samedi 28 mai 2011

année 2011, archives "alleztheo"




Nouveau texte : Loyaux-avec-la-foi.blogspot.com





pour encourager la théologie
Je me propose de publier ici, dix fois par an, un texte théologique ou spirituel, des compte-rendus critiques de lectures. Je suis de culture protestante, mais ma question con­cerne la façon dont le christianisme peut s’anticiper aujourd'hui. Pareille, perspective ne peut s’ac­com­moder d’une attitude purement confessionnelle ou dogmatique.
Je tire une inspiration indépassable de la source biblique et je m’adosse à la tradition chrétienne dont je suis solidaire. En même temps, je vis en tension l’incomplétude actuelle de la réalité et de la vérité (ce qui est différent du doute), avec les autres religions et cultures, la mo­dernité et la postmodernité.
Jacques Gruber

Janvier 2011
les lectures bibliques du mois de novembre dernier étaient toutes tirées de l’Apocalypse, il vaut la peine de revenir sur ce livre


Message de l’Apocalypse aux chrétiens de tous les temps, en particulier dans les époques de terrorisme ou de persécution :


Quand la Loi de Dieu n’est pas reconnue, quand le message des prophètes n’est plus entendu, quand on se moque de la parole des sages, on verse dans l’apocalyptique

Le livre de l’Apocalypse est un roman à clés, une bande dessinée qui nous paraît fantastique, mais dont chaque élément était significatif pour les lecteurs judéochrétiens de l’époque auxquels le livre s’adressait, alors que, pour les romains qui sont visés comme les persécuteurs, le message restait lettre morte.
Ce message, le voici : « Réjouissez-vous de sa ruine (de l’empire romain symbolisé par Babylone), Ciel ! Et vous aussi, les saints, les apôtres et les prophètes, car Dieu, en la jugeant, vous a fait justice » (18, 20) ; « Dieu a jugé la grande prostituée qui corrompait la terre de sa prostitution (Rome) et il a vengé sur elle le sang de ses serviteurs » (19, 2).
En clair : « Le pouvoir en place vous persécute, vous met à mort (ou fait de vous, ou d’autres que vous, des citoyens de seconde ou troisième zone) ne vous vengez pas vous-mêmes, au Seigneur seul appartient la rétri­bu­tion et il fera justice aux martyrs de la foi. Les puissances politiques qui se mettent à la place de Dieu seront détruites ».
Aujourd'hui, nous comprenons que notre foi n’a pas qu’une dimension interpersonnelle (le partage, par exemple), mais également une dimension politique et économique (sur le plan de la redistribution des richesses par exemple).
Nous comprenons aussi ce qui nous reste à faire sur place : voir clairement en quoi la puissance politique ou quelque instance humaine que ce soit (les chefs de famille tyranniques, le harcèlement par les hiérarchies du travail, les terroristes, l’Église même !) se met à la place de Dieu (c’est la tentation permanente de ceux qui exercent un pouvoir que de régenter les corps et les esprits), témoigner de notre foi en paroles et en actes, résister, mais ne pas nous venger, ne pas rajouter de la violence et risquer d’ajouter de l’injustice, la violence ne guérit pas de la violence et de l’injustice.
Dans la situation de l’empire romain, le théologique n’était pas distinct du politique (l’empereur était l’objet d’un culte, il était déifié après sa mort : apothéose).
L’apocalyptique, née au sein du judaïsme persécuté par l’empire Grec (livre de Daniel), puis reprise par les chrétiens en proie à la persécution de Rome, baigne dans une mentalité non laïque où théologie et politique ne sont pas séparés (tout se passe sur terre comme au Ciel, tout ce qui se passe sur terre est commandé par le Ciel).. L’Apocalypse préfigure la victoire du Seigneur sur le l’empire.
On a souvent compris cela comme la victoire de la religion sur le pouvoir politique, cependant il est aussi possible d’y voir une préfiguration de la neutralité de l’État face aux religions, d’une situation où le politique n’est lié à aucune religion, où la religion n’est inféodée à aucun pouvoir politique, ce qui lui donne une entière liberté de parole vis à vis de l’État.
Déroulement du livre
L’Apocalypse déroule des séquences alternées de scènes qui se passent sur terre ou au Ciel, une suite de décors célestes et terrestres, une histoire d’actions dans le Ciel qui ont leurs effets sur terre :
chapitres 1 à 3, sur terre : exhortations aux Églises qui réagissent, chacune à sa manière, dans la tourmente (la persécu­tion de l’empereur Domitien, frère de Titus, second fils de Vespasien, qui règne de 81 à 96).
chapitres 4 et 5, au Ciel : le Christ ressuscité (évoqué sous la figure de « L’A­gneau comme immolé ») arrive au Ciel (l’Ascension vue, non plus depuis la terre, mais du point de vue du point de vue du Ciel) où il est l’égal du Seigneur (Celui qui siège sur le trône). Il est seul digne de dérouler le livre de la prophétie (mais non des prédictions). Dérouler le Livre signifie que le Res­sus­cité seul commande le déroulement de l’histoire des martyrs des persécutions. Il n’em­pêche pas la persécution, mais il a le dernier mot sur les persécuteurs et les persé­cu­tés.
chapitres 6 à 11 : ces chapitres donnent le sens de ce qui se passe sur terre pour les persécutés. Les six premiers chapitres du Livre (les six premiers sceaux) veulent donner son sens à la persécution subie par les chrétiens en partie du fait indirect des Juifs qui, à l’époque, tenaient à se séparer clairement des chrétiens au regard de la puissance romaine persécutrice. Le septième sceau (7ème cha­pitre du Livre) est plus développé que les six premiers, il comporte sept paragraphes (les sept trompettes).
chapitre 12, au Ciel puis sur la terre : la persécution du Messie et de ses témoins (ils sont indissociables).
chapitre 13 , sur terre : Le sens de l’empire romain (Babylone) : une puissance politique qui prend la place du Seigneur (une réalité toujours d’actualité).
chapitre 14, au ciel : les préparatifs du jugement et de la fin de l’Impie qui persécute les témoins du Seigneur.
chapitres 15 à 18 : sur terre, la description anticipée de la chute de l’empire persécuteur (celui de l’empereur Domitien).
chapitre 19, au Ciel : Le triomphe de l’Agneau qui a été immolé, qui est une victime sacrificielle qui obtient le salut du monde.
chapitre 20 sur terre : La vision finale du sort des martyrs dont la récompense sera de revenir à la vie sur terre pour y régner pendant mille ans en toute sécurité (le Diable enchaîné).
chapitres 21-22, le retour sur terre ou le Ciel qui descend sur terre : la résurrection, à temps, des martyrs chrétiens de Rome prélude à la rédemption universelle : la seconde résurrection, de nouveaux cieux et une nouvelle terre. Le Ciel descend sur terre en l’espèce de la nouvelle Jérusalem où il n’ya aura plus besoin de Temple parce que le Seigneur y sera présent en personne, sans pour cela que les créatures rachetées se confondent avec Lui. Contrairement à des théologies traditionnelles qui présentent l’hu­manité des nouveaux cieux et de la nouvelle terre dont parle l’Apocalypse, comme sacralisée, divinisée, c’est la vision d’une « laïcité rachetée » dans le royaume de Dieu.
Le mois prochain, nous nous intéresserons de plus près à la mise en scène de ces décors, à la signification des personnages, des nombres et des événements présentés de façon figurée ainsi, toujours encore, qu’à leur portée hier et aujourd'hui.

