle des prêtres chrétiens.

Le succès de cette croisade, bras armé de l'Inquisition* , sera total : le catharisme sera éradiqué et la culture occitane détruite. Une cathédrale (Sainte Cécile) sera élevée à Albi pour célébrer ces victoires.
L'antisémitisme :  L'Europe et la Russie chrétiennes sont antisémites, elles accusent le peuple d'Israël d'avoir crucifié Jésus  (dans l'optique de l'union hypostatiques : d'être déicide).
*Sur ce point, lire Emmanuel Leroy-Ladurie : Montaillou, village occitan de 1294 à 1324.

Le mois prochain, nous prendrons la suite : le côté bleu de l'Église au Haut Moyen-âge : Grands Ordres, Universités, Cathédrales, Mystiques.

Jacques Gruber
AVRIL 2016
lE  CÔTÉ  BLEU  DE L' ÉGLISE  AU  MOYEN-AGE

Le Haut Moyen-Âge  (suite) ,
après avoir parlé des côtés plutôt obscurs du Moyen-Âge, nous aborderont ici ses côtés lumineux, on parle, à juste, titre de la "Renaissance du 12ème siècle"
Reconquista espagnole, entreprise dès le 8ème siècle, elle se fera par étapes de 1000 à 1240 pour s'achever sous le règne d'Isabelle la Catholique (1451-1504) par la recon­quête du royaume arabe de Grenade  qui tombera  aux mains des espagnols en 1492.
Vie monastique
Réforme clunisienne : des réformes ont lieu, mais dans des couvents. Cluny près de Mâcon, Bourgogne, abbaye fondée par Guillaume-le-Conquérant en 910 s'émancipe de la rapine des seigneurs et de l'autorité des évêques, elle accentue les Règles bénédictines revues par Benoît d'Aniane (750-820, midi de la France) ; c'est une religiosité romane où s'épa­nouissent la croyance aux miracles et les cérémonials. L'art roman en est contemporain.
Nouveaux ordres : la vie religieuse la plus forte se réfugie dans les cloîtres qui se regroupent en "ordres" pour vivre tel ou tel aspect de la spiritualité chrétienne-catholique d'une manière centralisée et hiérarchisée, parmi les nombreux nouveaux ordre monastiques : les Cisterciens dont fera partie Bernard de Clairvaux qui y entre en 1113. Cet ordre (ordre de Cîteaux) réformé par Bernard de Clairvaux (retour strict à la Règle de Benoît de Nursie) aura une grande extension et influence dans toute l'Europe à cette époque.
Dominicains et franciscains sont des ordres mendiants où chaque moine abandonne tout ce qu'il possède pour vivre dans une abbaye, immensément riche de tous ces apports.
L'Ordre des Dominicains, fondé en 1215 par celui qui deviendra saint Dominique (1170-1221) est un ordre  mendiant qui se voue à la lutte par la seule prédication contre les hérésies. Engagés contre les cathares-albigeois (puis dans plusieurs autres luttes contre des contestataires de l'ordre  catholique établi), les dominicains soutiendront cependant la ré­pression armée et useront de procédures inquisitoriales auprès des populations*. Au 13ème siècle et jusqu'au début du 18ème siècle, il se verra conféré la charge de l'Inquisition. Outre cela, l'Ordre des Dominicains donnera (et donne toujours) de nombreux théologiens. Thomas d'Aquin (1225-1274) est le plus célèbre d'entre eux.
*Emmanuel Leroy-Ladurie, dans Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 publie des procès-verbaux d'interrogatoires menés par les moines de l'Inquisition auprès des villageois  de Montaillou.     
 Franciscains ; François d'Assise fonde aussi, en 1210, un Ordre mendiant. Celui-ci ne sera admis par le Saint Siège qu'après que des modifications auront été apportées à sa règle jugée trop rigoriste. De fait, dès le 13ème siècle l'Ordre se divisera entre spirituels -modérés- et observants -radicaux-. Comme les dominicains, les franciscains compteront dans leurs rangs d'importants théo­logiens (Bonaventure, 1221-1274), mais ce n'est pas aujourd'hui leur première vocation.
Ordres chevaliers tels les Templiers fondés en 1119 à Jérusalem, détruits suite à un procès intenté par Philippe-le-Bel (1307-1314) qui durera de 1307 à 1314, après que le pape Clément 5, aux ordres du roi de France, l'ait interdit en 1312;  Ordres hospitaliers tel l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem (qui possédera  -et possède toujours- une branche protestante : les Chevaliers de Malte).
Au fil du temps, les abbayes deviennent de plus en plus nombreuses et riches. On estime qu'à la fin du 15ème siècle, en Allemagne, près de la moitié du territoire était devenu terre d'Église. Par ailleurs, les abbayes et couvents cherchent à dépendre directement de Rome, elles échappent ainsi à l'autorité épiscopale locale et au contrôle des pouvoirs publics.

L'Art roman

Aux 11ème - 12ème siècles. Il se caractérise par un voûte en tunnel se terminant par une abside, les murs sont épais, des contreforts les soutiennent contre la poussée des voûtes, il n'y a que peu d'ouvertures. Les voûtes ne se croisent pas, elles se rencontrent sur un plan carré (octogonal, rond etc.) sur la base duquel s'élève une tour de modeste hauteur. De rares statues principalement pour orner le portail, mais des sculptures 'sur les chapiteaux. Les murs, à l'intérieur offrent de grandes plages qui peuvent portent des fresques (Tavant, Saint-Savin-sur-Gartempe).

Les Universités et la théologie

Charlemagne avait créé l'école, la renaissance carolingienne (987, Hugues Capet, 10e siècle) va créer des établissements d'enseignement supérieur où  l'on en­seignait les sept arts libéraux, le trivium (grammaire*, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arith­mé­tique, musique, géométrie, astronomie**).

*Et langues anciennes.
* *Celle de Ptolémée qui mettait la terre au centre du système solaire.

L'Université de Paris, créée en 1215, exercera une grande attraction, on y viendra d'Allemagne et d'Italie, pour y étudier et y enseigner, la Sorbonne (collège destiné aux étu­diants pauvres) est créée en 1257 par Robert de Sorbon (1201-1274).
C'est au sein de groupes intellectuels parisiens que s'invente le Purgatoire (1170-1180). Dans ces mêmes milieux (acquis à l'aristotélisme introduit par Albert le Grand, 1200-1280,  et consacré ensuite dans la théologie par Thomas d'Aquin, 1225-1274) naît l'idée de la transsubstan­tia­tion.

Suivant Aristote (384-382 avant notre ère)  les êtres et les choses possèdent des qualités premières (la substance propre à chaque être, chaque chose) et des qualités secondes (propres à chaque être et chaque chose, mais situées dans notre expérience commune ordinaire) d'où l'idée que dans le rituel de l'eucharistie se produit un miracle où les qualités premières, la substance du pain et du vin sont transformées en divin, en véritable corps et sang du Christ, alors que les qualités secondes, tombant sous nos sens, restent telles qu'elles sont. L' Adoration du Saint Sacrement qui découle de la transsubstantiation est une adoration de l'hostie.


La transsubstantiation deviendra un dogme par la volonté du pape Innocent 3 (1160-1216) lors du 4ème concile de Latran, en 1215. Ce concile confirme la conception catholique du mariage et de la confession ou de la pénitence. La liste des sept sacrements (baptême, confirmation, mariage, confession/pénitence, eucharistie, ordre) sera fixée au 2ème concile de Lyon, en 1274.

Les Universités étaient des lieux de débats appelés "disputes" (exemple le querelle des universaux).

Querelle des universaux, débats épistémologiques relatifs aux principes ou ressorts universels de la connaissance.  Deux camps s'opposaient: : les réalistes pour qui les mots sont les choses (pensée magique) et les nominalistes pour qui les mots ne sont que des mots (le logicisme de Bertrand Russell, 1872-1970 peut être considéré comme une reprise du nominalisme). Jusqu'à ce qu'une troisième voie  (le conceptualisme d'Abélard) essaie de se faire entendre.
Abélard (1079-1142), élève de Guillaume de Champeaux (milieu du 11ème siècle - 1121, l'un des maîtres du réalisme)  discute des positions en présence qui ne le satisfont ni l'une ni l'autre.  Pour lui, les mots font naître dans nos esprits une conceptualisation de ce à quoi ils se réfèrent. C'est le conceptualisme qui va trouver (mais huit cents         ans plus tard) une confir­ma­tion avec Ferdinand de Saussure (1857-1913) qui, dans son Cours de linguistique générale posthume, 1916) ouvrage fondateur de la linguistique moderne, parlera des "signifiants" (mots ou tout autre signe perçu) qui produisent dans nos esprits des "signifiés" en rapport avec des "référents" situés dans notre expérience courante. Catégories reprises par la psychanalyse de Jacques Lacan (1901-1981) pour qui l'inconscient est structuré comme un langage. On voit la proche parenté entre la "conceptualisation" d'Abélard et le "signifié" moderne.
Suite à un amour interdit avec Héloïse dont il aura un enfant, Abélard sera cruellement puni (à l'instigation de Bernard de Clairvaux, 1090-1153) et ira finir ses jours dans un couvent-prison (prieuré de Saint Marcel, Saône-et-Loire).

La théologie est florissante et déterminante pendant tout le Moyen-Âge, mais elle se muera en scolastique dès lors que Thomas d'Aquin (et, par suite, Aristote) sera devenu la référence obligée.
Thomas d'Aquin (dominicain) (1225-1274), italien qui enseigne à Paris, est disciple d'Albert le Grand (1200-1280) dont il adopte l'aristotélisme. Sa Somme théologique,  rédigée environ de 1266 à 1273, est cons­ti­tuée de questions et de réponses sur la plupart des  problèmes théologiques (à l'exception, surprenante, de l'Église). D'abord contesté, il est canonisé en 1323. Fait Docteur de l'Église par Pie 5, en 1567. Proclamé "Docteur commun" par Léon 13 à Vatican 1. Pie 11, en 1923, par l'Encyclique Stu­dio­rum ducem, en fait le "Guide des études théologiques et philosophiques dans les sémi­naires". Léon 13 dans une Lettre du 15 octobre 1879 précise que Thomas d'Aquin doit être lu dans l'interprétation du cardinal Cajetan (1469-1534).

Parmi les théologiens les plus connus, on peut citer, outre Pierre Lombard, Albert le Grand et Thomas d'Aquin : Anselme de Canterbury (1033-1109) un italien enseignant à Can­ter­bury; inventeur de la "preuve ontologique" de l'existence de Dieu, Bonaventure (franciscain italien, 1221-1274 qui sera canonisé) ; Guillaume d'Occam, (1285-1349) nominaliste anglais excommunié après sa mort ; Duns Scot (John) écossais (1266-1308) franciscain nominaliste pour qui on part du monde pour atteindre Dieu (il ouvre la voie à Francis Bacon 1561-1626, qui enseigne un empirisme et sera béatifié).
La création de ces Établissements d'enseignement supérieur de Lettres et de Sciences, par la chrétienté des 12ème et 13ème siècles, sera de grande conséquence pour le développe­ment ultérieur de l'Occident. En ces temps, les universités ont une langue commune : le latin (un latin dit "d'Église'), ce qui contribue à  l'expansion des savoirs et des recherches. Nicolas Copernic écrit encore en latin son De revolutionibus orbium coelestium Libri VI, daté de 1543. Grâce aux universités  et aux écoles qui y pré­parent, le nombre des "lisants" (et des "réfléchissants") va augmenter en Europe.
Ces universités ne partent pas de rien. Elles ont à leur disposition un patrimoine philosophique et littéraire grec et latin et peuvent bénéficier des découvertes de l'Antiquité : Archimède et Ératosthène en Grèce (Hippocrate pour la médecine), en Égypte : Imotep bâtisseur des pyramides. Cependant, les mathématiques ne commencent qu'avec Descartes (1596-1650), Newton (1642-1727) et Leibniz (1646-1716) et la démarche proprement scientifique avec Galilée (1564-1642), Copernic, (1473-1543), Newton, Képler (1571-1630), Pascal (1623-1662)… Pourtant sans le quadrivium, son arithmétique et sa géométrie, nous n'aurions pas eu les cathédrales. Elles exigent un calcul très exact des forces et des poussées (arcs-boutants).

Les Mystiques
 Dans le cadre qui nous occupe, on peut dire que les mystiques sont des individualistes qui développent leur piété et leurs conceptions propres sur un fond de déception de la religion officielle. Lorsque qu'on ne peut pas atteindre Jésus ou Dieu directe­ment, qu'il faut obligatoirement passer par des intermédiaires, celui de l'Église, puis ceux de Marie ou des Saints, on va y aller directement, à telle enseigne que les mystiques seront sou­vent mal vu par l'Établissement ecclésiastique, soupçonnés d'hérésie. La mystique française sera plutôt une mystique de Jésus dans sa Passion, un Jésus qui n'est plus le Juge dernier, mais un souffrant parmi les souffrants (d'où la vogue du Crucifix). La mystique rhénane sera une mystique de la recherche de Dieu : Maître Eckart*  (1260-1328) dominicain, professeur à Paris et en Alle­magne, expose dans ses sermons et ses traités, comment on peut accueillir Dieu en soi.
* Autres mystiques rhénans : Tauler (strasbourgeois, 1300-13612), Suso (allemand, 1295-1366), Ruysbroeck  (belge, 1293-1381).
En 1108, Guillaume de Champeaux et deux compagnons, Hugues (né au 11ème siècle, mort en 1141) et Richard, fondent  l'Abbaye de Saint Victor, au bas de la montagne Sainte Geneviève, à Paris. On y rencontrera Pierre Lombard ou Abélard. contestataires de l'aristo­té­lisme régnant dans les milieux théolo­giques parisiens.
Bernard de Clairvaux (1090-1153) occupe une place particulière parmi les mystique s, c'est un mystique de combat qui développe son ordre (cisterciens, branche réformée des bénédictins), prêche la seconde croisade, prend parti contre  Abélard.
Thomas a Kempis, (1379-1380 à 1471) à qui l'on attribue l'Imitation de Jésus Christ est un néerlandais du 15ème siècle.