Jacques Gruber




Février 2011
les lectures bibliques du mois de novembre dernier étaient toutes tirées de l’Apocalypse, il vaut la peine de revenir sur ce livre
LE LANGAGE CODÉ DE L’APOCALYPSE
expliqué à l’aide des notes de la TOB 1988
dans la pensée de tous ceux qui sont persécutés pour leur foi de par le monde aujourd'hui même
Il s’agit d’un langage codé qui prend naissance avec les visions de Zacharie (au 6ème siècle avant Jésus Christ), le Livre de Daniel le développera (au 2ème siècle avant Jésus Christ) avant d’être repris et de s’enrichir dans les dernières années du premier siècle de l’ère chrétienne avec l’Apocalypse johannique.
langage provenant du livre de Zacharie :
Les Anges : ils sont serviteurs du Seigneur, exécuteurs de sa volonté, intermédiaires entre le Seigneur et les hommes (Da 3,38 ; 6,23). Zacharie reprend le personnage de l’Ange du Seigneur qui, dans les textes les plus anciens de la Bible hébraïque, est une façon de parler de la manifestation de Dieu sur terre (vocation d’Abram, histoire de Gédéon, Jacob au gué de Jabbok, par exemple) auquel il oppose le Satan, l’adversaire de Dieu sur terre (Job 1 et 2). Dans l’Apocalypse, comme dans Zacharie, les anges ont, en parti­cu­lier, la fonction d’ « hermé­neutes » : ce sont eux qui interprètent les paroles et donnent le sens des visions. L’Apocalypse met en scène des « anges des Églises », on comprend qu’il s’agit de leurs répondants auprès du Seigneur. C’est dans le livre de Daniel qu’il est fait mention, pour la première fois d’Archanges, en particulier Michel (10, 13, dont le nom signifie « Qui est comme Dieu ? » pour combattre victorieusement les puissances poli­tiques), D’après le Livre d’Hénoch, contemporain du Livre de Daniel, il y a quatre anges de premier ordre : Gabriel (Homme du Seigneur), Daniel (le Seigneur juge), Ouriel (Lumière du Seigneur), Raphaël (le Seigneur guérit), Michel (Qui est le Seigneur ? » « Qui peut s’opposer à lui ? »).
Les quatre cavaliers : Les visions de Zacharie décrivent l’irruption de cavaliers (1,8 ; 6, 1-8). Le chiffre quatre est celui de la terre, les cavaliers parcourent la terre pour rendre compte au Seigneur de la situation mondiale. Dans l’Apocalypse (chapitre 6), ils personnalisent des fléaux qui frappent non seulement les chrétiens, mais l’empire ro­main d’alors dans son ensemble : les inva­sions des Parthes ; la guerre ; la famine ; les é­pi­démies. Pour cer­tains le premier (le cheval blanc) serait le Christ ou le fléau des faux-christs.
Les cornes symbolisent la puissance sous tous ses aspects (physique, sexuel, politique, économique). Zacharie et Daniel désignent ainsi les puissances étrangères qui ont tenté de détruite, ou même détruit, Israël. Dans l’Apocalypse elles ont le même sens, mais sont appliquées à la fois aux quatre cornes (les quatre angles) de l’autel du Temple de Jérusalem (9, 15) et au persécuteur des chrétiens (Domitien). Elles sont même attri­buées à l’agneau, évoqué sous les traits d’un jeune bélier (grec : arnion) dans Ap 13, 11. Les cornes, comme les diadèmes, qualifient les puissances humaines et leur totale imperfec­tion (au nombre de 10). Comment comprendre les sept têtes (chiffre parfait) et les dix cornes (chiffre d’imperfection) des bêtes de l’Apocalypse (Ap 12,3, chapitres 13 et 17) ?
La mesure : un cordeau chez Zacharie, un roseau pour l’Apocalypse, donner les mesures de la vision est le procédé qui sert à décrire la nouvelle Jéru­sa­lem. Le thème de Jérusalem ville ouverte où le Seigneur lui-même sera présent (Zac 2, 5-9) est repris dans l’Apocalypse (21, à partir du verset 9).
Les vêtements propres donnés à Josué dans Zac 3, 1-7, les vêtements blancs dont le Vieillard de Daniel est revêtu, ceux des martyrs (qui ont été « lavés dans le sang de l’Agneau », Ap 3, 4, 5, 18 ; 6, 11 ; 7, 9, 13 ; 19, 14), dans l’Apocalypse, symbolisent non la vertu ou la sainteté intrinsèque des personnes, mais leur rachat par le Seigneur (Ap 14, 1-5).
Le Chandelier à sept branches (la Menorah) représente chez Zacharie (chapitre 4) les sept yeux du Seigneur qui observent la terre. Pour l’Apocalypse, c’est la présence des sept esprits du Seigneur, autrement dit de la plénitude de son Esprit (le Saint Esprit, en somme).
Le Livre, dans Zac 5, c’est une image de la parole de Dieu qui exécute ce qu’elle dit. Dans Ap 4, c’est une révélation parfaitement fermée jusqu’à l’entrée au Ciel du Messie, seul digne de la dérouler, d’en donner connaissance, de l’expliquer et de la réaliser.. La Révélation (apocalupsis, en grec) qu’apporte ce Roukeau ne prédit pas l’avenir, mais donne le « sens » des événements passés, présents et à venir. Au chapitre 10, il est question d’un Livre que le témoin doit manger (se pénétrer de la révélation), il est doux quand on l’avale et indigeste dans l’estomac, car la nouvelle qu’il annonce est celle de tribulations. Ailleurs encore, il est question des Livres que l’on ouvre au Jour du Juge­ment, il s’agit de « livres de Vie » (Ap 13, 8), des mémorandums des œuvres de chacun.
langage provenant du livre de Daniel :
Le(s) Vieillard(s) : dans les visions de Daniel, le Seigneur est évoqué sous les traits d’un Vieillard (« l’Ancien des jours ») siégeant sur un trône, alors que dans l’Apoca­lypse il est une « absence présente » un « quelqu'un », « indiqué » par son trône, par le premier cercle formé par les « quatre animaux » qui ont un rôle d’adorateurs au chapitre 4, d’appariteurs au chapitre 6, puis par le second cercle formé par les vingt-quatre vieillards qui peuvent représenter les douze tribus d’Israël et les douze apôtres du Christ. Voir Dn 7, 9, 13, 22 ; [2 Jn 1 ; 3 Jn 1], les Anciens, gens d’expérience et de sagesse: Ap 4, 4, 10 ; 5, 5, 6, 11, 14 ; 7,11, 13 ; 11,16 ; 13,3 ; 19,4. Rien n’indique ici clairement que ces vingt-quatre vieillards sont des juges appelés à participer au Juge­ment dernier.
Daniel parle d’un Fils de l’Homme qui est intronisé par Dieu (le Vieillard). Que signifie cette expression ? S’il s’agit du représentant céleste de l’humanité, son intro­ni­sa­tion pourrait se comprendre comme la consécration d’une humanité nouvelle, une humanité rachetée. Dans l’Apocalypse, le Christ (le Fils de l’Homme venu en son temps) élevé au ciel après sa résurrection surgit au côté de Celui qui siège sur le trône (ou devant Lui) sous l’aspect d’un « agneau comme immolé », il est seul jugé digne d’ouvrir le Livre scellé de sept sceaux. Nous y reconnaissons l’image du Christ crucifié, ressuscité, glorifié.
Nous retrouvons dans l’Apocalypse la formule mystérieuse employée par Daniel : « Une période (ou un temps ) deux périodes (ou deux temps) et une demi période (ou la moitié d’un temps) », Da 7,25 ; 9, 27 : il s’agit d’un comput symbolique. Le total fait 3 ½ , c'est à dire le nombre parfait 7 divisé par deux, il annonce l’échec des puissances impérialistes (les exactions d’Antiochus Épiphane à Jérusalem, dont Daniel parle sous le nom du roi babylonien Na­bu­chodo­no­sor, ont effectivement duré à peu près trois ans et demi). Apoca­lypse 11,2, 12,14, 17,10 ; 20,3 ; 22,10 , parle de 42 mois ou 1260 jours pour signifier que les jours de Domitien, le persécuteur des chrétiens, sont comptés (Ap 11,3, 12, 6, 14 ; 13, 5 ; autres traces dans Luc 4, 25 ; Jac 5,17). Les fondamentalistes bibliques se sont basés, à plusieurs reprises, sur cette formule pour calculer la date (qui s’est toujours avérée fausse) de la fin du monde.
langage propre à l’Apocalypse johannique :
Les titres décernés à Jésus : titres partagés avec le Seigneur : « Le Premier et le Dernier, l’Alpha et l’Ôméga, le Tout-puissant », « Celui qui est, qui était et qui vient » ; titres propres : « le témoin fidèle et véritable », le « premier né d’entre les morts », le « prince des rois de la terre » ; « Celui qui était mort et qui est revenu à la vie » (2,8), l’ « Agneau comme immolé » (chapitre 4), ; l’ « Amen » (3,14) ; le « Lion de la tribu de Juda, rejeton de David », l’ « Étoile du matin ».
L’Agneau comme immolé est la figure du Christ dont la mort est identifiée à un sacrifice, mais qui est élevé et glorifié auprès du Seigneur. Son arrivée (chapitre 4) donne son centre à la célébration céleste, culte auquel les chrétiens ne prennent pas part, mais qui est destiné à leur donner le sens des tribulations qu’ils traversent, à leur donner une espérance et à transformer leur sort dès ici-bas.
Il y a une différence entre les couronnes et les diadèmes : la couronne symbolise l’accomplissement plénier (le couronnement) de la vie par le Seigneur, les diadèmes dont se parent les empereurs terrestres (les Bêtes) ne sont que vanité.
Les sept trompettes : elles annoncent l’entrée en scène d’un nouveau personnage, d’un nouvel événement, d’une nouvelle interprétation dans un contexte où tout est cependant éternel. Elles rythment les moments de la célébration du culte céleste qui est moins une liturgie qu’un discours en actions symbo­liques (comme en faisaient les prophètes, Jé 13, 18, 32), le déroulement d’un message : celui du vécu des chrétiens dans la persécution. Par là-même, elles indiquent les sections des chapitres du livre de l’Apocalypse. Un rôle comparable aux sept trompettes est dévolu aux sept sceaux, aux sept anges, aux sept coupes. Dans 1 Co 14, 8 ; 15, 52, les trompettes annoncent le Jugement dernier.
Le glaive à deux tranchants qui sort de la bouche du Messie indique le rôle de la parole de Dieu qui n’est pas prononcée sans produire des effets définitifs (Ap 1, 16 ; 2, 12, 16 ; 13, 10, 14 ; 19, 21, voir Ép 6, 17 ; Hé 4, 12).
La Bête, Babylone, la grande Prostituée : il y a plusieurs sphères, celle de l’Agneau comme immolé qui domine tout ; celle des quatre animaux qui entourent le Seigneur au plus près, le cercle plus large des vingt-quatre Anciens auxquelles s’oppose le monde où règnent des Bêtes qui persécutent les témoins du Christ sur terre (11,7, et chapitres 13 à 17). La puissance étrangère oppressive par excellence, l’empire romain persécuteur des chré­tiens, est dé­signé sous le nom de Ba­by­lone (la terre de l’Exil devenue symbole des tribulations), comme la Bête ou la grande Prostituée (allusion au paganisme romain, à la déification et l’apothéose des empereurs). La seconde Bête, qui entre en scène au chapitre 13 exécute les ordres de la Première, on peut y voir l’administration impériale qui exécute les ordres de l’empereur Domitien.
Le Dragon, la femme et l’enfant, Apocalypse 12 : le Dragon est mis en rapport avec le serpent de Genèse 3 (le serpent, le Satan, le Tentateur), l’enfant est le Messie qui trouve sa juste place auprès du Seigneur et la femme serait Sion, le peuple Juif qui donne naissance au Messie. La théologie mariale se fonde sur ce chapitre pour exalter la personne de Marie.
Le chiffre de 666 (Ap 13,18) : les fondamentalistes biblicistes ont donné libre cours à leur imagination pour percer le mystère de ce chiffre. En tout état de cause, il s’agit du « nom de la Bête », ce nombre répète trois fois le chiffre de l’homme (6) par opposition au chiffre du Seigneur qui est le 7, c’est « un nombre d’homme ». Sans entrer dans d’anciennes ou de nou­velles spécula­tions (on a calculé que c’était Néron, par exemple), on peut au moins comprendre qu’il s’agit de l’essence même de ce qui est pure­ment humain, alors que les empereurs romains se faisaient déifier. Toute personne, tout système, prétendant à l’absoluité peut tomber sous ce jugement. A titre de curiosité, voir 1 Rois 10, 14.
Le millénaire : Ce chapitre (20) qui parle d’un règne de mille ans pour les quarante-quatre mille rachetés et d’une seconde résurrection a donné lieu non seulement à des spéculations, mais à des tentatives de réalisations terrestres. En ce qui me concerne, je pense que les quarante-quatre mille (12x12) rachetés sont les martyrs des persécutions qui n’ont pas pu accomplir leur vie humaine et à qui est donné ce temps pour parache­ver ce qui manque à leur humaine destinée. L’idée spécifique de la résurrection apparaît en Israël avec les martyrs de la persécution d’Antiochus Épiphane (2ème siècle avant Jésus Christ), voir 2 Maccabées 7, 9 ; 11, 14 ; 23, 29. Il y a ainsi une première résurrection qui ne concerne que les martyrs de tous le temps, suivie d’une seconde résurrection qui reprend le thème néotestamentaire de la résurrection universelle à la fin des temps pour le Jugement. Le mot de « rachetés » que nous employons correspond au mot araméen « nazôréen » qui a été appliqué (par erreur, au lieu de « nazaréen ») à Jésus dans le Nouveau Testament (Mt 2, 23, 26, 71 ; Jn 18, 5 et 7 ; 19, 19 ; Ac 2, 22 ; 3, 6 ; 4, 10 ; 6, 14 ; 22, 8 ; 24, 5 ; 26, 9), Jésus n’a justement pas besoin de rachat..
La Jérusalem nouvelle, la nouvelle Création (Ap 21-22) : dans Zacharie il est aussi question d’un rétablissement et d’une réhabilitation de Jérusalem, mais au sens de la Jérusalem terrestre qui sera vraiment une Ville de Sainteté. Dans l’Apocalypse, la Jérusalem nouvelle qui descend du Ciel est la Ville Sainte et s’identifie avec la Nouvelle Création, c'est à dire qu’elle concerne les règnes minéraux, végétaux et animaux et l’univers entier. Comme disait Jacques Ellul, la Bible commence dans un Jardin et se termine dans la Ville. La Ville-Création est ouverte, elle n’a pas de Temple, car le Seigneur lui-même est au milieu d’elle, de son trône sort le fleuve de la Vie qui arrose tous les êtres. Les pierres précieuses qui servent de matériaux à la Ville font moins allusion à la richesse qu’à la sainteté. de la Jéru­sa­lem et de la Création nouvelles.
Jacques Gruber



Mars 2011
LE MESSSAGE DE L’APOCALYPSE POUR AUJOURD'HUI
La plupart du temps, nous lisons notre Bible dans une optique individualiste : « Quelle Parole recevrai-je aujourd'hui pour ma vie, dans l’immédiat ? ». Faisant ainsi, nous en réduisons beaucoup la portée. La Bible est un message prophétique pour les individus, pour les peuples et pour les nations. Elle ne nous donne pas que le sens des événements que nous vivons personnellement, elle nous apporte la signification des événements internationaux, mondiaux, universels.
Aux chrétiens de la fin du premier siècle, qui, pour l’essentiel, sont Juifs, interpellés par la destruction du Temple, la ruine de Jérusalem, la dispersion du peuple Juif, la persécution de l’empereur Domitien, l’Apocalypse donne les visions suivantes : 1) depuis que Jésus, agneau comme immolé, est ressuscité et élevé dans la Gloire, c’est au ciel que sont le sanctuaire et le culte autour de l’arche archétypique ; 2) c’est du Ciel et non de quelque reconstruction humaine, que la Jérusalem nouvelle et éternelle descen­dra sur terre ; 3) désormais, le peuple de Dieu s’est étendu à la terre entière du moment qu’il regroupe tous ceux qui saluent en Jésus le Messie, autour du noyau que constituent les douze tribus d’Israël ; 4) le Seigneur connaît nommément tous les martyr de la foi, il entend leur appel à les venger et il y répond de deux façons : a) en leur annonçant qu’ils retrouverons la vie (première résurrection) pour un règne de mille ans sur une terre gardée du pouvoir de l’Adversaire (Satan), d’ici que survienne la résurrection univer­selle (la seconde résurrection) et b) en les invitant à regarder tout être, toute chose, comme promis à une transfiguration.
L’Église, installée à la droite du pouvoir impérial, à partir de Constantin (au ivème siècle), se considérant comme le vrai peuple de Dieu et la vraie philosophie (Justin martyr, vers 160-165), punissant de mort tous ceux qui n’acceptaient pas son orthodoxie ; le christianisme de la peur de la fin du Moyen âge ; le clergé exerçant un contrôle social étroit sur les populations ; la tradition totalisante de la foi définie et promue en plus haut lieu, inspirant des formes autoritaires de Mission ; cette Église recevait-elle le sens de son être et de son action de l’écoute du message prophétique des Écri­tures ?
Après avoir écrit l’Histoire avec notre sang, nous l’avons écrite avec le sang des autres, ensuite, nous avons été exclus de l’Histoire et, préférant notre confort, nous nous en sommes retirés.
Le message biblique universel que nous avons à entendre est d’abord à notre usage interne. Le moment n’est-il pas venu de recevoir un vêtement nouveau, selon le langage apocalyptique ? De déposer le considérable bagage de doctrines, de croyances, de rites, accumulés sur notre dos au cours des siècles ? Nous en décharger, les placer à côté de nous, linge usagé qui a besoin de lessive, sans, pour autant, les jeter par-dessus bord, car, s’ils forment écran pour le autres, ils peuvent encore nous être utiles à quelque chose.
Ce message est, en même temps, à usage externe, car, le recevoir, c’est le vivre en actes et en paroles. Mais cela comporte des risques : être catalogué comme quelqu’un qui se croit supérieur aux autres, repoussé, objet de moqueries, se sentir tenu à l’écart, incom­pris parfois même de nos plus proches. Il implique le courage d’être un pécheur pardonné ; quelque un qui se reconnaît raciste, homophobe, antisémite, islamophobe, sexiste, nationaliste, contre-révolutionnaire … tout en se sachant néanmoins rendu capable d’aller vers les autres, tous les autres, quels qu’ils soient, parce qu’ils sont, avec nous, appelés à une transfiguration qui ne fait pas acception de personne.
Aujourd'hui, le Livre de l’Apocalypse, avec son langage planétaire global nous permet, non de prédire la date de la fin du monde, mais de conférer son sens au non-sens de la destabilisation cataclysmique de notre planète que nous avons nous-mêmes mise en mouvement.
Dans l’Apocalypse, tout se passe sur terre comme au ciel, c’est ce que nous demandons dans le Notre Père : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Je dirai les choses comme ceci : il n’y a de réalité mature, digne de ce nom, que celle qui est le contrepoint de ce qui se vit dans l’esprit et mieux encore dans l’Esprit.
Ce message est prophétique. Si nous nous y arrêtons un moment pour l’écouter, nous comprendrons qu’il apporte un sens à l’homme moderne.
À ceux pour qui tout est dans tout, tout se vaut, personne, aucune institution, n’est supérieur aux autres, l’avis de chacun, la voix de chacun, à le même poids dans le débat et dans les urnes, les enfants sont des petits adultes, les adultes de grands enfants, le contenu d’une poubelle renversée est une œuvre d’art au même titre qu’une sculpture, l’avenir ne vaut pas mieux que le passé ; le présent, l’immédiat, le léger, le divertissant, le mouvementé, servis par les technologies « magiques », comptent avant tout.
Cette attitude égalitariste, faussement démo­cra­tique, faussement humaniste, a pour conséquence inattendue de creuser encore plus le fossé entre riches et pauvres, ins­truits et non-intruits, citoyens libres et nouveaux esclaves. Elle nous laisse totalement au dé­pour­vu devant les consé­quences éthiques des applications des décou­vertes scienti­fiques qui participent de ce nivellement général en ce que, en elles-mêmes, elles ne sont ni morales ni immorales, mais utilitaires.
La vision inspirée par l’Apocalypse à partager aujourd'hui, est celle-ci : la durée de cette Ba­by­lone mondialisée qui sonne creux, tout comme les jours du Dragon à plusieurs têtes de missiles armées pour la destruction massive, est limitée (« un temps, des temps et la moitié d’un temps ») ; depuis que Jésus a foulé notre terre, tout ce qui s’y passe de véritable se passe comme dans « l’esprit de la prophétie » (Ap 19, 10) et par lui, puisque l’Esprit a pris le relai des anges et, qu’il soit reconnu ou incognito (car il ne fait pas sonner les trompettes devant lui), il donne vie à nos es­prits et, par là, au monde.
Jacques Gruber