Les Cathédrales gothiques
Sans le quadrivium, son arithmétique et sa géométrie, nous n'aurions pas eu les cathédrales. Elles exigent un calcul très exact des forces et des poussées (arcs-boutants).
Les abbayes, églises, cathédrales romanes et leur décoration sculptée ou peinte à la fresque sont dignes du notre admiration, mais je m'arrête ici sur les cathédrales gothiques. Attestation d'un grand élan de foi à la Gloire de Dieu, témoins historiques de la chrétienté française dans son plus bel âge (je compte au moins 44 cathédrales gothiques en France). Elles sont appelées "gothiques" (c'est à dire  : "barbares") par dérision, mais leur appellation officielle dans toute l'Europe d'alors est francigenum opus (ouvrage à la française). Héritage des techniques romaines servant pour les ponts et les aqueducs. On use d'un mortier venu des romains, sans changement jusqu'à l'invention des ciments à la fin du 18ème siècle. La cons­truc­tion s'accompagne, à toutes les étapes, d'une information religieuse, souvent biblique. Dans ces constructions y avait-il des esclaves ? Il y avait des manœuvres salariés, pas d'es­claves.
La transmission des secrets des bâtisseurs du Temple de Jérusalem, liée aux croisés, est une légende : le Temple de Jérusalem n'avait pas de voûte. En revanche, les "secrets' art­i­sa­naux transmis par les "francs" -c'est à dire "libres"- maçons (nom repris par les actuels francs-maçons) sont une réalité historique. Les architectes-ingénieurs des églises tant romanes que gothiques utilisent et perfectionnent des règles qui remontent aux romains.
L'art gothique naît en France (Picardie, Île-de-France) avec l'arc plein cintre brisé (12ème siècle) et la croisée d'ogives (13ème siècle) qui reporte la poussée de la voûte vers les angles permettant de grandes ouvertures (les épais murs romans ne le permettaient pas) que les vitraux viendront garnir. Les arcs boutants sont plus élégants que les épais contreforts romans et permettent, en théorie, d'élever les nefs sans limite. Ensuite, une émulation fait naître des cathédrales en nombre (surtout en France : Soisson, Noyon, Sens, Chartres, Paris, Bourges, Beauvais).
Le  décor sculpté des cathédrales gothiques mêle des personnages et des événements bibliques aux personnages et événements locaux ainsi qu'à des illustrations de la doctrine et des croyances de l'Église (voir la théologie de la substitution au portail latéral de Strasbourg). Les techniques les plus avancées (horlogerie) réclamant des découvertes astronomiques sont du 16ème, voire du 17ème siècles. 
L'art du vitrail permet de créer une atmosphère lumineuse colorée. Les personnages en verres colorés se présentent non comme des revenants, mais comme des êtres humains trans­parents, parvenus à leur pleine vérité. Au départ, on se refuse à mêler le jaune et le vert pour obtenir le bleu (su­perstition dérivée du commandement biblique de ne pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère, Ex 23, 19, 34, 26 : ne pas mêler deux éléments de même nature). Jusqu'à ce que les verriers français trouvent un bleu-de-bleu, le bleu de cobalt qui consiste à introduire des sels de cobalt (un minerai) dans la pâte du verre. Cela donne un verre bleu, ni foncé ni pâle (comme le manteau de la Vierge), un bleu du ciel produisant une atmosphère chaude, lumineuse et joyeuse (l'atmosphère du bleu de cobalt n'est pas celle du rouge ou du jaune). Sainte Chapelle de Paris, Chartres.
À l'origine, les cathédrales étaient entièrement peintes, extérieur comme intérieur, des vestiges subsistent, en particulier à Saint Hilaire de Poitiers.
Extérieur comme intérieur, les cathédrales sont un univers, illustrant le caractère totalisateur du catholicisme
Quelques dates : Sens, 1130 - fin du 12eme siècle, Soisson, 12ème-13ème siècles, Noyon, 12ème-13ème siècles, Chartres, 1194-1260 (vitraux des 12ème et 13ème siècles) ; Paris (12ème s.), Bourges, 1195-1255 (église à cinq nefs) ; Sainte Chapelle de Paris, 1241-1248 (Louis 9, Saint Louis); Beauvais, 13ème-16ème siècles, voûte le plus élevé, dépourvue de façade, cette dernière s'étant écroulée (à deux reprises) du fait de déboires de construction  ; Strasbourg, 12ème-15ème siècles, flèche, restée unique, haute de 142 mètres ; Cologne, 13ème-19ème siècles.
Les tours destinées à abriter et soutenir les cloches deviennent des flèches qui matéria­lisent l'élan de la foi vers le Ciel. On en compte habituellement deux, mais, parfois, une seule a pu être élevée (Strasbourg). Il y a un concours à qui bâtira la plus haute.
Le mois prochain, nous aborderons la fin du Moyen-Âge.

                                       Jacques Gruber

MAI  2016

LA (triste) fin du Moyen-Âge : 14ème et 15ème siècles

L'Église des 14ème et 15ème siècles européens est marquée par des événements indé­pen­dants d'elle : guerre, famines, peste et par d'autres qui lui sont internes (papauté d'Avi­gnon, grand schisme d'Occident, catholicisation en direction de la Scandinavie).
14ème siècle
La Guerre de cent ans (1337-1453) concerne la France et l'Angleterre, deux des prin­ci­paux États chrétiens d'Occident. L'Angleterre possède la Normandie, l'A­qui­­taine et des terres en Bretagne, si l'on tient compte des lois de la féodalité, le roi d'Angleterre a quelques raisons de revendiquer la couronne de France (Henri 2 avait épousé Éléonore d'Aquitaine). Cette guerre qui se déroule en territoire français, est une suite de péri­pé­ties, qui ravagent les terres, soulèvent des populations les unes contre les autres et divisent les esprits. On se souvient de la victoire des anglais à Azincourt (1415) et du retournement de situation opéré par l'intervention de Jeanne d'Arc (1429-1431).
En 1343-1351, puis, à nouveau, en 1420, des années de sécheresse produisent des famines qui s'étendent à toute l'Europe. À cette époque on ne connaît pas encore la pomme de terre, la nourriture est à  base de céréales (blé, orge, avoine), de fèves, de pois, de lentilles, de légumes frais quand l'arrosage le permet. 
Au surplus, une épidémie de peste (la peste noire de 1348-1349), contre laquelle on ne possède aucun recours médical, va tuer des millions de personnes jusqu'en Angleterre, avant de s'éteindre de son propre épuisement.
En 1309, Philippe le Bel (règne de 1285 à 1314) profite de l'insécurité qui règne à Rome -où les partis adverses de la noblesse se déchirent au cours d'émeutes journalières- pour faire élire un pape à sa convenance (Clément 5) et l'établir à Avignon.  À cette époque le palais que nous connaissons n'existait pas, Célestin 5 s'installe dans un couvent dominicain de la ville. C'est le début de la papauté d'Avignon où, de 1309 à 1376, puis de 1378 à 1417 (lors du Grand schisme d'Occident) des papes français vont se succéder.
Benoît 12 et Clément 6 vont construire le Palais des papes. Une vie royale monar­chique fastueuse s'installe avec népotisme, corruption, fiscalité, mais aussi mécénat. Jean 22 (Jacques Duèze de Cahors), Benoît 12; Clément 6, Innocent 6, Urbain 5 (Guillaume de Gri­moard dont il reste les ruines du château natal dans le hameau de Grizac, en Cévennes, qui se fait installer à Avignon le petit jardin du palais que nous connaissons), Grégoire 11, tous ces papes sont français. Grégoire 11 retourne à Rome en mars 1378 et y décède subitement. Les émeutiers romains nomment un nouveau pape (Urbain 6, soutenu par l'Italie du Nord et du centre ; l'empereur germanique, les Flandres et l'Angleterre) et le lobby français en soutien­nent un autre (Clément 7, soutenu par le roi de Naples, l'Espagne et la France) lequel se réinstalle à Avignon.
Mais cette situation, que Pétrarque appelle ‟ La captivité babylonienne de l'Église”, est mal ressentie dans l'ensemble de la chrétienté et un autre pape est élu à Rome en 1378. Il va s'ensuivre de 1378 à 1417 une période où il y aura deux papes, c'est le grand schisme d'Oc­ci­dent. Un troisième pape ayant élu à Pise (Alexandre 5, puis Balthazar Cossa, Jean 23, dont la conduite faisait scandale)* un concile qui se tint dans cette ville en 1409, révoqua ce dernier sans pour autant mettre fin à la papauté d'Avignon. L'histoire locale de Majorque retient aussi la mémoire de Pedro de Luna pape auto-proclamé dans les mêmes années.
* En 1958, Angelo Roncalli, élu pape, releva ce nom de Jean 23 qui avait été effacé de la liste des papes.
Sur le plan intellectuel, la théologie, dominée par la pensée thomiste parisienne, devient une scolastique et les facultés de théologie des Universités jouent un rôle de magistère. C'est, à nouveau, du côté de la mystique qu'un renouveau s'annonce avec la devo­tio moderna. La recherche d'une spiritualité axée sur la Passion (comme à l'abbaye de Saint Victor à Paris, au 13ème siècle) que tout le monde puisse partager. Aux Pays-Bas, la devotio moderna est illustrée par Thomas à Kempis (1379-80 à 1471) à qui est attribuée l'Imitation de Jésus Christ. L' Agneau mystique de Gand qui date du début du 15ème siècle est un autre témoin de cette dévotion.
C'est à partir de cette époque que le mot d' "église" va être couramment employé pour l'édifice du culte.  
15ème siècle
1414-1418 : Concile de Constance : Les errements de la papauté et l'inconduite de certains prêtres et moines entretiennent dans la chrétienté latine un besoin de réforme de l'Église ‟ Dans sa tête [la papauté] et dans ses membres [le clergé]”. Pour répondre à cette aspi­ra­tion, un concile est convoqué à Constance.
Un premier débat va porter sur l'Ordre du Jour : faut-il d'abord mettre fin au schisme et procéder, ensuite, à la réforme de l'Église ou, à l'inverse, soumettre l'élection d'un nouveau pape à la réforme de l'Église ? On vote par "nation" : deux d'entre elles, Espagne et Italie sont pour le premier ordre du jour, deux autres, Allemagne et Angleterre pour le second, la France balance entre les deux puis rejoint l'Espagne et l'Italie. Un pape romain est élu : Martin 5 et la réforme de l'Église est oubliée, elle fait place à l'excommunication posthume de John Wiclif et au procès, puis au bûcher, de Jan Hus. La déception est grande, bien qu'il ait été mis fin à la crise de la papauté, qui avait duré plus de cent ans
 Jan Hus (1370-1415) était le recteur de l'Université de Prague et professait les idées de Pierre Valdès (ou Valdo, 1140-1217) et du théologien anglais John Wyclif (1330-1384) : une Église pauvre, l'autorité des Écritures, la cène sous les deux espèces, le sacerdoce univer­sel. Hus répandait ces idées dans ses cours et dans les prêches qu'il donnait le dimanche, devant de grands auditoires, à la chapelle de Bethléem, celle même de l'université. Nous avons donc ici des pré-réformateurs dont nous reparlerons lorsque nous aborderons la Réformation.
En 1439, le concile de Florence va consacrer la  notion de sacrement comme rite agissant "par lui-même" (ex opera operato) et fixer les sacrements au nombre de sept : baptême, confirmation, eucharistie, mariage, pénitence (sacrement de réconciliation), extrême onction (sacrement des malades), ordre. L'importance de ce dernier sacrement échappe parfois. Il est à l'origine du cléricalisme. Les clercs ne sont plus définis d'abord par leur fonction, mais par une sacralisation (ils disposent du divin). Celui qui a reçu le sacrement de l'ordre est "d'Église", il lui appartient jusqu'à sa mort, elle est désormais sa famille.
Un coup d'œil sur l'Église d'Orient
Après que l'Église d'Occident (Église latine) et celle d'Orient se sont séparées (en 1054), l'Église orientale (qui s'appelle "orthodoxe" par opposition à l'Église catholique) sera jusqu'à aujourd'hui formée des quatre patriarcats d'origine : Constantinople, Alexandrie, Antioche,. Á la tête du clergé de chaque Église nationale se trouve un métropolite  placé sous l'autorité directe du patriarche de Constantinople (on parle d'Églises autocéphales). Les prêtres sont mariés, les évêques sont choisis parmi les moines. Les rites et cérémonies occupent une grande place dans le culte, mais les Écritures jouent aussi un rôle important en particulier dans la piété personnelle. Un grand concile orthodoxe, appelé à illustrer et à fortifier l'Orthodoxie nous est annoncé
En 1261, l'empire byzantin est restauré, mais il est bientôt menacé par la conquête arabe. Après plusieurs sièges mis par les Turcs, Constantinople tombe en leur mains en 1453. Á ce sujet, je remarque que l'Église latine qui avait réussi, à huit reprises, au 13ème siècle, à transporter des armées entières au Proche-Orient, n'est jamais venue en aide à sa sœur en péril.  Le patriarcat de Constantinople, bien que réduit à peu de chose ,n'en subsiste pas moins jusqu'à aujourd'hui et garde toute son autorité canonique pour les autres patriarcats orientaux.
Au 9ème siècle, les deux frères, Cyrille (827-869) et Méthode (825-885) inventent l'alphabet glagolitique = russe) et traduisent la Bible. S'ensuit une évangélisation des régions russophones. Vladimir 1er, prince de Kiev (980-1015), impose un "baptême de la Russie" (comparable au baptême de la France avec Clovis). Après la fin de la domination mongole  (13ème siècle), en 1326, le métro­polite de Kiev s'installe à Moscou et, au 14ème siècle, la principauté de Moscou s'im­pose comme cœur de la Russie. En 1439, le patriarche de Constantinople cherche à récupérer la Russie dans son patriarcat, le pape romain, de son côté fait de semblables démarches auprès de Moscou. Le métropolite refuse toutes ces manœuvres et, avec l'aval du prince de Moscou qui, au 16ème siècle, va prendre le titre de "tsar"  (César) (Ivan le Terrible, 1547), estimant que, depuis 1453,  Moscou est l'héritière de Constantinople, il érige la Russie en Patriarcat (ce qui ramène les patriarcats orientaux au nombre de cinq). L'union entre l'Église et le pouvoir, en Russie, est ce que l'on appelle césaropapisme.
L'antisémitisme médiéval
L'Europe et la Russie chrétiennes sont antisémites, accusant le peuple d'Israël de la crucifixion de Jésus (ce qui, dans l'optique de l'union hypostatique, aboutit à accuser les Juifs de déicide). Les Juifs sont des sujets de seconde zone, objets de discriminations (les pogroms russes sont ultérieurs : 1881, 1921). Ils sont exclus de la plupart des professions et ont servi en plusieurs occasions de boucs émissaires (lors d'incendies, de sécheresses etc.). Certaines "rues de la Juiverie", dans nos villes, rappellent qu'au Moyen-Âge ils s'y trouvaient regroupés (le Ghetto de Venise date du 16ème siècle). On appelle "marranes" les Juifs d'Espagne ou du Portugal qui, étaient restés sur place au moment où les Juifs étaient chassés de ces pays, et qui, après une conversion imposée au christianisme catholique, continuaient de vivre leur religion en cachette.
C'est néanmoins dans cette Europe que deux des plus grands esprits du judaïsme : Rachi et Maïmonide ont pu s'épanouir. Rachi vivait à Troyes, de 1040 à 1105, à l'époque et sur le domaine des trois premiers rois capétiens. Il est renommé comme talmudiste, ses commen­taires bibliques, qui occupent plusieurs tomes, restent actuels. Maïmonide (1138-1204) vivait en Espagne (Cor­doue) à  l'époque de la Reconquista espa­gnole. Médecin de profession, sur le plan intellectuel et religieux il est préoccupé des difficultés que rencontre la révélation biblique dans la culture européenne de l'époque.
À cette époque, en Europe, le canon juif du Premier Testament va achever sa constitution et la Qabbale se développer : le Zohar date des 12ème - 13ème siècles.
La Renaissance
Elle commence dès le 14ème siècle en Italie, autour de Florence qui jouit de l'influence des lettrés byzantins réfugiés en Italie suite à la conquête turque de l'empire de Constantinople
Jacques Gruber