Avril 2011
Survol de l'Apocalypse
- « apocalypse » = révélation, le Livre de l’Apocalypse est un livre prophétique, qui veut apporter, à Israël, aux chrétiens, au monde, le sens des événements qu’ils vivent -
Le Livre de l’Apocalypse johannique du Nouveau Testament est déroutant au premier abord. C’est une succession de visions décrites dans un vocabulaire symbolique. En fait il est très bien construit :
1) il part du sens spirituel à donner aux événements vécus par le peuple Juif dans les années 70-71 du premier siècle : ruine de l’État d’Israël, de Jérusalem, du Temple (le Livre scellé de sept sceaux que seul l’Agneau comme immolé est digne d’ouvrir) ;
2) pour aller ensuite au sens que ces événements revêtent pour les chrétiens tant d’origine juive que païenne (le Petit Livre ouvert, doux-amer, que le prophète avale) ;
3) puis au sens de la persécution de la première Église par l’empire romain de Domitien (un É­van­gile éternel apporté par un ange) ;
4) pour donner enfin un sens à l’histoire universelle : toute l’humanité et la création tout entière (L’Alléluia : le message qui vient directement du Ciel).
Du point de vue littéraire et poétique, ce Livre est d’une rare puissance.
le Livre scellé de sept sceaux que seul l’Agneau est digne d’ouvrir (5,5) ;
un message pour Israël : le sens de ce qui est arrivé à Israël, à Jérusalem, au Temple en 70-71 : dé­sor­mais le Temple c’est le Ciel ou réside l’original de l’arche (11,19), où se dé­roule un culte d’adoration et non plus un culte sacrificiel puisque la Victime est en son centre (au milieu du trône céleste) sous la figure de « l’Agneau comme immolé » (ch. 4 et 5) ;
destiné à donner leur sens aux événements vécus lors de la campagne de Vespasien et de Titus en 70-71 (ch. 6), c’est une sorte de fin du monde (ch. 8-9), car l’histoire du monde est liée à la destinée d’Israël, mais l’histoire n’est pas fi­nie, elle repart, car ces événements n’ont pas suffi pour que les hommes se repentent (9, 21), en revanche, cela a eu pour résultat la naissance d’un Témoin terrestre, l’Église com­plantée de Juifs (les 144 mille) et de païens, de toute nation, toute langue, qui ont reconnu la messianité de Jésus (ch. 7).
le petit livre ouvert, doux-amer, que le prophète avale (10, 2 ; ch. 9-11) ;
un message à l’adresse des chrétiens, d’origine juive ou païenne : le sens de l’histoire du Messie, né d’une femme (Sion ou Marie, Figure de Sion), attesté par Moïse et Élie (les deux Témoins, ch. 11), persécuté, sauvé auprès de Dieu, tandis que sa mère trouve refuge au Désert (la Diaspora) (12, 1-6), ce qui est différent d’un Exil ;
et les conséquences qui en découlent : l’Adversaire de Dieu, Satan, le diable, chassé du ciel après un combat avec Micaêl (premier combat apocalyptique) (origine de la tradition de Lucifer, ange de lumière déchu du Ciel que l’on rattache généralement, à tort, à És 14, 11, 14 qui parle nommé­ment de la destinée du roi de Babylone), tourne désormais sa persécution directement sur terre contre la descendance du Messie, le monde ne sera désormais jamais plus comme avant (12, 7-18), l’histoire repart sur d’autres rails.
un Évangile éternel apporté par un ange (14,6) ;
un message universel à destination des chrétiens persécutés et à l’adresse du Pouvoir : la Bête, Babylone, la Grande Prostituée, triplement humaine et non juste comme le symbo­lise son chiffre (« 666 ») (13, 17). Message qui démasque la seconde Bête, le Faux pro­phète, l’Antichrist, lequel présente les traits de l’Agneau (Jésus), mais tient le discours du Dragon (Satan). La pros­ti­tu­tion vise l’ido­lâ­trie sous toutes ses formes (religieuses ou séculières). Une bataille décisive contre les rois terrestres est remportée sur le lieu my­thologique d’Harmaguedon (16,16) (deuxième combat apocalyptique) ;
et ses effets : le monde est mûr pour la récolte et la vendange (14, 14-20), il en vit le prélude à travers toute espèce de tribulations (15-16) ; la ruine de Rome est la fin d’un monde, mais ce n’est encore pour autant la fin du monde (ch. 18) l’histoire repart encore une fois pour sa destination dernière.
l’Alléluia qui vient directement du Ciel (ch. 19)
le message : Israël, Jérusalem, le Temple ont été plusieurs fois détruits et rebâtis, mais cette fois il n’y aura pas de nouvelle Jérusalem, car la « Jérusalem nouvelle » (et éternelle) au milieu de laquelle le Seigneur lui-même habite descendra du Ciel. Pour toute l’humanité qui aspire au salut : la Victoire définitive (19, 19-21) sera obtenue par la Parole (19, 11-18) qui est fidélité et gloire d’Israël, lumière du monde. Cette victoire est symbolisée par la guerre contre Gog et Magog (20, 7-8, voir Éz 38 et 39, troisième combat apoca­lyp­tique). Les martyrs connaîtront une pre­mière résurrec­tion suivie d’un règne de mille ans sur terre, Satan étant mis hors d’état de nuire (20, 1-8), après quoi aura lieu la seconde résurrection, concernant tous les humains ;
et ses effets : le monde connaît alors un ultime combat suivi du Jour du Seigneur: (que nous appelons : Jugement dernier), mais ce n’est pas la fin du monde (de la création) puisqu’un monde nouveau (la nouvelle création, le royaume de Dieu, ou des cieux, pour les évangélistes) qui est nommée ici « Jérusalem nouvelle », descend du Ciel sur terre. Le couronnement de la Création n’est pas le retour au Jardin des origines où le Seigneur se pro­menait dans la brise du soir (Ge 3, 8), ce n’est pas non plus le fruit des œuvres des hommes auxquels ont été confiés la gestion et le dévelop­pe­ment, mais non le parachè­ve­ment terrestre, de la Création, lequel est, au contraire, évoqué ici comme la descente sur terre de la Ville Sainte, néanmoins mul­ti­cul­turelle, où il n’y aura plus ni cri ni dou­leur, ni Temple ni clochers ni minarets, parce que le Seigneur lui-même y sera présent com­me fleuve de Vie (ch. 21-22).
Tant et si bien que les disciples messianiques de Jésus ne disent pas « A Jérusalem l’an pro­chain », mais « Jérusalem céleste, viens bientôt » (en paraphrasant Ap 22, 21 : « Seigneur, viens bientôt »).
MESSAGE de PÄQUES
A propos des « combats ou des « guerres » de l’Apocalypse :
Il en est question en trois endroits :
1) au chapitre 12 : le diable déchu du Ciel par Micaël et ses anges va prendre la terre en otage ;
2) au chapitre 16 : la bataille d’Harmaguedon qui anticipe la fin de la domination des puis­sances politiques ter­restres ;
3) au chapitre 20 : la victoire sur Gog et Magog qui anticipe la fin des idolâtries et de leurs sup­ports religieux institutionnels ou anarchiques.
Le couronnement de l’Histoire ne consiste pas en une victoire de Dieu sur ses ennemis, mais dans le Don, au monde et à l’humanité, de la Jérusalem céleste, de la Nouvelle Cré­­ation (le parachèvement de son œuvre créatrice par Dieu lui-même et Lui seul).
Il me semble que la meilleure manière de caractériser les combats spirituels, néanmoins séculiers, décrits dans l’Apocalypse n’est pas de les considérer comme un triomphe de Dieu sur ses « ennemis » (qu’il s’agisse d’êtres humains ou d’esprits), comme cela se passe dans la religion zoro­as­trienne qui annonce une victoire finale du « Grand Dieu bon » sur le « dieu second mau­vais », mais com­me des « crises » (crises politiques, crises spirituelles) que traverse notre hu­ma­nité du fait de la venue du Mes­sie en Jésus de Nazareth, lequel, pour reprendre une parabole du Royaume de Matthieu 13, 33, agit comme un levain dans la pâte.
« C’est l’heure de la persévérance et de la foi des saints » (13, 10), cela signifie qu’à travers la fidélité de ses témoins, Jésus Christ manifeste sa résurrection dans notre ac­tu­a­lité, au moyen des dons du Saint Esprit, tout au long de l’Histoire : « Car le té­moi­gnage de Jésus c’est l’esprit de la prophétie » (19, 10).
Jacques Gruber




Mai 2010
PETITE APOCALYPSE DE POCHE
Adresse aux Églises : « Je vous écris pour vous dire que je connais la générosité désintéressée de vos membres engagés dans la confiance et l’espérance du Royaume, mais ce que j’ai contre vous, c’est de vous occuper trop de vous-mêmes, de soigner votre image, d’exer­cer un pou­voir et de rechercher la puissance. »
Au Peuple Juif : « Seul le Messie est digne d’ouvrir les sept sceaux du Livre qui révélera pour tous le sens de la Choah. »
Aux chrétiens d’origine juive (symbolisés par les 144 mille) ou venus des nations (de toute langue, tout peuple, tout pays) (note 1) : « L’annonce publique de la Parole (douce quand on la reçoit, source d’épreuves quand on la met en pratique) est là pour nous faire sou­venir que Moïse et Élie (la Loi et les Prophètes) sont les deux témoins irrempla­çables, que le Messie naît de Sion, que Satan, déchu de sa con­dition céleste, porte dés­or­mais son combat sur terre contre les té­moins du Messie. »
À ceux qui sont persécutés à cause du témoignage de leur foi : « L’Évangile éternel, qui est l’esprit de la prophétie et nourrit la persévérance des saints, atteste que l’exis­tence des puissances bestiales qui pren­dront la suite de l’Empire persécuteur : absolu­tismes, totali­ta­rismes, terrorismes, nihilisme, ido­lâ­tries en tout genre, est clairement me­su­rée dans le temps, mais aussi que ceux qui ont été privés d’accomplir leurs jours terrestres à cause de leur témoignage reprendront vie pour régner, pendant une durée surabondante, avec le Messie, sur une terre li­bé­rée pour ce temps de l’em­prise du Malin. »
Pour l’humanité tout entière : L’Alléluia en plénitude, couvre le bruit de l’é­crou­le­ment de ce monde, il prélude à la vision d’une Création nou­velle, recueillant toutes les belles et bonnes réalisations de l’Histoire. Ce n’est pas le Paradis jouxtant l’enfer, c’est la Jérusalem nouvelle qui a pour assise les témoignages des douze apôtres du Messie. On ne retournera pas au Jardin des origines ; la Cité qui vient est une ville ouverte à tout être humain, ses portes, jamais fermées, sont appelées du nom des douze tribus d’Is­ra­ël. Là, il n’y a pas besoin de Temple puisque le Seigneur lui-même y ha­bi­te­, le fleuve sor­tant de son trône apporte le don de la Vie inextinguible à tous les êtres devenus, non pas di­vins, mais des créatures nouvelles.
Amen, c’est solide.
(1) Quand l’Apocalypse est écrite, dans les dernières années du premier siècle, l’Église est composée (dans des proportions que nous ne pouvons pas bien apprécier) de Juifs et de païens qui, les uns et les autres, ont reconnu la messianité de Jésus.
Jacques Gruber




Juin 2011
LA VOIX DU BERGER : Jean 10, 3-5
La parabole du bon berger de Jean 10 reprend un thème typique du Premier Testament où le Seigneur est décrit comme le grand Berger d’Israël (Psaumes 23, 80, 121), où les chefs religieux d’Israël, appelés à diriger le peuple, sont qualifiés, pour le meilleur et pour le pire, de « bergers » du peuple choisi (És 40, 11 ; Éz 34, 1-10 ; Zac 10,3).
Les épîtres du Nouveau Testament donnent le titre de Berger par excellence à Jésus (Hé 13, 20 ; 1 Pi 2, 25, 5, 4) et les évangiles synoptiques ont repris l’image pour l’appliquer à Jésus : le berger qui n’a de cesse jusqu’à ce qu’il ait retrouvé la plus petite brebis du troupeau qui s’est égarée et perdue (Luc 15) ou pour exprimer les nouvelles relations entre les membres de la com­mu­nauté messianique fondée par Jésus (Matthieu 18).
La parabole johannique reprend la comparaison sur le thème du berger qui « donne sa vie pour ses brebis », mais aussi du troupeau qui reconnaît, entre toutes, la « voix du berger »
La voix du berger de l’Évangile, l’entendons-nous ? Que dit-elle ? Comment se distingue-t-elle de celle de l’ « étranger » ?
Le Berger nous dit : « J’ ENLÈVE » ; « JE RELÈVE » ; JE SOULÈVE », « J’ ÉLÈVE ».
J’enlève ton péché, je te relève de tes chutes, je soulève ton fardeau, je t’élève.
Le péché est une notion essentielle de l’anthropologie biblique réputée cul­pa­bi­li­sante aujourd'hui parce qu’on en a abusé à des fins humaines. Il a été utilisé dans le cadre d’une pédagogie moraliste, alors qu’il se situe dans l’Alliance, dans une rela­tion de con­fiance et d’espérance avec Celui seul qui est Saint. L’Homme moderne veut ignorer le péché alors qu’il manifeste une recherche exis­ten­tielle profonde de justifica­tion (j’ai ma conscience pour moi, je suis dans mon droit, je ne dois rien à personne, j’ai raison) et se pose souvent en juste face aux « autres ». Or, la voix du Berger nous dit « J’enlève ton péché, je te tire de la fausse confiance en toi-même, je t’ouvre une voie nouvelle au fond de tes impasses ».
Les causes de nos chutes sont nombreuses : chutes physiques dues à nos ca­rences congénitales, à nos faiblesses corporelles, nos maladies, l’âge ; chutes psycho­lo­giques telles la dé­pres­sion, les inquiétudes, les hantises, les faux juge­ments ; chutes morales en relation avec la vie sociale et les défauts de la société dans laquelle nous vivons ; chutes spiri­tuelles liées à la peur des autres et de l’avenir qui commande les atti­tudes de ressenti­ment universel, de déva­lo­ri­sa­tion systématique des gens et de leurs initiatives, de dérision de tout et de tous. Or, la voix du Berger nous dit « Je te relève de toutes tes chutes, aussi souvent qu’il faudra, je te donne de vivre en vérité ».
On connaît l’histoire de cette personne qui se plaignait du sort que la des­tinée lui infligeait. Lui ayant été offert de choisir entre tous les maux sup­portés par les autres, elle jugea plus sage de ne rien changer à sa condition. Chacun a son fardeau et nous admirons parfois le courage avec lequel d’autres portent le leur. Or la voix du Berger nous dit « Je soulève ton fardeau, je ne le supprime pas, mais je partage ta croix avec toi. »
La voix du Berger nous dit encore : « Je t’élève ». Non pas jusqu’à faire de toi un dieu, un saint canonisé, un héros national, mais un être humain, enfin humain, sim­plement, vraiment, humain. Et, pour cela, elle nous dit : « Lève les yeux, cesse de regar­der tes pieds, de contempler ton nombril, de te comparer aux autres, de te refléter dans tous les miroirs qui passent, accepte-toi comme tu es, et puis : des gens te sourient, la nature est belle, tu es capable de faire de bonnes choses, de venir en aide autour de toi. »
Par ailleurs, nous entendons et même nous écoutons la voix de l’étranger qui dit « Je baisse », « J’abaisse », « Je rabaisse », « Je laisse », « Je délaisse », « Tu dois », « Il faut ».
« Je baisse les lumières qui éclairent les esprits » ; « J’abaisse et je ferme les barrières qui séparent les gens » ; « Je rabaisse ceux que je jalouse » ; « Je laisse courir les événements » ; « Je délaisse ceux qui échouent » ; « Tu dois accomplir le devoir qui t’est imposé » ; « Il faut obéir aux commandements, aux ordres ».
« Si tu as commis une faute, tu mérites d’être puni » ; « Si tu es tombé c’est bien fait pour toi » ; « Je suis affligé que tu portes ce fardeau, mais je ne peux pas me charger de la misère du monde » ; « Tu me fais de l’ombre, ôte-toi de là que je m’y mette » ; « Occupe-toi de toi-même, personne ne prendra soin de toi ».
Nous connais­sons cette voix, elle vient du fond des âges et du plus intime de nous-mêmes, le monde, ses discours politiques et sa publicité s’en font l’écho à l’envi. Par un effet de contraste, l’Évangile nous donne la possibilité de l’attribuer à qui de droit, il nous permet de discerner l’esprit qui l’anime et de nous dire : « C’est celle de l’Étranger, l’adversaire de la Vie ».
« J’enlève ton péché, je te relève de toutes tes chutes, je soulève ton fardeau, je t’élève à l’humanité », « Lève les yeux ».
Aucun de nous ne peux prétendre s’approprier la voix du Berger, pour la dispen­ser autour de soi comme si elle était sienne parce que nul ne peut assumer ce qu’elle annonce. En revanche nous pouvons amener les uns et les autres à l’écouter, comme on dit : « Viens, je voudrais te faire entendre une autre voix ».
Jacques Gruber

juillet 2011
Au Village d’Ittan Wali, dans le Penjab, il y avait sur la margelle du puits, un gobelet à l’aide duquel les travailleuses, tour à tour, venaient se désaltérer. Après qu’Asia, jeune épouse et mère habitant ce village, a bu, ses com­pagnes l’ont accusée de souiller le gobelet pour la raison qu’elle est chré­tienne. Elle a répondu : « Le Pro­phète n’a pas dit ça ». C’était le 14 juin 2009.
Ces seuls mots lui valent d’être con­damnée à mort pour blasphème. Elle croupit en prison, privée de la clarté du jour, sans sanitaires, sans soins, dans l’attente d’un hypothétique procès en seconde instance.
Anne-Isabelle Tollet a publié son témoignage dans le livre intitulé « Blasphème », histoire d’Asia Bibi, aux éditions Oh.
J’ai reçu un poème qui lui est dédié. Je vous le transmets afin que nous n’oubliions pas cette sœur dans la foi ni son témoignage. A la suite, vous trouverez un texte de lettre en sa faveur à adresser à M. le Président de la République du Pakistan.
Jacques Gruber
Asia Bibi
Asia, ton prénom est
aussi vaste qu’un continent
et ton nom : Bibi,
c’est ton intimité,
ton présent,
sans alibi.
Asia,
comme le cinquième de la planète,
et bibi,
comme soi-même :
pour avoir dit
le mot de « Prophète »,
où est le blasphème ?
À cause de cela,
tu gis sur un lit d’immondices,
dans la puanteur
d’un trou sans interstice
dans l’attente d’être pendue
alors que tu es portée par les médias,
maintenue
par le flot des prières qui monte
des cinq parties du monde.
Toi dont le nom convoque
à la fois notre planète
et le plus propre de chacun de nous-mêmes,
où est le blasphème
à évoquer le Prophète
à notre époque ?
On t’a tout pris
pour un gobelet
d’eau :
époux, enfants, abri,
pour te jeter
dans le corridor
d’un cachot,
infect, infertile,
quand aux yeux de tous
tu as déjà rejoint,
au-delà de la mort,
mieux qu’un paradis,
la nuée des témoins
de ton Évangile.
Simple croyante au Pays des pures,
l’épreuve, qui emprunte
l’eau-forte de la vindicte vive
montant d’un fond de misères,
grave sur le cuivre vivant de ta peau
l’empreinte
de l’espoir en notre planète
sans lisières,
mais addictive
à tant de fléaux.
Qui es-tu pour faire injure,
alors que le Prophète
lui-même
n’a crainte
d’aucun blasphème ?
Août Saïder
Lettre pour M. le Président Zardari
NOM, Prénom : ……………………………………………..
Adresse : …………………………………………………….
………………………………………………………………...
President Zardari
Pakistan Secretariat
Islamabad
PAKISTAN
Monsieur le Président,
À la suite d’informations reçues par l’ACAT-France, nous tenons à vous exprimer notre très vive préoccupation concernant la condamnation à mort d’Asia Babi, le 8 novembre 2010 par le tribunal de Nankana. Asia Babi a été condamnée à mort pour une infraction non reconnue par le droit international, et ses garanties judiciaires n’ont pas été respectées.
Nous avons pris note de vos déclarations selon lesquelles vous prendrez les mesures nécessaires, afin de lui accorder une grâce ou une clémence.
Nous vous prions de respecter vos engagements et de prendre des mesures pour assurer la sécurité d’Asia Bibi et de sa famille.
En 2009, le Premier Ministre, Yusuf Raza Gilani, s’était engagé à revoir les « lois nuisant à l’harmonie religieuse ». Nous vous demandons instamment de respecter cette promesse et d’amender ou d’abroger les lois sur le blasphème (article 295-A/B/C du code pénal pakistanais), en raison de leur utilisation discriminatoire et arbitraire.
Nous vous appelons, en outre, à vous inscrire dans le mouvement abolitionniste prévalant dans le monde, en prenant des mesures en faveur de l’abolition de la peine capitale, notamment en déclarant un moratoire sur les exécutions au Pakistan. Nous vous invitons également à voter en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, à l’ordre du jour de la 65e session, appelant à un moratoire universel sur le recours à la peine de mort.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
date : signature :
NB : affranchir à 0,87 €