JUIN 2016

RÉFORMATION

préférer ce mot à celui de "réforme"
(les allemands disent "Reformation" et les anglais de même)

Les protestants ont été ainsi appelés suite à la protestation solennelle des princes acquis aux idées  de Luther lors de la Diète de Spire (1529) où  Charles Quint (1500-1558) avait voulu faire passer des mesures restrictives en matière religieuse. Les protestants français ont été appelés successivement : luthériens, vaudois, huguenots, puis protestants.

Les confessions de foi sont des cartes de visite que chaque Église rédige à une époque donnée de son histoire. Les deux principales sont la Confession d'Augsbourg (luthérienne, 1530) et la Confession de La Rochelle (calviniste, 1559).

LES  PRÉRÉFORMATEURS

Pierre Valdo (1140-1217)   John Wiclyf (1320-30 - 1344), Jan Hus (1370-1415),
Ils se caractérisent tous par la mise en valeur de l'Évangile, puis de la Bible entière, pour la vie du chrétien et de l'Église.
Pierre Valdo, marchand lyonnais prospère, vend ses biens, traduit quelque passages de l'Évangile selon Matthieu et commence une vie de prédicant itinérant. Il réunit une petite Église  : les pauvres de Lyon*.

* François d'Assise incarne, lui aussi, vers la même époque, la soif d'une Église pauvre (1215).

On peut dater de 1399 la naissance d'une "église" se réclamant de l'action de Pierre Valdo. L'Église vaudoise est la tout première Église de la Réformation en France. Présents en Italie du Nord dès 1399, ils sont excommuniés au concile de Vérone (1184). Persécutés en Italie centrale (en 1488, puis 1655 : les Pâques vaudoises), ils s'installent dans les vallées alpines du Nord et jusqu'en France. (en 1655, dans le Queyras). Entre 1460 et 1560 mille quatre-cent familles émigrent dans le Lubéron. C'est une Église provinciale exilée qui se développe dans cette région du Sud-est de la France. Considérée comme hérétique et subversive, l'Église catholique obtient de François 1er qu'il intervienne. Suit une expédition punitive de l'armée qui fait 24 Oradour-sur-Glane : (massacre de Mérindol, 1545, trois cents morts en cinq jours, 670 hommes envoyés aux galères); l'Église vaudoise est éradiquée du sol français. C'est le premier signe d'une intention génocidaire à l'encontre des français prote­s­tants dont nous verrons le développe­ment par la suite (massacre de Wassy en 1562; la Saint-Barthélémy, 1592; ,l 'Affaire Calas 1762-1765 ; la Révocation de l'Édit de Nantes, 1685). Il en reste quelque chose aujourd'hui encore dans notre société même si l'on se dit œcuménique ou agnostiques ou athées. Les Vaudois trouveront refuge dans les vallées italiennes du haut Adige : les Vallées vaudoises d'aujourd'hui où l'on parle français. L'Église vaudoise qui usait déjà d'une direction synodale votera au synode de Chanforan (1532) son adhésion à Jean Calvin et à sa doctrine.

Wyclif est théologien (professeur à Oxford, il embrasse un horizon plus large. À à l'autorité des Écritures, il ajoute le sacerdoce universel et la cène sous les deux espèces, il prône une Église détachée des richesses. Dans l'immédiat, Wyclif jouit d'une audience professorale qui semble n'avoir pas dépassé les murs d'Oxford. Il  n'est pas inquiété, mais sera condamné et excommunié par le concile de Constance (1415-1418).

Jan Hus fait sienne la pensée de Wyclif et s'en fait le propagandiste. À ses cours, il ajoute un ministère de prédicateur de l'Évangile dans la chapelle de l'Université de Prague (la chapelle de Bethléem). Après sa condamnation et son exécution, il aura une descendance spirituelle avec les frères moraves qui mettent en pratique la méditation et l'annonce de la Parole biblique, la cène sous les deux espèces (utraque) d'où leur nom d' "utraquistes" ,  la prédication laïque. Persécutés, au 18ème siècle, ils trouveront refuge sur les terres de Nicolas de Zinzendorf qui était acquis à leur foi.

LA  RÉFORMATION

Comme le mot l'indique, il ne s'agit pas d'une nouvelle religion, mais de la réformation de la religion chrétienne et qui reste chrétienne.

Luther* va reprendre et développer les lignes des préréformateurs, mais, en plus, il va expliciter la foi suite à la découverte de Romains 1, 16-17 (voir ci-après la justification - ou le salut - par la foi) vers 1516. En 1517, il placarde 95 thèses contre les Indulgences sur la porte de la chapelle universitaire de Wittemberg, suite à la propagande du moine Johann Tetzel (1465-1519) qui vendait des indulgences (valant diminution des peines du Purga­toire) afin de réunir les fonds nécessaires à l'édification de la Basilique Saint Pierre de Rome).

*Luther, né à Eisleben, ville d'Allemagne de l'Est en 1483, n'est ni de famille noble, ni de famille d'agriculteurs, ni de commerçants, ni de militaires ou de fonctionnaires locaux, mais de main d'œuvre (père mineur ?), issu de milieu populaire. Il présente des dispositions intellectuelles qui lui permettent de suivre les écoles. Il est tourmenté par des questions existentielles et religieuses et on lui a présenté la vie de moine comme quelque chose de céleste. Il entre au couvent des Augustins d'Erfurt (Allemagne de l'Est)  où il obtient vite la confiance de ses supérieurs, il est nommé professeur d'Écriture sainte (1513), car les augustins, fidèles à leur patron -Saint Augustin- cultivent la lecture de la Bible. Luther apprend le grec et l'hébreu pour pouvoir lire les textes dans les langues originales (la Renaissance vient de mettre à l'ordre du jour le retour aux sources grecques). Il a écrit un Commentaire des Psaumes, un Commentaire des Galates et il commence un Commentaire de Romains..

L'intermédiaire de l'Église (à savoir : sacerdoce hiérarchique, rituels, système péni­ten­tiel, œuvres méritoires, croyances diverses, adhésion aux vérités dogmatiques de l'Église, re­cherche de preuves) disparaît. Il est remplacé non par un autre intermé­diaire, mais par la médiation de la foi : par le seule grâce, la seule foi, la seule Écriture (seule la ,grâce donne la foi et l'Écriture; seule la foi reçoit la grâce et l'Écriture; seule l'Écriture explicite la grâce et la foi.

La Justification (ou le salut) par la foi :
Point de départ : Romains 1, 16-17: ‟Je n'ai pas honte de l'Évangile de Christ : c'est la puissance de Dieu pour la salut de tout homme qui croit, du Juif d'abord, mais aussi du non-Juif. En effet, c'est l'Évangile qui révèle la justice de Dieu par la foi et pour la foi comme cela est écrit : Le juste vivra par la foi(citation d'Habakuk 2,4)

Ce que cela signifie pour Habakuk, homme du Premier Testament, prophète : avant la Loi, il y a la foi d'Abraham, l'Alliance. S'attacher par  la foi à l'Alliance, c'est être réputé juste aux yeux du Seigneur.

Dans le langage de la Bible, "être rendu juste", "réputé juste", aux yeux du Seigneur, "déclaré juste" par lui, se voir personnellement imputer la Justice, est l'équivalant d' "être sauvé".

Ce que cela signifie pour Paul : bien que le commandement soit ‟Saint, juste et bon”, (Rm 7,12) l'observance scrupuleuse de la Loi est une démarche humaine qui est toujours inaccomplie, de ce fait, nous ne nous rendons jamais justes devant le Seigneur. Or, ce que la Loi se montre incapable de donner (puisque c'est une justice que nous devons acquérir par nous-mêmes) nous est conféré d'un seul coup, sans condition, par la foi en l'Évangile, autre­ment dit : la foi en Jésus, Christ-Messie-Sauveur (termes équivalents). 

Ce que cela signifie pour Luther : ce ne sont pas les rites, les rituels, les œuvres mé­ri­­toires, les reliques qui nous sauvent (nous font acquérir la Justice, nous  justifient devant le Seigneur), ce n'est pas la foi en l'Église, c'est la foi comme pleine confiance en Jésus seul* qui se rend présent au milieu de nous par son Évangile implanté dans le Premier Testament. Jésus à qui nous pouvons accéder directement par son message qui se trouve à notre portée en permanence (Luther parle des  : ‟Paroles qui apportent Jésus” et Calvin du témoignage intérieur -secret- du Saint Esprit).

Ce que cela signifie pour nous : Actualisation proposée : La justification par la foi en Jésus notre Sauveur et notre Seigneur concerne le don gratuit (sans condition, sans raison) d'un sens à notre existence (qui, par elle-même, est et reste con­tin­gente et finie) ainsi que d'une raison d'être à notre vie (être témoin auprès des autres).

Celui (Jésus, Évangile) qui nous confère ces réalités premières et dernières doit être lui-même avant tout ce qui est premier et après tout ce qui est dernier.

Ainsi commence, pour nous, avec nous et avec les autres, une nouvelle existence : l'exis­tence-au-centre (non "centrée sur"), actualité réalisée par la rencontre du passé et de l'à-venir. Dans la confiance en Jésus, en Christ, se trouve l'actualité où se rejoignent l'Alpha et l'Ôméga, où se rencontrent notre pardon (notre commencement, notre libération) et notre liberté (notre fin laquelle est accomplissement de l'amour). Libres parce que pardonnés, non l'inverse comme peuvent le penser les libertaires ou les libertins (2 Co 3,17), libres pour l'amour -au-delà de la compassion-. Cela se produit  une fois pour toute pour chacun de nous et pourtant ce n'est jamais un acquis, cela se maintient toujours dans l'actualité par la foi, par le moyen d'une action de la Parole scriptu­raire biblique, chaque fois que nous recevons avec le Saint Esprit la Bonne Nouvelle de l'Évangile, annoncée et écou­tée, inscrite en nous, en notre  être, en notre mémoire cérébrale, physique, existentielle. La rencontre de notre pardon et de notre liberté, découlant de la Parole écoutée et entendue, actualité du Christ Jésus et, par là, du Seigneur, peut se produire quotidiennement.
Cette justifica­tion se démarque de l'autojusti­fi­cat­ion (‟J'ai ma conscience pour moi”, ‟Je suis l'élu”) et de la culpabilisation (‟Je ne suis rien, bon à rien”, ‟Nous sommes des déchets, dans un monde inondé de déchets”; ‟On est dans la merde”, ‟Tout se vaut et rien ne vaut rien”).

 Dans le langage biblique, la justice s'oppose à une autre catégorie biblique essentielle : le péché. Ainsi, lorsque je dis ou pense : ‟Je peux me jus­ti­fier moi-même, justifier mon existence”** je suis non seulement dans l'erreur, mais dans le péché, car je sais que je mens, que je me mens, que je suis dans le mensonge, que je finis par croire que c'est vrai.