septembre 20 11

JUSTICE
Dans la Nature et sur le plan de notre destinée, la justice est souvent ce que l’on appelle « la justice immanente ». C’est une justice du genre suivant : « Il (ou elle) est puni par là où il (ou elle) a péché » ; « J’apprends que telle personne qui m’a gravement porté préjudice sans que je puisse porter plainte contre elle est brusquement frappée d’un mal irrémédiable ou par une faillite complète » ; « Par une coïn­ci­dence heureuse, inespérée, les circonstances qui jusqu’ici étaient toujours contre moi jouent désormais en ma faveur » ; « Les événements finissent toujours par tourner dans un autre sens ».
Dans le Premier Testament : sans que la formule se trouve, telle quelle ; le Seigneur est Saint, il est justice et miséricorde, miséricorde et justice, justice de miséricorde, miséricorde de justice, pas de justice sans miséricorde, pas de miséricorde sans justice.
En Israël (comme aujourd'hui encore dans le judaïsme, dans l’islam, dans certains pays bouddhistes) il n’y a pas de séparation des pouvoirs (législatif, juridique, exécutif). La séparation des pouvoirs est la règle dans les démocraties (et dans l’État d’Israël d’aujourd'hui). Les juges sont indépendants du pouvoir et n’édictent pas les lois, ils appliquent les lois votées par le pouvoir législatif (l’Assemblée nationale, contrebalancée par le Sénat, car les gouvernements démocratiques ont deux assemblées : chambre des communes et chambre des Lords en Angleterre par exemple). Dans les pays où la laïcité existe, il y a séparation de l’Église et de l’État (exceptions : Russie, Grèce, Irlande, Turquie, Algérie, Iran, Pakistan, etc.).
Si la Bible hébraïque apporte l’intuition de la justice de miséricorde, la Tôrâh contient la Loi du peuple d’Israël. Celle-ci comporte la peine de mort, mais, selon les Juifs interrogés à ce sujet : elle n’a jamais été mise en œuvre (on note toutefois la lapidation d’Étienne dans Ac 7, 54 à 8, 1). Le judaïsme présente un vécu de justice en l’espèce de la « techouvah » et du « tikkoun » : la repentance et la réparation des torts (voir Mt 5, 23-26) .
Dans l’Évangile, Jésus fait passer la justice du plan politique (qui est celui de la non séparation des pouvoirs) sur le plan éthique (non moraliste) qui pourra ainsi être vécu dans toutes sortes de régimes politiques. Les textes allant de ce sens sont : Mt 5, 20 (justice des scribes et pharisiens : légalisme et casuistique opposée à la meilleure justice qui est générosité, Kant reprendra cette distinction avec la légalité et la moralité) ; Mc 8, 15 : mise en garde d’une mentalité ou d’un état d’esprit (le levain) qui ne connaissent pas la justice et la miséricorde ; Lc 18, 9-14 où Jésus oppose la bonne conscience de celui qui se répute lui-même juste à la repentance du pécheur qui attend le pardon du Seigneur ; Jn 7,53 à 8,11 : où Jésus renvoie accusateurs et accusée à un examen de conscience et une conversion (métanoïa : changement dans l’esprit).
Le Premier Testament et le Nouveau Testament contiennent la référence à un « Jour du Seigneur », un « Jugement dernier » où nos œuvres (notre existence) sera jugée. Pour les Juifs, la référence est la Tôrâh, pour les nations, c’est la présence du Christ dans les petits, les pauvres, les handicapés, les exclus (Mt 24). Cet examen de nos existences a été interprété soit dans le sens du salut par les œuvres méritoires, soit dans le sens des œuvre de la foi (voir Mt 19, 27-30 : les œuvres spontanées découlant de la confiance et l’espérance mises en Jésus). Devons-nous faire de ce Jugement une croyance et un dogme ou sommes-nous appelés à le prendre comme un avertissement, une exhortation ?
N’oublions pas que les données du problème ne peuvent être réduites aux relations entre individus, la justice entre individus dépend de la dimension écono-écolo-socio-politique, elle appelle notre vigilance et nos luttes toujours renouve­lées pour cette justice publique. L’option pour une justice sur le plan éthique n’entraîne pas l’oubli du plan politique, comme le disait Emmanuel Lévinas : « Éthique d’abord, politique en­suite ».
Dans la ligne des prophètes appelant à la vérité contre les rites (És 1, 16-20 ; J& 7, 9-11 ; De 30, 11_14, 19-20), les épîtres contiennent nombre d’exhortations à une vie de sainteté qui est vie de justice (Rm 6, 12-20 ; Ph 2, 2-7 ; Hé 13, 1-5, Col 3, 12-15 ; 1 The 5, 13-18). Mais Paul insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une justice qui vient de nous, c’est une justice reçue dans et par la foi (Rm 1, 16-17 ; 3, 9b-31 et le chapitre 4).
Nous pourrions dire en conclusion que la justice est avant tout la Paix avec le Seigneur, Paix qui nous est accordée par Lui, qui engendre la paix avec nous-mêmes et a pour conséquence de vivre en paix avec notre prochain (És 26, 12 ; 32, 17 ; 54, 10 ; 57, 19, 21 ; 50, 8 ; Ph 4, 7 ; Jn 14, 27 ; Col 9, 15).
Concernant la justice humaine, il semble que si elle parvient à établir l’équité, ce soit dans ses possibilités et constitue déjà un résultat satisfaisant. La justice c’est aussi l’effort vers la vérité, l’honnêteté, la probité, l’objectivité.
Jacques Gruber
Octobre 2011
TERRORISME
« La colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu » (Jc 1,20) et le terrorisme n’accomplit même pas la justice des hommes.
Le mal, le malheur, l’injustice, les conflits sont toujours déjà là. Aussi loin que nous remontions dans l’histoire de l’humanité, ils sont toujours déjà là. Historiquement parlant, il n’y a pas de premier coupable. Nous ne pouvons en parler que d’une manière mytho­lo­gique. Comme la Bible avec Adam. Puisqu’il s’agit de mythe, il ne peut être question de « péché héré­ditaire », mais de cette constatation que le mal est toujours déjà-là lorsque nous en prenons acte, qu’aussi loin que nous remontions, il nous a toujours précédé, que nous sommes nés d’une violence.
La Bible nous parle de la colère de Dieu avec une expression très concrète « Son nez s’enflamme ». Dans de nombreux cas, le terme d’ « irritation » serait meilleur que celui de colère, mais il en est d’autres (pour les textes en grec en particulier), où l’irrita­tion se traduit rarement par thumos (indignation), le plus souvent par orgè (colère). Un exégète de l’épître de Paul aux Romains (Franz Leenhardt) traduit « colère de Dieu » -orgè théou- par « le jugement de réprobation de Dieu » (Rm 1, 18) et écrit la note suivante :
« Cet anthropopathisme [« son nez s’enflamme »] est traditionnel dans la pensée hébraïque. La colère est, parmi les sentiments de Dieu, un des plus fréquemment men­tionnés. Toutes les religions ont fait une place à cette réaction violente et mysté­rieuse de la divinité en lui donnant un caractère arbitraire et irrationnel ; on trouve là une des structures fondamentales de la religion naturelle, correspondant à l’un des aspects de l’angoisse existentielle qui provoque l’homme à la quête de Dieu. Chez les Hébreux, la colère de Jahvé a été qualifiée par l’alliance ; elle est un aspect particulier de la jalousie divine, de cet amour exclusif qui ne tolère pas l’infidélité. » (L’Épître de Saint Paul aux Romains, Delachaux et Niestlé, 1957, p. 35).
Luther faisait une distinction entre « l’œuvre étrangère de Dieu » (celle qui est rapportée à sa colère) et son « œuvre propre » (celle de la justice de miséricorde). La justice de Dieu est miséricorde, la colère, la violence, la guerre, le terrorisme n’ont jamais apporté aucune solution humaine véritable. Au contraire, ils ne font qu’engen­drer de nouveaux pro­blèmes.
René Girard, agnostique au départ, fait état de sa découverte : l’Évangile de la Croix (ou du Serviteur souffrant, de la kénôse en termes théologiques) est une origine qui fait exception à toutes les autres, les annule et les remplace. Ce n’est ni une « violence fondatrice » ni une recette de non-agir, mais un acte historique central de don total, un effacement originaire re-créateur (La violence et le sacré, 1972 ; Des choses cachées depuis la fondation du monde, 1978 ; Le bouc émissaire, 1982).
L’Évangile de la « meilleure justice » qui n’est jamais « propre justice », auto­jus­tification, la Loi qui prend en compte jusqu’à nos intentions (« Celui qui se met en colère contre son frère mérite d’être puni par le juge » au même titre qu’un meurtrier, Mt 5,22) n’est pas l’Évangile de la non-vio­lence, mais de l’anti-violence : un agir concret sans haine ni ressentiment.
Dans son film intitulé L’Évangile de Matthieu, pour la scène de Jésus chassant les vendeurs du Temple (Mt 21, 12-13), Paolo Pasolini nous montre un Jésus parfai­te­ment calme qui disperse les vendeurs et renverse leurs tables d’une manière ferme, réprobative, mais dénuée de haine et de brutalité, une parole-acte disant : « Ma Maison [le Temple, notre cœur, notre monde] sera appelée une maison de prière ».
En Occident, nous avions coutume de dire « La lumière se lève à l’Est » et il reste vrai que, depuis longtemps déjà, nous ne tirons plus notre renouvellement culturel de notre propre fond. Il provient de l’Afrique, de la Chine et du Japon, des civilisations amérin­diennes, mais que dire depuis qu’en Orient est née une volonté d’anéantir l’Oc­ci­dent ? J’entends : « Il faut détruire l’Occident » (Ben Laden, Al Qaïda), « Les Etats-Unis veulent détruire notre religion » (Mosquée rouge à Kaboul). Pendant mille ans, nous avons laissé s’agrandir et s’approfondir entre les pays du Nord et ceux du Sud un fossé d’in­compréhension dans la manière de nous comprendre nous-mêmes, de com­prendre la société, la religion et le monde. Au surplus l’impérialisme occidental a laissé des blessures d’a­mour-propre diffici­le­ment guérissables. En réalité c’est la mo­dernité, l’esprit de la mo­dernité, par qui les religions, quelles qu’elles soient, se sentent mena­cées. Chacun se révèle dans la façon dont elle réagit à ce défi. Il y a ceux qui utilisent les ex­plosifs et ceux qui servent une « parole ».
Notre expérience et notre conviction sont que, dans tous les domaines (y compris l’Église), l’É­vangile rompt les cercles vicieux engendrés par les violences et que cela peut se réaliser dans notre monde parce qu’il s’agit de la promesse qui prend racine dans les cœurs, dans les pensées et dans les comportements conjoints des êtres humains en aussi grand nombre que le Seigneur les appellera (Ac 2, 39).
Jacques Gruber