De là la sévérité contre le mensonge, l'à peu près,  les faux-semblants, dans les civilisations post-protestantes. Civilisations qui se sont fondées sur le probité, la sincérité, le crédit, la solvabilité, la parole donnée (toutes choses que nous retrouvons chez Kant et dans le kantisme), avec aussi, dans certains cas, un sentiment de supériorité (Apartheid), toutes  indications jointes à une énergie pour la protestation de l'Évangile et pour la justice.  Le défi des Églises dont la prédication se fonde sur la Paroles des Écritures bibliques, reflet d'une époque pré-scientifique, est le parler néanmoins vrai dans la société scientifique actuelle.

Au contraire, lorsque je dis ou pense : ‟Je ne peux pas me justifier ni justifier mon existence, elle reste et restera suspendue dans le vide” (contin­gente), je suis dans le vrai. Non pas dans la vérité stoïcienne***, mais, par la grâce inex­pli­cable de la Parole ("Le juste vivra par la foi"), par la confiance mise en Jésus.

Cependant, dans la confiance mise en Jésus, dans la foi évangélique, le péché n'est plus pre­mier, héréditaire, il n'est jamais reporté sur une extériorisation de nous (la faute de la société selon Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778), il n'est désormais perçu par nous qu'à partir du pardon, comme éffacé, porté pour nous sur la Croix par Jésus et non dans sa terrible tin­­gence.

a) la foi est ici conçue comme la relation vivante de confiance en Jésus seul* confessé comme le Messie du Seigneur, le Sauveur, le libérateur; toujours présent par sa bonne nou­velle (son Évangile) -donc rien d'abstrait- à partir de ses paroles implantées dans le Premier Testament dont Jésus se présente comme l'accomplisse­ment.
Cette foi (1 Co 12,3) nous conduit à la conception spécifique du Seigneur de Ex 3, 6 et 14 et de  De 6, 4, Dieu vivant d'Abraham, Isaac et Jacob, Dieu saint qui n'est pas sacré, pas divin, Dieu "Père" de Jésus. La foi, ainsi dite, est opérée par l'Écriture ou la Parole non par le texte bi­blique devenu, à son tour, un intermédiaire. Luther parlait, des "paroles qui apportent Christ", Calvin parlera du témoignage intérieur (secret) du Saint Esprit (qui explicite l'action -secrète- du Saint Esprit et accentue la "présence" concrète du Christ Jésus de Naza­reth) chez Calvin, le Saint Esprit prend l'être humain tout entier : inconscient et conscient, il n'est saisissable qu' a posteriori , dans ses effets.

b) en même temps, la foi est 
§ une vision, une intuition, des choses ; un devenir eschatologique et non une nature  substantielle venue du passé. De là, une autre manière d'existence dans le monde, aussi longtemps que durent notre non-sens et notre corruptibilité, celle de ceux qui sont en même temps pécheur et juste : pécheur lorsque je dis que je suis juste et juste quand je dis que je suis pécheur). Les théologiens calvinistes préfèreront l'expres­sion de "pécheur pardonné" : tou­jours pécheur et toujours pardonné. Que la bonne conscience ne s'installe pas, que nul ne s'enor­gueillisse (1 Co 1, 29), ne s'imagine être arrivé. De ces deux pôles tenu ensemble naît l'intensité de notre existence (pensé, paroles, actes). La vie du pécheur-juste ou pécheur pardonné, faite de joies et de peines, de problèmes ou de drames, d'erreurs et de fautes, de maladies et d'avanies., est soutenue par son existence nouvelle qui a une origine et une fin, partant et repartant du pardon pour aller toujours de nouveau vers la liberté.

Le péché originel héréditaire d'Augustin est remis en question chez le protestants aujourd'hui. Les idées biblique d'un "péché du monde "(Jean 1, 29) ou du "mystère d'iniquité" -ou d'impiété- (2 Thes 17) chez Paul, ont la préférence, Nous constatons que la Bible ne nous parle pas de l'origine du mal, que celui-ci est toujours là avant nous, que le vouloir être comme des dieux, ne rien devoir qu'à nous-mêmes, subsistent malgré les changements de civilisation.

§ une façon d'agir dans, sur et pour la société (le témoignage voulu ou non voulu : "Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux", Mt 26,39), non comme des acteurs , nécessaires, mais comme des "serviteurs inutiles" (Mc 7,10)  ce qui opère, dans le monde, non des miracles, mais des transformations spécifiques, à nulles autres pareilles, car nous savons que pour cela il a fallu que quelqu'un paye, meure, donne sa vie et que ce quelqu'un soit dans la relation la plus intime avec Celui qu'il appelle le Père.
Existence dans le monde et transformation de la société sont vécues par les individus et par la commu­nauté de l'Église.

Dans la conception traditionnelle du christianisme, le salut est une continuation de l'histoire sainte ; succession apostolique, incarnation ininterrompue de l'eucharistie, vœux perpétuels etc.. Avec les réformateurs, cette vue st entièrement renouvelée, On a désormais le schéma du salut que l'on peut tirer de Luther : justification [le sens de l'existence] -sanctification [l'éthique biblique-évangélique différente d'un moralisme, d'un puritanisme] -vocation (Berufung) - profession (Beruf),
ou de Calvin : élec­tion [sentiment d'être personnellement mis à part pour un but] -charisme [don humain reçu gracieusement] - vocation -entreprise - succès [qui est le signe de l'élection]****,
d'où la conception, plus marquée chez Calvin que chez Luther, de "l'éthique dans le monde" (ce qui veut dire que l'existence chrétienne ne se réalise pas hors du monde, dans des retraites et des couvents, mais dans la vie courante des humains en société ***** , ce qui pourra dévier vers le puritanisme).

* Autres approches de la foi : fanatisme : la foi en une idéologie (religieuse ou non) imposée par un pouvoir agissant avec la terreur ; crédulité : attente du mira­cu­leux, adhésion à des croyances ; conviction(s) : être convaincu par un discours, l'orthodoxie  est une croyance en des dogmes, des articles de foi, des rituels et des croyances, en une Institution faite de rites, de règlements, de coutumes, en une Sagesse La foi, comme mise de son entière confiance en Jésus présent ici et aujourd'hui par son Évangile enraciné dans le Premier Testament s'oppose aux œuvres : les rites et rituels, les œuvres méritoires, mais non aux "œuvres de la foi", celles qui découlent de la foi (ce qui a provoqué au temps de la Réformation, une polémique luthéro-catholique autour de l'Épître de Jacques).
** Cette thématique a été retrouvée par les philosophes existentialistes (chrétiens ou athées) à la suite du pasteur-théologien-philosophe Sören Kierkegaard (1813-1855). Ces penseurs soulignent la contingence et la finitude de l'existence humaine et la désespérance qui s'en suit. Martin  Heidegger pense (sans parvenir à le prouver d'une façon évidente) que l'on peut racheter le temps et restaurer notre authenticité (intégrité). Jean-Paul Sartre exprime cette situation humaine universelle avec cette parole paradoxale bien connue : "Nous sommes condamnés à la liberté" et encore : "Il n'y a que des lâches ou des salauds". Dans notre vie courante , voir la passion d'avoir raison, la soif de justification qui pousse les gens à raconter leur histoire, à chercher des excuses, la passion procédurière, la recherche des distinctions, des honneurs, tout le travail -vain- des philosophes existen­tia­listes athées (la déréliction chez Martin Heidegger, 1889-1976),
 *** Les philosophes stoïciens (de "stoa": portique) appelés ainsi parce qu'à Athènes, à l'origine, ils enseignaient sous un portique, se sont développés du 3ème siècle avant Jésus Christ au 2ème siècle après. Ils préconisaient les attitudes à prendre devant la destinée, elle-même inévitable.
**** Chez les calvinistes : élection - entreprise - succès. C'est l'élan d'où est sorti le monde moderne. La base des études de Max Weber sur protestantisme et capitalisme.
***** Au 19ème siècle, Thérèse de Lisieux (1873-1897) retrouvera cette conception qui relativise la vocation religieuse. Cela lui vaudra d'être déclarée "Docteur de l'Église". Or nous savons qu'il s'agit d'une conception calvinienne remontant au début du 16ème siècle.

L'Autorité des Écritures*
Au lieu du magistère de l'Église, cette conception implique à court terme la redécou­verte du Dieu de la Bible, celui d'Israël, celui des Juifs.

- ni le "Dieu" fourre-tout du christianisme hellénisé (déjà chez Luc, chez Paul, chez Jean), ni le Dieu des philosophes (comme le qualifie Blaise Pascal), mais le Seigneur UN dont on ne prononce pas le nom (De 6,4) (même si on pense pouvoir le faire) ;
- non l'Être, mais celui qui dit à Moïse "Je suis qui je serai" (Ex 3,14); le Dieu de l'Alliance : "Dieu vivant, Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob" (comme le rappelait Blaise Pascal) ; 
- le Dieu qui n'est pas sacré, mais justice et miséricorde, jamais justice sans miséri­corde, jamais miséricorde sans justice ; 
- non, d'abord, le "Tout puissant "El Chaddaï, expression apocalyptique typique d'une situation de persécution, reprise comme "theos pantocrator" de la pensée théologique orientale ;
- mais aussi El Sabaoth, "Dieu des armées" (sous-entendu : armées des cieux, c'est à dire "Dieu de l'univers", "du cosmos")
- et surtout, le Père , Père qui es aux cieux, de Jésus ;
- ou encore le "Tout-Autre" de Karl Barth.
Actualisation : le Seigneur vivant qui n'est ni divin ni sacré ni l'Absolu.

* La fermeture du canon (tant du côté juif que chrétien) est un fait au seizième siècle. Les protestants reprennent le canon juif pour le Premier Testament alors que les catholiques y ajoutent les deutérocanoniques (qui prennent la même valeur que les livres canoniques dans la pratique). Le canon du Nouveau Testament est le même chez les catholiques et chez les protestants. Cette fermeture signifie qu'il n'y a plus de nouvelle inspiration de nouvelle révélation (contrairement aux Mormons qui donnent valeur d'inspiration au Livre de Mormon). On parlera alors d' "assistance du Saint Esprit" donnée à l'Église (non aux chrétiens individuels) ou d'éclairage, d'illumination (le "témoignage  [ou le secours] intérieur du Saint Esprit "-Calvin-) qui est donné à toute personne qui se met à l'écoute du texte inspiré de la Parole. .
** L'Autorité des Écritures est interprétée de plusieurs manières : 1) la Bible prise à la lettre ou 2) la Bible objet d'exégèse ou encore, 3) la Bible comme Parole, comme parole inspirée qui nous inspire. Luther voulait que l'on interprète la Bible à la mesure de la justification par la foi (ce que l'on appelle un "canon dans le canon"). Il préconisait une  théologie de la Croix (ne pas confondre avec une adoration du crucifix) contre la théologie de la Gloire (Thèses de Heidelberg, 1518). En situation : l'Écriture interprétée par l' "homme des religions"; par "l'homme moderne", par l'homme de la société post-moderne, interprétée dans une société multicultrelle. Une Autorité qui s'adresse autant au cœur qu'à l'intelligence.
Noter que la Réformation correspond à l'époque de l'invention de l'imprimerie et du retour aux sources gréco-latines -Calvin publie un commentaire du De Clementia de Sénèque- , philosophe stoïcien)

Le concile de Trente (1545-1547)
Il se veut la réponse catholique à la Réformation, il est l'origine d'une culture de la "contre-réforme" qui consiste à prendre le contre­pied de la culture protestante naissante (en particulier dans les surcharges de décorations extérieures et intérieures des églises), il est aussi le point de départ d'un certains nombre de réformes ca­tholi­ques mineures.

Dans l'ensemble, le concile n'a pas compris la pensée de Luther, 'il a combattu une Ré­for­mation déformée. L'un des points d'achoppement principaux est l'affirma­tion que la Jus­tice qui nous est conférée par et dans la foi nous reste extérieure ("forensique"), affirmation par laquelle Luther (et plus encore son ami Melanchthon) exprime l'idée que même lorsque nous participons -par la foi- à la Justice, celle-ci ne nous appartient jamais, ne s'infuse pas en nous (en langage scolastique : ne devient pas un habitus).

Certains théologiens catholiques, aujourd'hui, reconnaissent la vérité théologique et religieuse de cette affirmation (Karl Rahner et Herbert Vorgrimmler, Petit Dictionnaire de théologie catholique, article Justification forensique, édition Livre de Vie n° 99, p. 249).

Le posttridentinisme : le pape Grégoire13 (1502-1585, qui prendra les Décrets d'appli­ca­tion du Concile de Trente, est au départ d'une doctrine et d'un esprit, non seulement contre-réformateurs, mais anti-protestants : le posttridentinisme qui règnera jusqu'au concile de Vatican 2 (1962-1965) et a laissé des traces jusqu'à aujourd'hui.

Les Églises issues de la Réformation
En 1577 (Formule de Concorde qui exprime l'accord des divers mouvements issus de l'action de Luther) naît l'Église luthérienne. Elle va s'étendre à l'ensemble de l'Alle­magne (ex­ce­pté certaines régions, tel le Palatinat, qui adopteront le calvinisme), les Pays scandi­naves et divers autres pays proches de l'Allemagne (c'est comme cela que le Pays de Montbéliard, pos­ses­sion du roi de Prusse, sera protestant).

Églises calvinistes : Au 16ème siècle, on estime que la France était pour près de la moitié de sa population acquise à la Réformation. On parle d'églises réformées parce le pro­tes­tan­tisme calviniste a préféré prendre ce nom moins personnalisé. Ces églises, qui avaient vo­ca­tion à se déve­lop­per en France (le premier synode national réformé français a eu lieu à Paris en 1559) ont connu un arrêt et une déperdition du fait des interdits, puis de la persécu­tion.

Il n'y a qu'en France que l'on parle de temples et de cultes. Partout ailleurs, on parle d'églises (Kirche, Church), les allemands disent "service divin" (Gottesdienst), les anglicans ont conservé le mot de messe (mass).


Le calvinisme ne fera pas souche sur sa terre natale, c'est L'Angleterre qui va devenir la terre d'élection du calvinisme. Déjà sous le règne d'Henri 8 (1500-1547) il existe en Angleterre et en Écosse une classe moyenne instruite qui voit dans les idées réformatrices une occasion d'éman­cipation politique de sorte que le protestantisme ne sera pas tant imposé d'en haut que souhaité par une part importante, du moins de la population des villes.

L'Église d'Angleterre, séparée du Saint-Siège de Rome n'avait pas de théologie propre, le roi Edouard 6, fils d'Henri 8 et de Jeanne Seymour, qui règnera à l'âge de 10 ans et mourra à 16 ans (1547-1553) adoptera la doctrine de Calvin. Suite à l'action de John Knox (1514-1572), il en sera de même pour l'Écosse. Notons que le réformateur de Strasbourg, Martin Bucer (1491-1551), porteur d'une pensée réformatrice originale qui, sous certains côtés, vient de Luther, sous d'autres influencera Calvin, enseigne à Cambridge dans les mêmes années.

L'Église d'Angleterre est calviniste malgré les impressions que peuvent donner les fastes tra­di­tionnels des cérémonies royales londoniennes. L'archevêque de Cantorbery (marié et père de famille) n'est pas nommé par la Reine ou le Premier ministre, il est élu par un vote du synode général de l'Église d'Angleterre. Les Églises épiscopaliennes (communion anglicane hors d'An­gle­terre) se réclament de la même théologie avec des évêques élus par les représentants des églises.

Le calvinisme apporte avec lui l'organisation presbytérienne-synodale, instaurant une démocratie de l'Église au sein d'une monarchie traditionnelle. Les protes­tants dissidents anglais de la May-Flower (1620) transporteront ce système en Amérique où les Pères pè­lerins établiront le premier régime de démocratie politique moderne que nous connaissions.



PS : le mois prochain, nous étudierons plus spécialement la façon dont l'Église a été conçue et est vécue par les Églises issues de la Réformation.


Jacques Gruber



JUILLET-AOÛT  2016

compte-rendu de la réunion du 5 juin 2016 (?)

LES  ÉCHECS  SUR  LE  CHEMIN  DES  RÉFORMATEURS

La Réformation est étroitement liée aux Réformateurs, même si elle les dépasse large­ment. Luther et Calvin ont rencontré dans leur action des problèmes inattendus qu'ils n'ont, pour le moins, pas su traiter convenablement à nos yeux. J'en donne ici la liste non exhaus­tive. Ajoutons que, pour nous, les Réfor­ma­teurs ne prétendent pas être des saints et qu'ils en avaient bien conscience. L'essentiel pour eux, comme pour nous, était et demeure la redé­couverte de l'autorité des Écritures, en d'autres termes : de la Parole. C'est à partir de cette époque que l'on peut parler d'une évangélisation de l'Europe : le nombre des "lisants" a augmenté considérablement, Luther ouvre les premières écoles de filles, le texte biblique en traduction se répand dans les couches profondes des populations.

 Luther entre en débat avec Érasme (1469-1536)  dans les années 1524-1525. Érasme,  en bon humaniste, défend le libre arbitre (Diatribe sur le libre arbitre, 1524), Luther avait soutenu le contraire dans son Traité de la liberté du chrétien (1521), Les deux hommes ne se réconcilieront pas*. Au 20ème siècle, Sigmund Freud (1856-1939) analyste de l'inconscient démontre que nous ne pouvons nous prévaloir d'aucun libre arbitre. [pas de libre arbitre, mais, sans doute, une certaine marge d'autonomie].

* En conséquence de l'autorité des Écritures pour le chrétien et pour l'Église, Luther refuse toute inféodation de la théologie à aucune philosophie, à l'aristotélisme du thomisme, au platonisme des humanistes (surtout italiens ou, pour les pays allemands ; Érasme). Nous aurons à revenir sur cette doctrine des deux Règnes (voir Réformation 3).

De 1521-1564, Calvin écrit son Institution de la religion chrétienne. Il y défend, entre autre, la double prédestination (les élus et les réprouvés le sont dès avant leur naissance, ‟Si les loups le savaient, ils ne mettraient plus de petits au monde” réagit Sébastien Castellion, colla­bo­ra­teur de Calvin) ; le témoignage intérieur secret du Saint Esprit ; une éthique chrétienne qui se réalise dans le monde (dans la famille, la profession, l'action économique et politique) ; le régime pres­by­té­rien-synodal. La double prédestination s'appuie sur les écrits antipélagiens (contre le moine Pélage qui soutenait que nous faisons notre salut) d'Augustin mis à  l'indes par l'Église catholique (aux temps où l'Index existait).

Sébastien Castellion s'élèvera aussi contre la condamnation de Michel Servet (1511 -1553) .Michel Servet, médecin espagnol qui soutenait la thèse non-trinitaire (on disait, à l'é­poque : "antitrinitaire") avait été condamné au bûcher par l'Inquisition dans son pays. Il s'était réfugié en Suisse, à Schaffouse qui s'en était débarrassé sur Bâle, qui l'avait envoyé à Genève. Calvin qui était justement accusé de non-tri­ni­­tarisme par ses adversaires à ce moment-là s'était trouvé piégé : il lui était difficile de donner asile à une personne condamnée comme antitri­ni­taire. Les conseils élus de la Ré­pu­blique de Genève confirmeront la condam­na­tion au bûcher de Michel Servet, sans que Cal­vin, usé par les luttes partisanes du peuple genevois, y fasse opposition. Servet sera brûlé au lieu dit du Champel, hors de la ville de Ge­nève  en 1553. Les Genevois y élèveront plus tard un monu­ment expiatoire.

On peut voir dans Ignace de Loyola (1491-1556) et son ordre des Jésuites une réaction catholique au rayonnement de Calvin. Deux devises s'affrontent : Calvin : ”|A Dieu seul la Gloire” et Loyola ! ‟Pour la plus grande Gloire de Dieu !”.  Loyola défend une forme non seulement absolue, mais encore infaillible,  d'autorité de l'Église : ‟ Marcher comme un cadavre”, ‟ Si l'Église dit que la neige est noire, tu diras qu'elle est noire ” (Exercices sporituels), son ordre sera, d'autre part, à l'origine de la casuistique en morale.

La réformation soulève un vent de liberté. Les paysans, soumis au servage, se ré­voltent. Les seigneurs (protestants) leur opposent une répression sans pitié que Luther (qui soutient l'ordre social féodal établi) ne désavoue pas (années 1524-1526).

Autre conflit : les anabaptistes (rebaptiseurs ou rébaptiseurs) qui considèrent le bap­tême des enfants (coutume justifiée par Luther et par Calvin) comme nul. Sous la bannière de l'ana­bap­tisme un mouvement libertaire se réclamant d'une direction directe par le Saint Esprit, instaure dans la ville de Munster une démocratie popu­laire anarchiste qui conduit à des dé­s­ordres sociaux. Le mouvement sera écrasé en 1535 avant de renaître, sous une forme apaisée, avec les baptistes.

En 1534, quelques protestants parisiens activisres placardent, jusque dans les apparte­ments royaux de François 1er, des affiches contre la messe. Le roi, à qui Calvin avait dédié sa pr­e­mière édition de L'Institution chrétienne et qui portait attention aux idées reformatrices  auxquelles sa mère, Louise de Savoie, était acquise, se détournera définitivement du mouve­ment protestant jugé subversif. Son retournement aura pour effet que Calvin quittera Paris (où il ne reviendra plus) pour Genève. 

La conjuration d'Amboise : un groupe de seigneurs protestants avait projeté de rame­ner le roi François 2 (qui ne règnera que de 1559 à 1560) d'Amboise où il résidait à Paris, pour le soiustraire à la pression des Guise. Ils seront mis à mort et leurs corps suspendus aux balcons du château d'Amboise, aux yeux du public. Cela n'empêchera pas que les protestants obtiendront en 1563 de Charles 9, successeur de son frère François, un édit qui leur accordait le droit de culte dans le royaume.

Dans ses dernières années, Luther, qui avait fait des Écritures la seule règle du chrétien et de l'Église pensait que les Juifs se rallieraient à la Réformation. Il n'en fut rien et Luther en conçut un dépit qui le poussa à écrire une série de libelles antisémites violents où l'anti­sémitisme chrétien du Moyen-Âge refaisait surface. Ces libelles ont-ils été vraiment sui­vis d'effets, dans l'immédiat et par la suite ? Une ville comme Strasbourg les a désap­prouvés. C'est Joseph-Paul Goebbels (1897-1945) qui leur a rendu vie pour instrumenter les protestants allemands dans les années du nazisme.

En Angleterre : Il y aura une persécution des protestants anglais sous le règne de Marie Tudor, fille de Henri 8 et Catherine d'Aragon (1485-1536) dite ‟Marie la sanglante”, laquelle quittera le trône anglais lors de son mariage avec Philippe 2 d'Espagne (1527-1598). Les catholiques, libérés par le pape de leur serment d'allégeance au trône seront à leur tour épisodiquement persécutés ou discriminés sous le règne d'Elisabeth 1ère fille d'Henri 8 et Anne Boleyn (en particulier lorsque l'Angleterre sera menacée par la Grande Armada de Philippe 2),

Jacques Gruber

Le prochain blog sur la Réformation sera publié en octobre prochain


 OCTOBRE 2016
 9 octobre 2016

compte-rendu de la réunion du 9 octobre 2016

P R O T E S T A N T S

L' É G L I S E

Jésus seul,

Les religions sont riches de nombre d'éléments, mais un protestant ne veut retenir  que la seule chose nécessaire : l'accès direct à Jésus et, par lui, au Seigneur du Premier Testament, autrement dit la foi, c'est à dire la confiance, mise en Jésus (que nous saluons comme le Christ, c'est à dire le Sauveur et le Seigneur). Cela se fait par un seul moyen : l'Évangile (le message du Nouveau Testament,) car Jésus est l'Évangile, l'Évangile est Jésus : une seule et même réalité dans des catégories d'existence différentes.

seul l'Évangile,

Quand nous disons couramment : "L'Évangile", nous faisons appel à une intuition du Nouveau Testament dans son ensemble, qui peut s'exprimer entre autre comme la Bonne Nouvelle, la Nouvelle Alliance, Jésus Seigneur et Sauveur, la Voie par excellence de l'Amour, la justification -ou salut- par la foi. Cette intuition est le fil conducteur pour notre interprétation du Premier Testament, mais aussi pour l'inter­pré­tation (je ne dis pas "la grille", mais l' "hermé­neutique") de tout événement person­nel, national, interna­tio­nal.

fondent une Église :

L'Église est seconde par rapport à la Parole (elle découle de la communion évangélique avec le Christ), elle ne doit pas être l'intermédiaire-écran.

Les protestants ne sont pas une nouvelle religion, ni même une nouvelle Église, mais cependant : un christianisme renouvelé et une Église chrétienne renouvelée, toujours de nouveau renouvelées par la parole de Dieu.

Pour exister dans la durée, toute foi, toute idée, tout art, toute découverte, ont besoin d'une Institution (voir : Institut Pasteur, Institut Curie, Académie française, Académie des sciences …). Ainsi, les protestants ont-ils établi les principes de l'Église chrétienne évangélique: le salut chrétien se produit par la grâce seule  (il est inconditionnel) ; grâce qui agit comme elle veut, par toute sorte de moyens, mais de façon spécifique, par la seule foi (excluant les rites, les œuvres méritoires ou nos au­to­justifications modernes) ; foi qui est apportée et entretenue par l'écoute de l'Écriture biblique qui, elle seule peut produire le moment du Saint Esprit ; l'Écriture avec le Saint Esprit (avec son " témoignage intérieur secret ", comme dit Calvin) devient parole de Dieu. Les trois ensemble, grâce, foi et Écriture, pas l'un sans les autres.

La grâce : tout est et reste de l'ordre du don, sans avoir le sentiment d'être redevable. La grâce seule, la foi seule, les Écritures seules : seule la grâce donne la foi et les Écritures, seule la foi reçoit la grâce et les Écritures, seules les Écritures forment la foi et nourrissent de la grâce.
Le débat sur la grâce commence avec la controverse entre le moine Pélage et l'évêque Augustin (aux 4ème -5ème siècles). Pour Pélage l'être humain collabore à son salut, pour Augustin non (dans des textes auxquels l'Église catholique ne souscrit cependant pas). Calvin, puis Jansénius (qualifié de "Calvinisme rebouilli" par Bossuet) prendront la suite d'Augustin. L'Église catholique pour qui l'homme est ‟Capable de Dieu”, pour qui la grâce perfectionne la nature, est considérée par les protestants comme semi-pélagienne. Les orthodoxes soutiennent une synergie qui se présente comme une mise en œuvre de l'Incarnation..
L'idée biblique de la grâce est qu'elle est un don (elle n'est ni proposée, ni conférée, ni offerte) et demeure un don. Nous l'avons (1 Corinthiens 13, Paul écrit à deux reprises : ‟Agapèn échô”), sans jamais la posséder, elle est notre devenir sans se transformer d'aucune manière en acquis. Nous sommes autonomes dans la vie courante, dénués de libre arbitre pour la grâce, mais nous pouvons propager l'amour qui découle de la grâce comme une bougie qui a reçu la flamme et la communique à une autre bougie. Jésus possédait la grâce, c'est lui qui est toujours encore le foyer qui nous communique cette flamme (nous ne venons pas la chercher) : parodiant Blaise Pascal : ‟Tu ne me chercherais pas si Je ne t'avais déjà trouvé”.