Novembre 2011

SÉCULARISATION

Lors de son dernier voyage en Allemagne, au mois de septembre, le pape Benoît xvi a proposé au président de l’Église évangélique une « alliance contre la séculari­sa­tion ». J’aurais préféré une « alliance pour le témoignage », mais il ne sert à rien d’a­jouter à la polémique. En revanche, il est bon de s’interroger sur la sécularisation.
Ne confondons pas laïcisation, sécularisation et déchristianisation. La laïcité est la séparation du théologique et du politique, de la religion et de l’État, de la sphère pri­vée et de la sphère publique ; la laïcisation est un processus politique, la séculari­sa­tion, un processus politique et culturel, la déchristiani­sa­tion, un processus politique, culturel et spirituel. Au fur et à mesure, le phénomène augmente en compréhension.
Pour nous en tenir à la sécularisation, son incidence politique concerne, par exemple, des terres d’Église qui deviennent propriété de l’État ou des institutions ec­clé­siales (hô­pi­taux, écoles) qui sont étatisées. Sur le plan culturel, ce sont les façons de vivre et les modes de pensée qui subissent une transformation : où il y avait Dieu, il y a désormais l’Homme ; où il y avait le mythe, la raison ; où il y avait le mystère, l’ex­pé­rience ; où il y avait la croyance, la critique.
Historiquement, cette évolution culturelle s’est produite dans l’aire occidentale chré­tienne. Initialement, avec Copernic, Galilée, Descartes, Pascal, Spinoza, puis sous des impulsions protestantes (de Rousseau à Nietzsche en passant par Bayle, Locke, Kant, Hegel, Marx), pour aboutir à l’esprit scientifique (qui a lui-même évolué) et dont les applica­tions n’ont cessé de bouleverser les mœurs.
Renaissance, Réformation, Lumières, Révolution(s) sont des changements cultu­rels survenant dans un monde où l’Église avait pris en charge le destin de l’huma­ni­té en­tière. De ce fait, tout changement de prise en charge ne pouvait se faire que contre l’É­­glise et, dans la mesure où celle-ci s’identifiait au christianisme, contre ce dernier. La question qui se pose est : pourquoi cela s’est-il produit ici et nulle part ailleurs ? Pour­quoi, à la différence des autres grandes religions, le judéo-christia­nisme s’est-il montré sé­cu­la­ri­sable ?
On ne peut imaginer que cela résulte du rejet pur et simple d’une religion fonciè­re­ment aliénante (au détriment de l’humain), comme certains le pensent d’une manière sim­pliste ou caricaturale. En réalité, cela dé­coule :
a) de la désacralisation de la nature (astres, terre-mère, eaux, montagnes, arbres, animaux, Ge 1,28) ; de la fin des tabous et des interdits (Ac 9, 10-23), du pur et de l’impur (Lc 11, 39-41 ; Tit 1,15) ; de la concep­tion biblique d’un temps linéaire et non plus cyclique, d’où le salut dans l’his­toire (par exemple : Rm 9 à 11) ; de la con­dam­na­­tion de l’exploitation de l’homme par l’homme (Lé 19) à défaut de la fin de l’es­cla­vage, puis de la valeur con­fé­rée par l’Évangile à la per­sonne humaine (Lc 15, 3-7) ; d’une foi vécue dans un uni­versalisme sans aucune exclusive (la forclusion n’appartient qu’au Seigneur) ;
b) du fait que la théologie chrétienne s’inspire d’une révélation sémitique en même temps qu’elle adopte façon grecque de penser.
Pourquoi l’histoire nous montre-t-elle que les idées nouvelles, les découvertes et inventions scienti­fiques qui ja­lonnent l’avènement de la modernité se sont essen­tiel­le­ment dévelop­pées dans l’Europe du nord (au-dessus d’une ligne Autriche-Bavière) et dans le monde anglo-saxon, c'est à dire dans l’aire touchée par la Réforma­tion ? Une interprétation sociologique dans la ligne de Max Weber pourrait suggérer l’action de l’in­frastruc­ture religieuse pro­testante. Le salut par la foi, par le moyen de la Parole, ne fait pas du moment mys­tique l’aboutissement de la recherche religieuse, au contraire, elle le place au départ, dans l’événement, toujours de nouveau vécu, de la Parole, Parole qui inaugure, chaque fois, de nouvelles applications dans le monde selon l’éthique du Roy­aume qui vient à elle. Bien avant Karl Marx, l’esprit pro­testant avait vécu et véhi­cu­lé, non l’idée qu’il faut transformer le monde, mais le don qui nous est fait d’entrer effectivement dans les trans­for­mations auxquelles il est pro­mis.
Après la fin de la seconde guerre mondiale, la modernité atteint, à mon sens, la fin du processus historique de la sécularisation : elle peut être considérée comme l’a­bou­­tisse­ment de la sécularisation et c’est elle qui assume désormais le destin de l’hu­ma­ni­té (en Occident du moins), sauf qu’elle s’est trouvée rapidement doublée par la post-moder­nité. Désormais, chaque domaine de la connaissance humaine va prendre son indépen­dance, on va perdre toute saisie de l’ensemble que forment l’être humain, le temps et le monde (la globa­li­sa­tion ou mondialisation en sera le succédané) et la postmodernité occupera le vide ainsi laissé avec de vieilles lunes requinquées (des palinodies). En revanche, les questions première et dernière de la vie humaine sont refoulées. « Tandis que le sacré est perçu et symbolisé de ma­nière cohérente dans les sociétés ar­chaï­ques ou tradi­tion­nelles, des présupposés cul­tu­rels bloquent ou limi­tent cette expression dans les sociétés techno­scien­tifi­ques ou modernes. La sacralisation joue alors de manière laten­te, anomique, ou éclate en manifestations irration­nel­­les et passion­nelles, plus ou moins violentes et par­fois contestatrices" (note 1).
Pour comprendre les enjeux actuels, il faut prendre acte du fait que la sécu­la­ri­sa­tion s’étale sur plusieurs siècles. L’Église n’a perdu son influence que très progressive­ment. Cela a eu pour effet une période de rémanence : longtemps encore après s’être coupées de leurs sources vivantes, les nouvelles ins­tances occiden­tales ont vécu sur l’erre de la civili­sa­tion qu’elles avaient supplantée. Elles ont même repris, pour le meilleur et pour le pire, quelques unes des façons de gouverner de l’Église. On pourrait étudier cette histoire, entre autre, sur les thèmes de l’ascèse ou du puritanisme. Les acteurs ma­jeurs de la sécularisa­tion savaient de quoi ils parlaient quand ils parlaient du chris­tianisme. Mieux : ils pensaient réaliser la véritable humanité que le christianisme avait exploitée et défor­mée en la théologisant.
Ainsi, nombre de valeurs chrétiennes rémanentes au cours de la sécula­ri­sa­tion ont pu laisser croire à une bonté naturelle de l’être humain, à un progrès moral, social et technique continu, à une transparence spontanée des rapports humains, à un universa­lisme des bienfaits de la civilisation gérée par la raison. Au­jour­d'hui, pour les acteurs de la post-modernité, le christianisme n’est plus même un adversaire, il leur est devenu étranger, c’est la déchristianisation.
La modernité, fille de la sécularisation, a pris corps et s’est maintenue grâce à la rémanence chrétienne, mais l’homme moderne ne veut pas admettre d’autre source de progrès que lui-même. Une fois celle-ci disparue, la modernité a été engloutie par le flot de la post-modernité. À la faveur du modernisme (l’usage des applications de la science, les droits de l’Homme, la démocratie), l'avant-modernité astrologique, ma­gique, voire cha­ma­nique, fataliste, occultiste, ésotérique, hédoniste autoritaire et absolu­tiste, re­trouve droit de cité chez nous
La fin de la rémanence chrétienne correspond au passage de la moder­ni­té à la post-modernité (même si des vestiges de cette rémanence peuvent subsister localement). Non seulement le processus de sécularisation est achevé (de sorte que se liguer contre lui est un combat dépassé), mais le christia­nisme comme histoire sainte continuée, com­me salut faisant corps avec la civilisa­tion, ce christianisme là est révolu (la « sortie de la religion » selon Marcel Gauchet), dans cet ordre de réalités, la déchristianisation est un fait acquis. Après que l’on s’est retiré les moyens de l’apprécier à sa juste valeur, son bilan est considéré comme un passif, éven­tu­el­lement comme nuisible.