Mise en perspective

En gros on peut dire que les Églises de la Tradition sont en charge du divin (le sacré, le pur et l'impur, interprétés dans la catégorie de la substance) en charge de l'homo religiosus (l'être religieux universel lié à notre humaine condition) tout entier, dans le monde, que les Églises de la Réformation se veulent Témoins de la Parole (de l'Esprit et de la sainteté) devant tous les humains. Il y a rup­ture avec l'homo religiosus : "Dieu est Esprit et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité" (Jean 4, 24) [Je note que Jean utilise bien le terme d'adoration et qu'il exprime une exigence absolue par un "il faut"]. (Pourtant il existe bien un moment mystique chez les protestants, voir plus loin).

Les Églises de la Tradition sont des institutions de salut qui se pensent dans le schéma circulaire d'un retour à Dieu (tout vient de Dieu et toute va à Dieu) et dans la croyance en un  univers à trois étages : cieux, terres, enfers.  À partir du concile de Trente (1548) et des décrets d'application formulés par le pape Grégoire 13 (régnant de 1572 à 1585) l'Église devient un sujet, une personne, elle est hypostasiée. Pour les Églises de la Tradition, tout est tradition; pour les Églises de la Réformation, tout est interprétation (voir ci-dessus et ci-dessous).

Les Églises de la Réformation, sont des Églises de la foi (non des mérites), des Églises des œuvres de la foi (qui en découlent), des charismes qui sont attribués -non offerts, non proposés- par le Saint Esprit,  non des œuvres méritoires des rites de salut : "La grâce seule, la foi seule, l'Écriture - ou la Parole - seule" (‟C'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu”, Éph 2,8).

La définition protestante de l'Église

Comment l'Église s'interprète-t-elle de ma­nière évangélique ? Chaque Église s'exprime dans une confession de foi qui est comme sa carte de visite (Confession d'Augsbourg, 1530, Confession de La Rochelle, 1559, Déclaration de foi de l'Église réformée de France, 1938).

On n'est pas sauvé par l'Église (par son clergé, intermédiaire de Dieu), mais pas non plus sans l'Église (les frères et sœurs dans la foi). L'Église est corps de Christ, chaque déno­mi­na­­tion peut en être considéré comme l'un des organes : foie, estomac, poumons, intestins, reins, cœur etc.

L'Église c'est l'église locale avec une hiérarchie de conseils élus (conseils presbyté­raux, synodes régionaux et nationaux ; ce qu'on appelle : régime presby­té­­rien-synodal).

L'Église terrestre, historique, l'Église visible, est néces­sai­­re­ment, ensemble, pé­cheresse et pardonnée, nous la ré­fé­rons (nous la réformons toujours de nouveau selon l'Évangile) à l'Église invisible (ou implicite), qui n'est pas ici conçue comme une Église céleste formée par les chrétiens qui ont accédé à la vie éternelle, mais soit comme la réalité des chrétiens témoins de la Parole qui existe en dépit des infidélités manifestes des Églises, soit comme son modèle annoncé par les Écritures sur le mode eschatolo­gique (à venir aux derniers temps).

L'Église est là où la Parole est fidèlement annoncée et les sacrements (baptême et cène) correctement adminis­trés, ces adverbes doivent nous garder du sectarisme comme du "n'importe quoi", les deux dangers qui menacent nos Églises. Calvin ajoutait : l'Église est là "où la Discipline de l'Église est observée", c'est à dire les règles admises par tous pour le fonctionnement de l'Église.

Actualisation : dans un monde post-chrétien, dans une société multiculturelle, l' Église pluraliste (qui admet plusieurs courants ou plusieurs unions d'Églises différentes), au sens protestant pour qui l'Église est "locale", n'est pas multiculturaliste (ce qui serait du "n'importe quoi").

Le régime presbytérien-synodal, repo­sant sur sa base, renverse la conception pyra­mi­dale traditionnelle que l'on peut comparer au bras de "Dieu" qui ramasse l'humanité et la ramène à "Lui". La pyramide de la conception ecclésiologique traditionnelle a été renversée (en quoi il s'agit bien de réformation de l'Église, non de réformes qui sont des mises à jour, des aggiornamenti). Une Église presbytéro-synodale se pense dans le schéma horizontaliste du temps linéaire du Jardin (d'Éden) à la Cité (de la Jérusalem Nouvelle descendue des cieux), de la Création à la Nouvelle naissance et à la Rédemption. C'est l' Ecclesia reformata semper reformanda (Église réformée qui doit se réformer sans cesse … selon l'Évangile).

Les Églises qui se reconnaissent dans l'autorité des Écritures (Bible-Écritures-Parole) re­trouvent le Seigneur du Premier Testament, qui est justice et miséricorde, dont on ne pro­nonce pas le Nom, le ‟Je suis qui je suis ” d'Ex 3, 14. Le retour aux Écritures  permet aussi de retrouver le QaHaL d'Israël (une démocratie populaire) et la constitution charismatique de l'Église chez Paul.

Elle se considèrent moins comme "peuple de Dieu", que comme "peuple des témoins de Jésus, Sauveur et Seigneur" (= Messie, Christ). Pour Wyclif (1330-1384) et pour Calvin, (1509-1564), théoriquement, l'Église rassemble les élus prédestinés, les réprouvés en sont exclus, mais Calvin (dans le premier chapitre de son Institution de la religion chrétienne) recommande, de considérer, dans la pratique, tout le monde comme sauvé. Karl Barth (1886-1968) a repensé cette théologie (qui peut se prévaloir de textes bibliques répondant à des circon­stances particulières concernant le choix des chefs du peuple d'Israël), pour lui, Jésus est l'Élu-réprouvé, il a pris sur lui la colère de Dieu, désormais celle-ci ne peut plus nous anéantir, de la Croix, découle la grâce pour tous.

Il peut arriver qu'une Église totalisante se prévale aussi (puisqu'elle totalise tout) d'être une Église de témoins, elle n'en demeure pas moins, foncièrement, une Église en charge du divin dans le monde. Une Église de témoins devrait être rayonnante et contagieuse.

Pour les Églises de la Tradition qui ont en charge le divin, les Églises de la Réforma­tion qui sont témoins de la Parole ne sont pas des Églises (Joseph Ratzinger, pape Benoît 16). Les protestants se considèrent comme pleinement apostoliques, en dehors de la succession rituelle, du fait qu'ils sont en contact direct avec les écrits apostoliques, que ceux-ci orientent et réorientent leur existence. Selon la définition de la religion comme ce-qui-relie, les Églises de la Parole, de la relation établie par la Parole, sont de l'ordre du religieux, mais d'un reli­gieux dégagé du divin. Le témoignage intérieur du Saint Esprit par lequel une parole biblique devient pour nous La Parole est le moment mystique (donc religieux) protestant et, tant la Parole peut être nombreuse, au contact des textes bibliques, que nous n'ayons pas à en souhaiter d'autre. Le moment mystique de la Parole, où une parole biblique est confirmée par le Saint Esprit, dans notre psychologie des profondeurs, sans émotion particulière, peut se prolonger en prière. Nous pouvons ainsi parler d'un "homme religieux de la Parole", base non seulement d'une relation, mais d'un échange personnel avec celui auquel la Bible donne l'appellation de "Seigneur", par opposition à l'homme religieux du divin. Étant donné le cas de figure de la parole de Dieu, on pourra peut-être bien  parler du Silence de Dieu (Dieu = la Divinité), le Seigneur biblique, Lui, parle. Plusieurs, parmi les déportés de la dernière guerre européenne, qui se sont trouvés dans cette situation, retrouvant dans leur mémoire les Paroles bibliques (ou celles de certains de nos chants) retenues dans leur vie précédente, ont reçu dans leur for intérieur la parole de la foi espérée dans les circonstances tragiques qu'ils traversaient. Dans le monde protestant, il n'y a aucune prière devant un objet (statue ou autre). Les bougies peuvent être symbole de la Parole, en aucun cas de prières par procuration.  Les Églises de la révélation ne visent pas à être dans le vérité ou la posséder, mais à vivre une relation personnelle vraie avec Jésus le Seigneur.

La prochaine fois, nous verrons les différences protestantes dans la conception des sa­cre­­ments, le culte protestant, le régime presbytérien-synodal, le sacerdoce universel, l'é­thique dans le monde, calvinisme et capitalisme, la pauvreté de l'Église, les Deux Règnes, universa­lisme et évangélisation, l'expansion du protestantisme.

Jacques Gruber

NOVEMBRE 2016

compte-rendu de la réunion du 6 novembre 2016

PROTESTANTISME (S)


Les Sacrements

Le protestantisme en compte deux, ceux qui ont été institués dans les Nouveau Testament. Pour le baptême, on peut, de préférence, s'appuyer sur Romains 6, 3-5. Le texte de la finale de Mat­thieu (Mt 8, 16-20), est caractéristique des versets politiques - de politique ecclésiale - de cet Évangile, relevant plus de la discipline de l'Église que de la Bonne Nouvelle.

Le baptême existait antérieurement aux Évangiles comme rite de pardon des péchés ou en place de la circoncision pour les prosélytes juifs du premier siècle. Pour les protestants, il n'enlève pas le péché originel et n'inscrit pas, pour le temps et l'éternité, dans l'Église, il est mort et résurrection avec Jésus, entrée dans la Nouvelle Alliance (Rm 6). Le baptisme qui exige le baptême d'adultes, par immersion, répond à une exigence fon­da­men­ta­liste qui peut devenir sectaire.

Le protestantisme pratique le baptême des petits enfants. Depuis le milieu du 20ème siècle il propose aussi aux parents une "présentation". Le petit enfant est présenté au Seigneur et à l'assemblée de l'Église, ses parents prennent l'engagement de tout faire pour qu'il puisse connaître l'Évangile et demander  de lui-même le baptême à l'âge adulte.

La cène : Nous possédons trois textes d'institution : Marc, Matthieu, Luc et Paul (1 Co 11, 23-26) très semblables.
Au 13ème siècle, l'Église a imposé une conception unique : la transsubstantiation (voir ci-dessous). Les Réformateurs ont eu des conceptions différentes.
Luther a eu recours à un compromis avec la transsubstantiation. Il a proposé une "consubstantiation". De même que Jésus est pleinement Dieu et pleinement homme, les espèces de la cène sont à la fois substance divine et substance humaine .

La notion de substance est un héritage de la philosophie gréco-romaine développé, en particulier, par les intellectuels de l'Université de Paris au 12ème siècle. La nature des choses s'explique par un substrat consistant et identitaire, une "sub-stance". Mieux encore : une "forme substantielle", autrement dit : une dynamique naturelle spécifique, fondement non expérimental, des êtres et les choses  Ainsi, par exemple, on expliquait le feu par une " vertu flogistique". La notion de substance est complétée par celle de "nature" qui englobe l'en­semble de chaque être.
Selon le dogme, le Fils est consubstantiel au Père, il possède deux natures : l'une divine, l'autre hu­maine.
Dans cette optique, l'eucharistie va se comprendre comme une "transsubstantiation", 'le rite accompli par le prêtre a pour effet de transformer en une substance divine christique la substance du pain et du vin dont il ne subsiste que l'apparence (la forme vide en quelque sorte). La consub­stan­tia­tion luthérienne fait appel à l'idée de deux substances (terrestre et divine) unies dans les espèces du pain et du vin (comme dans l'Incarnation).

Zwingli (1484-1531), comprend le "est" de la parole "Ceci est mon corps", au sens de "signifie (au sens fort de ce terme). Le pain et le vin sont des emblèmes, des enseignes. Il n'emploie pas le mot d'allégorie (allègoria) mais de substitut (allèosis). Nous dirions aujourd'hui qu'il est libéral.

Calvin (1509-1564) rapproche la cène de la Parole, c'est une Parole visible. Les paroles de la cène fonctionnent avec le témoignage intérieur du Saint Esprit. Il s'agit d'une Présence réelle spirituelle. Le terme de "spirituel" s'entend au sens fort de " charisma­tique". Nous pourrions parler actuellement  d'une présence du Ressuscité opérée pour chacun par le Saint Esprit. Aujourd'hui, en effet, Jésus est ressuscité, les conceptions littéralistes de la cène qui nous fixent sur un Jésus terrestre sont à côté de la plaque. Au surplus, Jésus parlait araméen, or, dans les langues sémitiques, on ne prononce pas les verbes auxiliaires, de ce fait, Jésus n'a pas prononcé le "est" des paroles de la cène. Toute interprétation ontologique est inappropriée.

Le baptême et la cène administrés avec leurs paroles d'institution ont le statut de Parole du Seigneur, avec le témoignage intérieur (secret) du Saint Esprit.

Luther et Zwingli ont débattu de la cène dans les années 1524-1528 sans pouvoir se mettre d'accord et se sont séparés sans prononcer d'anathèmes réciproques. Entre eux et Calvin il n'y a pas non plus eu d'anathèmes. La Réformation n'est pas l'œuvre de Luther seul, Philipp Mélanchthon, Ulrich Zwingli, Jean Calvin, Théodore de Bèze, Martin Bucer, John Knox, ont eu des opinions différentes sur diverses questions théologiques ou ecclésiastiques. C'est l'origine du pluralisme protestant, mais le pluralisme n'est pas la multiplicité, admettre la multiplicité, c'est le n'importe quoi.

Sur ce sujet apparaissent les personnes qu'ont été les réformateurs : Luther (1483-1546) est à l'origine un moine, un esprit religieux héritier de l'antisémitisme médiéval qui repousse le cléricalisme, la théologie mêlée de phi­loso­phie (aristotélicienne) et reconnaît une autorité suprême dans la seule Écriture bi­blique, pour lui nous n'avons pas de libre arbitre. Calvin (1509-1564) est un humaniste, un juriste et un laïc (autodidacte en théologie, à l'école d'Augustin, le maître de la grâce) qui reconnaît a posteriori l'action du Saint Esprit seule décisive dans son existence, ce qui le conduit à affirmer fortement la grâce dans la double prédestination au salut ou à la perdition contre les humanistes semi-pélagiens romains. Mélanchthon (1497-1560) est un universitaire qui, dans un premier temps, renie l'humanisme et, dans un second temps, cherche à rendre sa place à la culture à côté de l'Écriture. Zwingli (1484-1531) est une religieux et un humaniste (il place les grands esprits gréco-latins parmi les prédestinés), c'est aussi un patriote (il trouvera la mort dans un combat entre cantons  suisses catholiques et cantons protestants où il se trouvait comme aumônier des troupes protestantes). Bucer (1491-1561, Strasbourg-Cambridge) veut tenir compte de la culture sans l'embrasser en même temps qu'il tient compte de l'Écriture : que l'humanisme ait sa place, mais y reste.