La pensée et l’action chrétiens désireux d’assumer tout l’humain avaient pris en charge la philosophie et la morale grecques ; dans sa logique, la post-modernité se trouve amenée à s’en défaire par un effort de déconstruction dont on ne peut pas savoir aujour­d'hui s’il en restera là ou s’il prélude à une re-construction.
La sécularisation a été un processus politique et culturel, il a abouti à la moder­ni­té, mais, celle-ci, sonnant la fin à la rémanence chrétienne qui la soutenait à son corps dé­fen­dant et qui était parvenue à épuisement, n’a pas tenu. Elle a été repoussée par la post-modernité, laquelle, béné­fi­ciant du cadre extérieur du modernisme et du tapis volant des mass-médias, situe sur le même plan toutes les attitudes mentales, croyances, traditions et même les superstitions, les postures intellectuelles, les rites, us et coutumes quels qu’ils soient, donnant bien souvent la prime à des cultures premières, au passéisme, au pittoresque, au spec­ta­cu­laire. Dans la littéra­ture, le visqueux et le nauséabond s’étalent avec une cer­taine complaisance ; dans les arts, le dé­tour­ne­ment des thèmes et des valeurs antiques, chrétiennes, classiques, baroques, romantiques, tient souvent lieu d’ins­pi­ra­tion et il arrive que le visage humain de la vie soit défiguré. Nous pouvons observer que la post-modernité ramène ce dont la modernité nous avait libéré en sécularisant spé­cifiquement le salut judéo-chrétien : regain de sa­cra­li­sations d’ordre mystique, hédo­niste ou natio­na­liste ; retour du temps cy­clique et des mysta­go­gies poli­tiques, faveur de l’ésoté­risme ; réaffirmation des interdits d’or­dre reli­gieux dans des com­mu­nauta­rismes et des ghettos ; culture en pot de nos névroses jusqu’à la déraison ; l’indi­vi­dualisme et la massifica­tion ont partie liée contre la per­sonne.
Sur le plan culturel, la mon­diali­sa­tion s’accompagne d’une mise à zéro des tous les compteurs. Nos intelli­gent­sias, mêlant liberté et fuite en avant, affectent toute nou­veau­té ou changement d’un préjugé favorable et semblent donner dans le sno­bisme d’une fronde contre tout ce qui est « éta­bli », au risque de confondre des acquis his­toriques imprescriptibles sur les plans écologique, humain et de l’esprit, avec ce qui est établi.
Laïcisation, sécularisa­tion, déchristianisation sont les circonstances dans les­quelles, en dehors de toute considération stra­té­gique ou tac­tique, le témoignage chré­tien, en paroles et en actes, prend aujourd'hui son actualité. Lorsque les Églises refusent de re­gar­der les choses en face, elles se sclérosent (intégrismes, fondamenta­lismes), au risque de gâcher les apports significatifs du (judéo-)chris­tia­nisme au cours de l’histoire écoulée.
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(1) Georges Thines et Agnès Lempereur, Dictionnaire général des scien­ces humaines Paris, Editions Universitaires, 1975 (abré­viation: Thines et Lempereur) article “Sacré”, p. 853 A
Jacques Gruber
Décembre 2011
LE SEIGNEUR EST A M O U R
Dans Deutéronome 6, 4-5 nous lisons la confession de foi d’Israël :
« ÉCOUTE Israël (« Chemah Israël ») !
Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force ».
(tra­duc­tion de la TOB 1988)
« Aimer » (AHaV) de tout son cœur, de tout son être, de toute sa force, est l’é­qui­valent du grec agapéô qui exprime l’amour au sens le plus fort. Parlant de l’amour terrestre, le Cantique des cantiques ne dit-il pas : « Amour est fort comme la mort », (Cantique des cantiques, 8, 6) ?
Remarquons que, comme dans le reste de la Bible hébraïque, le Seigneur tutoie son peuple, com­me son peuple tutoie le Seigneur. La plus grande distance dans la plus grande proximité.
Souvent, ailleurs, dans le Premier Testament, on trouve la formule « crain­dre (YaRÉ) le Seigneur», moins au sens d’en avoir peur que de le révérer (par exemple : Ex 14, 31 ; 1 Sa 12,18 ; Pr 3,7 etc.). Cela fait ressortir l’accent différent des paroles fondatrices du « Chemah Israël ».
Si nous nous plaçons dans l’esprit de la Bible, lorsque le Seigneur demande d’être aimé, il révèle qu’il est Amour, qu’il est la Source de cet amour et qu’il établit lui-même, dans l’élection, la relation d’amour qu’il exige. Ainsi, contrairement à l’idée que le Dieu du Premier Tes­ta­ment est essentiellement un Dieu redoutable, ici en tout cas, sur le plan fondamental de la confession de foi deutéronomique, le Premier Tes­ta­ment ne dit pas autre chose que le Nouveau Testament : « Le Seigneur est Amour ».
Le Nouveau Testament (les textes johanniques plus encore que les autres) utilisent le mot d’ « agapè » (un amour non possessif, non narcis­sique), pour parler des relations entre Le Seigneur et nous, aussi bien qu’entre nous. La parole la plus nette à cet égard est dans la Première épître de Jean (« Dieu est amour » : 1 Jn 4, 16), épître qui nous parle de « l’amour du Père » (2, 15). Dans la bouche de Jésus, le Dieu Père est amour.
On pourrait en rester là, mais Jésus réunit l’amour pour Dieu et l’amour du prochain (Lé 19,18) dans le texte que nous appelons « Sommaire –ou résumé- de la Loi » qui se lit dans les trois évan­giles synoptiques (Mc 12, 28-34, Mt 22, 34-40, Lc 10, 25-28). Pour lui, ces deux amour vont de pair.
En réunissant aimer le Seigneur et aimer le prochain, Jésus nous indique notre place : nous sommes entre le Seigneur et le prochain, entre le prochain et le Seigneur. Peut-on aimer quand on n’a pas sa place, quand on ne sait où ni comment se placer ?
« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » et ton prochain comme toi-même » (Mc 12, 31), la Bonne Nouvelle est que Jésus ne dit pas : « tu dois », « il faut », aimer le Seigneur et le prochain, mais « tu aimeras ». Venant de Jésus, cela signifie : « Je te donne de t’aimer toi-même et d’aimer ton pro­chain de l’Amour surabondant qui est le mien, dont le Sei­gneur est la source et dont nous t’emplissons ».
Dans le Premier Testament, il y a beaucoup d’autres choses que Dieu dit sur nous et, par là, sur lui, beaucoup d’autres choses qu’il a faites, qu’il fait, qu’il annonce, mais, sans doute est-ce l’affirmation que la Seigneur est Amour, affirmation découlant du « Chema Israël », qui mérite de figurer en tête.
L’agapè chrétienne dit la même chose que le « Chemah Israël ». La confession de foi juive dit bien, à sa manière : « Le Seigneur (Dieu) est amour ». Le Nouveau Tes­ta­­ment l’explicite et l’ouvre à tous lorsqu’il fait de cet Amour un don de l’Esprit « qui souffle où il veut » (Jn 3, 8), un don au sens d’un cha­risme, selon la for­mule trinitaire patristique : « Initiative du Père, à travers le Fils, dans le Saint Es­prit » (1).
Pareil Amour est le moyen de communication (2) par excellence, trans­cen­dant et néanmoins relationnel jusqu’à se faire chair (BaSSaR) c'est à dire être vivant, être hu­main.
Le Seigneur est Amour, par là nous donne de pouvoir aimer. Il le dit et il le fait, il l’exprime et il le réalise. La Bonne Nouvelle de la Nativité tient là, tout entière.
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(1) « Ek tou Patros, dià tou Huiou, en hagiô Pneumati », on peut citer ici :Cyrille d’A­lexandrie (De Sancta Trinitate, Dialogue VI, Migne/ PG , tome 75, col. 1065A) et p. 95 où il cite Athanase (Epistula III ad Serapionem, § 5, Migne/ PG, tome 26, colonne 632BC). Ce Cyrille a fort peu mis la formule qu’il cite : au con­cile d’Éphèse de 431, il a utilisé d’odieux procédés pour faire condamner, dé­choir et exiler, Nestorius, patriarche de Constantinople, qui avait le tort de professer que Jésus n’avait pas deux natures (divine et humaine, le dyophysisme) mais une seule nature divino-hu­maine (le mono­phy­sisme), tout cela dans le but de pren­dre sa place à la tête du Patriar­cat. Aujourd'hui, la diffé­rence des monophysites n’est plus un obstacle, même pour le Saint Siège, depuis Jean-Paul II.
(2) Qui dit « communication » ne dit pas « participation ».
Jacques Gruber


        Du même auteur : « La Représentation de Dorothée Sölle, Revue d’histoire et de philosophie religieuse, Strasbourg, 66ème année, 1986, n° 2 et 3 ;
Entendre la Parole. Le témoignage intérieur du Saint Esprit, Paris, Édi­tions du Cerf, 2003,
« Vous serez mes témoins ». Pour un temps de confusion et de mutations, Paris, Éditions du Cerf, 2009.

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