Du moment que le baptême et la cène ont le statut de la Parole (qu'ils sont contresignés par  le témoignage intérieur, secret, c'est à dire sans affect, du Saint Esprit), ils font partie du moment mystique protestant.

Les actes ministériels

Je nommerai ainsi divers actes non sacramentels que les ministres protestants accomplissent.
Les Églises réformées n'ont pas d'ordination, mais un acte de reconnaissance des ministères (pasteur, prédicateur, conseillers presbytéraux, etc.). Les Églises luthériennes ont maintenu l'ordination des ministres qui ne doit cependant pas en faire des clercs.
Les mariages, confirmations, enterrements sont des actes d'Église marqués d'abord par la Parole adaptée à chaque cas (autant d'occasions pour entendre une Parole personnalisée et circonstanciée) et accompagnée par l'imposition des mains ou une bénédiction.


Le Sacerdoce universel

Le Sacerdoce universel : Si Jésus seul est prêtre (médiateur entre le Seigneur et nous) tous peuvent être considérés comme prêtres ou tous considérés comme laïcs. Ceci dit, non­obstant les tendances haute Église de l'Église d'Angleterre, des Églises de Cour en Europe du Nord, du mouvement clérical luthérien dont il sera question plus bas. Le sacerdoce universel implique que nous sommes tous chargés de la Parole, et responsables de celle-ci dans l'Église et dans la société.

Le sacerdoce universel prend la place du sacerdoce clérical ordonné, intermédiaire entre le fidèle et le monde du divin, lui-même porteur de divin. Il repose sur les charismes, les dons du Saint Esprit pour la pré­di­ca­tion et les divers autres aspects du ministère chrétien sous  la responsabilité et l'autorité des conseils (presbytéraux, régio­naux, nationaux) dont nous par­le­rons plus bas. Les épîtres du Nouveau Testament montrent qu'il existait un ou des épiscopes dans les premières communautés chrétiennes. Par la suite, la dignité hiérarchique de l'évêque va évoluer de plus en plus vers le pouvoir en fonction du développement monar­chique de l'Église.

Le titre de pasteur, comme celui de prêtre ou d'ingénieur,  n'est pas protégé . Nous n'avons aucun pouvoir (sinon celui de la Parole exhortative, parénétique) contre les pasteurs auto-proclamés qui se créent leur propre Église.

Les paroissiens qui prêchent, qui célèbrent des baptêmes ou la cène, sont reconnus (reconnaissance liturgique de ministère) et invités à suivre des formations.

Le sacerdoce universel (qui remet à tout chrétien le pouvoir ecclésiastique et religieux sous la responsabilité d'une hiérarchie d'assemblées élues) aura pour effet histo­rique (déjà, en Angleterre, dès Henri 8 -voir son conseiller Thomas Cromwell-) que le protestan­tisme va être ressenti comme facteur de promotion sociale (ascenseur social, à côté de l'Université, le négoce, la guerre). D'où la révolte des paysans en Alle­magne (1524-1526), le fort soutien social de la république de Genève au temps de Calvin, de la royauté anglaise et, en général, des pays où la Réformation a pu s'implanter (Jean-Jacques Rousseau, puis Immanuel Kant, sont impen­sables en pays catholique ; on peut sans doute même en dire autant de Baruch Spinoza), voir la démocratie américaine découverte par Alexis de Tocqueville (années 1830).

Le sacerdoce universel est renforcé dans le calvinisme qui met en avant l'élection. De l'élection dé­coule la sanctification puis la justification et la vocation qui aboutit à la profession (alors que, chez Luther, c'est la justification qui est première, entraînant la sanctification, la vocation et la profession). La compréhension de l'élection que Calvin développe aboutit chez lui à la double prédestina­tion (au salut ou à la perdition), mais Calvin lui-même donne cette recommandation dès les premiers paragraphes de son Institution chrétienne : Dans la vie courante, considérez chacun comme prédestiné au salut. Les Églises réformées (Angleterre, Pays-Bas) mettant en avant une conception radicale de l'élection, ont pu dégénérer en racisme au contact des civilisations premières (Indiens d'Amérique, Bantous et Zoulous d'Afrique du Sud).

Le régime presbytérien-synodal

Le régime presbytérien-synodal repose sur le rôle des "anciens" dans l'ancien Israël qui se trouve avoir été réactualisé dans les Églises pauliniennes, ainsi que sur la notion de l'Assemblée d'Israël (QaHaL) au Désert. La conférence tenue à Jérusalem entre Pierre, Jacques et Paul, rapportée en Actes 15, préfigure la conciliarité ou le recours aux  synodes.

L'Église locale est conduite par un conseil élu que suit une hiérarchie de conseils élus à l'échelon de la région, puis de la nation. Les fidèles des paroisses sont consultés, à la base, sur les questions de foi, d'éthique, de discipline en débat (je pourrais rappeler ici l'ouverture du ministère pastoral aux femmes). Leurs avis remontent ensuite au synode régional qui vote une première fois sur un projet qui est transmis au(x) rapporteur(s) du synode national (pratiquement, des professeurs de théologie, c'est à dire des experts) qui tire(nt) des conclu­sions votées dans les synodes régionaux une synthèse dont le texte est débattu puis voté au synode national. Après cela, les paroisses et paroissiens sont tenus de s'aligner. Étant entendu qu'il s'agit ici moins d'un "être" supposé de l'Église, que du bien-être de celle-ci.

Les synodes n'admettent pas de consignes de vote ni de mandats impératifs, chacun-e vote en son âme et conscience.

Dans nos synodes, il y a autant de pasteurs que de laïcs. Cette parité amène à ce que l'on peut ressentir comme une surreprésentation des pasteurs. Transposons : s'il s'agit de la maintenance et de la gestion d'un réseau de machines comme des ordinateurs, le fait qu'il y ait un technicien pour un usager n'est pas sur­pre­nant. Nous n'avons pas d'autres expressions que "pasteurs" et laïcs". Ce dernier terme est inap­proprié puisque, en vertu du sacerdoce universel, il n'y a plus de clergé. Mais nous n'en avons pas trouvé d'autre jusqu'ici.

Ces dispositions constituent une gouvernance de l'Église qui ne doit pas exclure la liberté ni éteindre l'Esprit. Elles se refusent à toute coercition, ce qui peut conduire à des pasteurs et des Églises auto-proclamés.

Le régime presbytérien-synodal va passer des calvinistes aux anglicans et aux luthé­riens (dont les évêques sont élus par les synodes nationaux). Les royautés constitutionnelles européennes s'accordent avec des Églises qui ont le régime presbytérien-synodal.

L'Église est une affaire terrestre, nous ne connaissons pas les notions d'Église militante sur terre puis triomphante  au ciel. Aux cieux, c'est le royaume des cieux dont l'attrait s'exerce sur nous tous.
D'autre part, il ne faudrait pas que le régime presbytérien-synodal fasse tomber l'Église sur le plan d'une confédération de syndicats. Le régime presbytérien-synodal est toujours animé par un "sens de l'Église". Par une référence à l'Église invisible, modèle achevé de l'Église libre de toute compromission, mais en phase avec les réussites de l'histoire, que nous possédons  en arrière-plan. Le sens de l'Église, sens d'une responsabilité vis-à-vis de l'Église, pousse à la concorde, au rassemblement, de la fédération, de l'union, il anime l'œcuménisme.

Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, et sous l'influence des Églises de cour anglaise, néerlandaise et nordiques, un courant traditionaliste (avec évêques, ordinations, ritualisme) s'est développé dans les Églises luthériennes et même dans les Églises réformées (Communauté de Taizé, diverses communautés féminines). Il n'a pas conduit pour autant à l'abandon du régime presbytérien-synodal ni du ministère pastoral masculin et féminin.

Pour moi, on peut comprendre la genèse de la démocratie occidentale à travers les Églises de la Réformation, en particulier calvinistes, qui ont créé une véritable civilisation autour du régime presbytérien-synodal. Je rappelle que Jean-Jacques Rousseau qui se disait "Citoyen de la République de Genève", a connu le régime démocratique qui s'était développé au temps de Calvin. Rappelons-nous que le Pères pèlerins de la May Flower abordant en Amérique (1620), n'avaient pas d'autre modèle civil que leur organisation presbytérienne-synodale. Notre laïcité refuse, contre toute évidence historique, cette généalogie.

Le régime presbytérien synodal est une démocratie parlementaire constitutionaliste  (les Écritures jouant le rôle d'une Constitution). Le pouvoir exécutif revient pratiquement aux professeurs des facultés de théologie. Si ce pouvoir devenait prédominant nous deviendrions une "démocratie exécutive" (Nicolas Roussellier, La Force de gouverner,  Paris, Gallimard, 2016, p. 616).N


L'éthique dans le monde

L'éthique dans le monde calviniste : on ne va pas à Dieu en fuyant le monde, hors du monde, on va au Seigneur dans le monde et avec le monde (famille, profession, action civique, responsabilités politiques). Henri Dunan rapporte que c'est la méditation de la parabole du Samaritain de Luc 10 qui a été l'élément déterminant dans la mise sur pied de ce qui est devenu la Croix Rouge internationale.  Dans une entrevue donnée à Laurent Dela­housse,  Michel  Rocard dit que son choix du socialisme est venu de la parole des Évangiles ‟Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu” (Marc 10, 25 et parallèles). Il nous a laissé la CSG qui a sauvé plusieurs fois notre Sécurité sociale et le RMI devenu RSA. Le monde, en dépit de son opposition à l'Évangile, reste la Création "bonne". de Genèse 1 (‟Et Dieu vit que cela était bon”).  La vocation chrétienne s'accomplit dans le monde, avec le monde. L'éthique dans le monde remplace non seulement la vie dans une retraite, loin du monde, mais aussi les conceptions d'histoire sainte continuée et d'incarnation ininter­rom­pue, elle vise un salut en solidarité avec la nature, la société et l'histoire (voir les Deux Règnes).

Thérèse de Lisieux (1873-1897), qui sera canonisée en 1925 et déclarée Docteur de l'Église sous le pontificat de Jean-Paul 2, en 1997, a retrouvé l'éthique dans le monde calviniste sans le savoir (voir son Histoire d'une âme, de 1897).

Calvin, les protestants et le capitalisme : Le monde médiéval christianisé refusait le prêt à intérêt alors que les Juifs le pratiquaient (ainsi que quelques gros banquiers, comme les Fugger, en Autriche). Calvin est passé outre à cet interdit. Pour lui, ‟Or et argent sont de bonnes créatures”, ils font partie des éléments de ce monde créé "bon" par Dieu, c'est de la volonté du Créateur que nous fassions fructifier l'or et l'argent comme nous faisons fructifier la nature. Mais Calvin pensait à une juste redistribution des richesses ainsi produites et n'avait pas compté avec la cupidité humaine qui nous fait toucher au dynamisme du péché.

L'existence d'une banque protestante, de banquiers protestants, a souvent été rattachée, de façon souvent superficielle, à Calvin. Si, en France, au temps des persécutions, de nombreux protestants se sont adonnés à la banque, c'est qu'elle était l'une des rares professions qui leur restaient ouvertes. On observe la même évolution dans le judaïsme européen.
           
La doctrine des Deux Règnes

Les deux Règnes (voir l'éthique dans le monde) : le royaume de Dieu, annoncé par la figure apocalyptique du Fils de l'Homme dans les Évangiles, est notre constante actualité, mais l'Église n'est pas le royaume de Dieu, celui-ci est toujours ‟déjà-là et pas encore”, comme disait Oscar Cullmann (1902-1999,  Le Salut dans l'histoire, 1966).

La doctrine des deux Règnes distingue la façon dont le Seigneur agit dans l'Église et la façon dont il agit dans le monde.

Dieu agit dans l'Église par la Parole (et par ricochet dans le monde : voir Henri Dunant, Michel Rocard), il agit dans le monde en inspirant aux dirigeants des lois justes (différence entre pneumatologique et charismatique) en vue du bien être des populations, de la concorde et de la paix, de la justice, de l'épanouissement de l'intelligence et des arts. C'est la conception que Paul développe dans Romains 13, 1-7, texte qui reflète la "paix romaine" qui régnait à l'époque. Les Réformateurs, pensant à des chefs de peuples s'inspirant de l'É­van­gile, ont adopté cette perspective, mais l'histoire nous a fait déchanter. Des dirigeants entièrement détachés, voir ennemis, de l'Évangile, abusant du pouvoir, ont imposé leur loi en foulant aux pieds les indications de l'Épître aux Romains, avec des discours démagogiques qui ont séduit les gens, au point que la fidélité à l'Évangile a imposé de désobéir aux lois (désobéissance civile). Un texte très débattu en France, suite à Mai 68, Église et pouvoir (Georges Casalis) aborde ces questions.

Le protestantisme réformé a créé une civilisation. Un économiste contemporain, Nicolas Bouzou,  écrit ce qui suit (les indications entre crochets sont de moi) :

‟ Depuis Max Weber  [sociologue allemand, 1864-1920 auteur de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 1901, Sociologie de la religion, 1920, Économie et Société, 1922 ]   il est communément admis que le fait religieux tiendrait une place toujours importante dans la différence de valeur entre l'Europe et les États-Unis. La transition religion-économie s'effectue pour Max Weber de deux façons. D'une part, la réussite économique en signe d'élection divine. Pour les protestants, l'homme est prédestiné : c'est Dieu qui décide du salut, sans tenir compte des actions des individus sur terre, bonnes ou mauvaises. Réussir dans son entreprise à force de travail, d'ascétisme [Calvin] et de con­cen­tra­tion est de bon augure. Au fond, ce que les individus peuvent faire de mieux sur terre, c'est exercer leur vocation (berufung) et leur métier (beruf) [Luther], conférés par Dieu. D'autre part, en critiquant les traditions non essentielles à la pratique religieuse comme les rites ou la conception d'objets d'art destinés à Dieu [christianisme traditionnel], le protestantisme libère du temps et amène à se concentrer [Luther, Calvin] en préférant les moyens rationnels aux rites [Luther et Calvin]. Ainsi, selon Weber, la Réforme est propice à l'organisation méthodique du travail et à la rigueur de la gestion. Avec le recul, les thèses de Weber sont in croyablement stimulantes et expliquent bien, en effet, la réussite des industriels protestants du XIX éme siècle. Néanmoins, les différences religieuses expliquent mal les différences de valeurs culturelles dominantes aux État-Unis et en Europe, à l'exception, peut-être ,de la valorisation de l'argent. En outre, la croissance économique n'est pas née dans les pays à majorité protestante, mais dans les cités-État très catholiques d'Italie du Nord. Max Weber souligne ce point et insiste sur la modestie de son analyse qui se limite à constater que les familles les plus industrieuses au XIX ème siècle en Allemagne sont d'obédience protestante ou juive. Ceux qui n'ont pas lu - ou mal lu - Max Weber veulent lui faire dire beaucoup plus que ce que lui-même a défendu. Par ailleurs, les valeurs culturelles américaines sont [aujourd'hui, pas au départ] partagées bien au-delà des protestants. L'Amérique est une mosaïque confessionnelle et, fort heureusement, pour l'équilibre de la société, les croyances fondamentales qui participent des liens sociaux sont intégrés par une majorité de musulmans, de juifs, de catholiques … Il ne s'agit pas de prétendre que le protestantisme n'a joué aucun rôle dans la dynamique économique américaine. […] Le protestantisme à lui seul n'explique pas la culture américaine. Mais, conjugué aux autres valeurs culturelles des Américains et projeté dans le contexte américain (celui de la construction par des pionniers d'un pays où rien n'existe), sans doute a-t-il accentué les valeurs de l'individualisme libéral et de l'entrepreneuriat pragmatique. ”  Nicolas Bouzou, Pourquoi la lucidité habite-t-elle à l'étranger ?, Paris, J-C. Lattès, 2015, p. 233-236.


Autres aspects de l'Église

L'Église une dans la pluralité, apostolique, universelle : Nous avons déjà évoqué la pluralité (à propos de la cène). En ce qui concerne l'apostolicité : le contact suivi avec l'unique autorité des Écritures bibliques, comprises par l'unique Évangile de Jésus qui dirigent notre vie, constituent  un contact apostolique plus certain que celui qui consiste en un rite perpétué par l'Église (qui se situe ainsi au-dessus des Écritures). Pour  l'uni­ver­salité, nous la vivons dans et par l'évangé­li­sa­tion adressée à tout être humain, par le rayonnement (non par la totalisation)  à travers de nombreuses grandes œuvres internationales issues du protestantisme et/ou animées par lui.

Le culte : que devient-il s'il n'y a plus de rites (les "œuvres" pour Luther) ? Le rendez-vous des chrétiens  au jour de la Résurrection (le dimanche) est un élément très fort de la foi commune.  Le déroulement général des cultes conserve l'ordre des  liturgies chrétiennes an­ciennes : louange, confession du péché, confession de foi, baptêmes, lectures bibliques, prédication, cène, intercession, bénédiction. La participation de l'assemblée se réalise dans la prière, l'annonce et l'écoute -de la Parole -, les sacrements, le chant. Dans les Églises de la Réformation, le chant  a eu et conserve une importance par la qualité de la musique confiée souvent à des musiciens de renom et par les paroles qui reflètent les sentiments et les convictions vécues du peuple chrétien protestant au cours de son histoire et dans son actualité. De ce fait, il n'est jamais clos.

Le culte trouve toute sa force lorsqu'il fait suite à la culture biblique et la prière per­son­nelles,  à la mise en pratique de la Parole dans la vie courante. Il ne se ressource pas dans des rituels d'adoration, de vénération ni de dévotions, mais dans la  Parole agissante, le chant, la prière.

La pauvreté de l'Eglise :C'était le première revendication des préréformateurs. Les nouvelles églises ont  renoncé au faste, aux statues, aux tableaux, aux cérémonies triomphalistes. Les pasteurs ne revêtent que la robe noire universitaire, sans distinction de grade ou d'ordre, ils se marient, se contentent d'une modeste rétribution, contrairement à la Contre-Réforme qui accentue la décoration, le ritualisme, le culte de Marie et des saints. 


Suite : Les Guerres de religion ; les Lumières ; la Modernité ; la Postmodernité et l'Hypermodernité actuelle.
Jacques Gruber

DÉCEMBRE 2016

GUERRES de RELIGION et PERSECUTIONS
FRANCE
François 1er (1515-1547) est d'abord favorable aux idées de la Réformation auxquelles sa Mère, Louise de Savoie (1476-1531) adhère. En 1530, Les Vaudois du Lubéron, ayant été accusés d'avoir incendié l'Abbaye de Sénanque, le pape demande à François ler de les châtier, vingt-quatre villages vont être rasés et leurs habi­tants massacrés. (vingt-quatre Oradour-sur-Glane). En 1532, lors de leur synode de Chanforan, les Vaudois adoptent le calvinisme. En 1533, Calvin (1509-1564) dédicace au roi la première édition de son Institution de la religion chrétienne, mais en 1634, des activistes protestants apposent des affiches contre la messe jusque dans les appartements du roi, c'est l'Affaire des Placards. À la suite de quoi, François 1er  change d'attitude à l'égard de ceux que l'on qualifie alors de "luthé­r­iens" ou de "vaudois", Calvin est obligé de quitter Paris (1545, massacre de Mérindol).
En 1559, année de la mort tragique de Henri 2, un premier synode national réformé se tient à Paris et adopte la Confession de foi de La Rochelle.
Afin de soustraire François 2 (1559-1560), résidant à Amboise, à l'ascendant des Guise, un groupe de gentilshommes protestants projette de l'enlever et de le ramener au Louvre, à Paris, c'est la Conjuration d'Amboise (1560). Trahis, les conjurés sont mis à mort et leurs cadavres pendus aux fenêtres du château d'Amboise afin de produire un effet dissuasif.
En 1562, sous Charles 9 (1560-1574), les soldats du duc Henri de Guise dit "le Bala­fré", massacrent jusqu'aux dernières une soixantaine de personnes réunies pour un culte dans une grange à Wassy (Haute-Marne).
L'Édit d'Amboise promulgué en1563 permet aux protestants l'exercice de leur culte. Ils ne deman­daient rien d'autre. La paix de Saint-Germain (1570) doit apaiser les conflits.
Cela n'empêchera pas la Saint-Barthélémy. À l'été 1572, la fine fleur des protestants se réunit à Paris pour le mariage d'Henri de Navarre (1553-1610) avec la sœur du roi Charles 9 (la Reine Margot) qui a lieu le 18 août. Dans la nuit de la Saint-Barthélémy, 23-24 août, à l'instigation de la reine-mère Catherine de Médicis (1519-1589) et d'Henri de Guise (1549-1588), un massacre de masse des protestants est perpétré. Henri de Navarre (duc de Bourbon) s'en tire par une abjuration, mais l'amiral de Coligny, chef des protestants, dont l'ascendant sur Charles 9 et la politique déplaisent à Cathe­rine de Médicis (il a pris parti pour les Pays-Bas révoltés contre l'Espagne), est mis à mort. On parle de 3000 victimes à Paris, mais de nombreuses autres encore en Province (une stèle dans la cathédrale d'Autun rappelle le souvenir du Chancelier qui avait refusé d'appliquer les ordres de la Saint-Barthélémy). En revanche, Maximilien de Béthune, futur Sully, passe entre les mailles Il sera le plus important ministre d'Henri 4 et l'un des plus grands hommes d'État que la France ait connus.
En France : 1562-1589, suite de huit guerres indécises. Les protestants ont un chef en la personne d'Henri de Navarre, duc de Bourbon, descendant d'un des fils de Louis 9, saint Louis, beau-frère de Charles 9 et du futur Henri 3.  Le duc Henri de Guise , chef de la Ligue catholique, maître de Paris après la journée des Barricades du 12 mai 1588, dirigée contre Henri 3 est assassiné sur ordre du roi au château de Blois la même année ainsi que son frère le Cardinal de Lorraine.
1589 : au cours du siège de Paris, le roi Henri 3 est mortellement atteint par un moine du nom de Jacques Clément. Sur son lit de mort, il désigne nommément, devant les grands du royaume, Henri de Navarre pour son successeur. La Navarre française (nos actuelles Pyrénées atlantiques) Pays-Basque et Béarn, capitale Pau,  est défi­ni­ti­vement réunie au Royaume de France. En 1594, Henri de Navarre se convertit une nouvelle fois en 1593 (il l'avait fait une première fois pour son mariage et échapper à la Saint-Barthélémy), afin d'obtenir d'entrer à Paris ("Paris vaut bien une messe").  Abjurations du bout des lèvres, comme aurait dit Sully, qui aurait ajouté : "Quand vous aurez abjuré du fond du cœur, il sera transpercé". Pour la direction de conscience, il est décidé que le roi de France aura désormais toujours un jésuite, en l'occur­rence,  le Père Coton.
En 1598, Henri 4 signe à Nantes un Édit (irrévocable). Les protestants possèdent 100 Places des sûreté pour 8 ans, (temples, culte, Académies, Maisons de santé, synodes) ; le culte est autorisé partout  où il a déjà lieu et dans deux villes ou villages par baillage ; des chambres de justice mi-partites garantissent une justice équitable. L'Édit sera petit à petit vidé de sa substance.
Sous Louis 13,  Richelieu (1585-1642) constate que, suite à l'application de l'Édit de Nantes, les protestants sont devenus "Un État dans l'État", pire : une République dans une monarchie absolue. Par crainte d'un débarquement anglais ou indisposé par le rayonnement de la ville, il met le siège sous La Rochelle (1627-1628) dont le maire Jean Guiton anime la résistance. La Grâce d'Alais, signée en 1629 avec le chef des calvinistes  qui est alors le duc Henri de Rohan (1579-1638), laisse la liberté de culte aux protestants (on revient à l'Édit d'Amboise de 1563), retire leurs places fortes et Louis 13 édifie l'église Notre-Dame des Victoires à Paris en décembre 1629 (il attribue la victoire sur les protestants de La Rochelle à la Vierge Marie).
Dans les temps suivants, une politique de conversions des protestants s'installe. François de Sales (1567-1622), futur saint, s'y illustre. Il ramène le Chablais au catholicisme par des méthodes qu'il veut douces, mais qui le sont très peu (1597-1598). Un jour il se félicite de deux-mille trois cents conversions réalisées en onze jours. Cette politique de con­ver­sions va aller crescendo jusqu'aux dragonnades et à la révoca­tion de l'Édit de Nantes (1685).
Richelieu prend le parti des puissances protestantes lors de la Guerre de Trente ans.
Louis 14 : à partir de 1681, afin d'accélérer les conversions et en prélude de la Révo­ca­tion de l'Édit de Nantes, le ministre Louvois lance les Dragonnades : des soldats d'une unité de Dragons s'installent dans les maisons des protestants et  y jouissent de tous les droits sur les personnes et les biens jusqu'à ce que les membres de la famille abjurent. La Révocation est paraphée en 1685. Louis 14 a-t-il été poussé par son confesseur, le Père Lachaise, appuyé par son épouse, la Marquise de Maintenon, cela reste une supposition. Il est interdit de posséder une Bible, les protestants sont privés d'état civil (ils ne peuvent se marier, enterrer leurs morts dans les cimetières, hériter, occuper aucun emploi officiel), les aristocrates sont décapités, les pasteurs soumis au supplice de la Roue, les hommes envoyés ramer sur les galères du roi où se constituera une véritable "Église des Galères", les femmes sont emprisonnées à vie dans des forteresses (la Tour de Constance d'Aigues-Mortes), les enfants retirés de leurs familles dès l'âge de sept ans, pour être élevés dans des pensionnats tenus par des religieux, tous les temples sont détruits. (à l'exception de Vialas et du Collet-de-Dèze, en Cévennes). Une "Église du Désert" (au sens des quarante ans d'Israël au Désert) se constitue, privées de pasteurs, les communautés sont dirigées par des "prophètes" (le prophétisme cévenol est-il lointainement à l'origine du Pentecôtisme ?)
En 1702, un soulèvement se produit, la "Guerre des Camisards" 1702-1704. Louis 14 fait appel au Maréchal de Villars (1653-1734) pour la réduire. Jean Cavalier (1680-1740), chef des Camisards, se rend en 1704 en échange de promesses (non tenues).
Le Pays de Montbéliard, fait exception en France. C'est alors une possession du pro­tes­tant luthérien Frédéric 1er duc de Wur­temberg, comte de Montbéliard. Il n'y aura pas de persécutions (ni de protestants ni de catholiques). C'est ce qui explique que les protestants du Pays de Montbéliard soient luthériens et pas réformés. Un temple, construit entre 1601 et 1607, en tout début du 17ème siècle n'aura, de ce fait, pas subi de destruction, il est toujours encore, utilisé par la paroisse protestante de Montbéliard.
Le Refuge : on estime au moins à trois cent mille les personnes qui vont trouver refuge en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, aux Pays-Bas, aux États-Unis.